Douze jurés devaient statuer sur le sort d’un jeune homme, dont tout semble l’accabler. D’origine modeste, il est accusé du meurtre de son père.
Alors qu’ils doivent sortir avec une décision unanime, onze jurés l’ont déclaré coupable. L’homme qui doutait de sa culpabilité, a réussi un défi : impliquer les autres dans la déconstruction des indices de son accusation.
Ce film de Sydney Lumet s’ouvre sur une scène banale : les jurés enfermés dans une pièce, qui constitue le lieu principal du film, sont tous en colère. L’exiguïté du lieu et la chaleur, signalée par le ventilateur accroché au mur, y étaient pour quelque chose.
Dès le début du dialogue, l’on comprend que les 11 hommes ont fait le choix de la facilité en cédant aux préjugés. Leur discours, teint de discrimination ordinaire, est dénué de tout fondement rationnel. Alors que la symbolique du huit clos invite à observer ce qui essentiel dans tout échange verbal en situation de présence : la capacité de convaincre ! Et pour cela, le juré protagoniste va déployer des outils du raisonnement scientifiques.
Mais avant cela, il importe de revenir sur les procédés qui ont devancé l’argumentation. Ce juré récalcitrant a fait montre de grandes capacités d’observation. En confrontant aveux et témoignages au contexte et à la réalité sociale, il a réussi à déceler un certain nombre de failles dans le dossier. Sa méthode éprouvée, de fil en aiguille il construit des nœuds de problèmes qui deviennent perceptibles par les autres membres. Et c’est là le premier élément de l’emprunt qui est fait par le scénariste à la démarche scientifiques : problématiser!
Ensuite, ce juré numéro 8, interprété par l’acteur Henri Fonda, parvient à déconstruire, en reposant sur le raisonnement pratique, certaines preuves qui semblaient probantes au départ, comme le couteau. Cette pièce maîtresse du dossier devient absurde. Son argument est que n’importe qui pourrait avoir le même coteau à cran d’arrêt. Ça semble banal, mais les autres n’y ont pas pensé.
Ainsi, durant 96 minutes, il passe au crible tous les éléments constitutifs de ce dossier (témoignages, preuves matérielles). Il aiguille les détails non pas pour donner des arguments de la non-culpabilité de l’accusé, mais pour montrer les faiblesses du dossier d’une affaire criminelle.
On arrive ensuite aux procédés de délibération (discussion, analyse des données et confrontation des arguments contradictoires). Sceptique, il déploie son raisonnement à partir de ses incertitudes, exploite ses fines observations pour déconstruire les arguments qui accable l’accusé, construit un nouvel argumentaire à partir des données recueillies lors de l’analyse et les valide par la confrontation et le débat.
Le conflit ne s’atténue pas durant toute la durée du film, tant que persistent les petits détails qui plaident en la culpabilité de l’accusé. Il interroge, raisonne et tente de convaincre les 11 un à un pour déjouer le premier scénario qu’ils avaient prévu pour l’accusé : la condamnation à mort!
Au final, les jugements à l’emporte-pièce n’ont pas pu résister aux procédés adoptés par Henri Fonda, car tout a été soumis au filtre de l’interprétation. Petit à petit tombent comme un château de cartes les arguments sur le milieu social violent dans lequel a grandi l’accusé, sur le fait qu’il savait utiliser le couteau…etc.
Douze hommes en colère est sortie en 1957. Nous sommes à l’époque du cinéma réaliste, le roman et le journalisme d’investigation s’abreuvent des techniques de la sociologie que chaque acteur affine ou adapte à sa situation. L’ordinaire, le banal et le marginal deviennent signifiants via les procédés de construction du sens.
On arrive à un point de convergence de trois cultures : la scientifique, la littéraire et la médiatique. Ce film nous invite aussi à revoir le pouvoir de l’acteur. Seule et isolé, et en refusant d’être expéditif ou complaisant, le juré 8 a tâtonné, décodé certains signes et certains détails a priori insignifiants pour en faire un matériau propice au débat.