Le 28 avril dernier, à l’approche du 1er mai, journée de combat pour les travailleurs et les syndicalistes, le Premier ministre, Abdelaziz Djerad s’est inquiété de l’augmentation des « protestations syndicales » et des revendications soulevées dont les « demandeurs sont pertinemment conscients qu’elles ne sont pas réalisables, témoignant ainsi de l’état de négligence que de nombreux secteurs ont connu depuis plus de 15 ans ».
Le Premier ministre a ainsi ajouté aux arguments antisyndicaux classiques comme l’absence d’agrément « l’état de négligence » connu depuis plus de 15 ans par de nombreux secteurs. L’argument est trop surprenant pour ne pas être souligné : les travailleurs et les syndicats sont ainsi sommés de faire profil bas à cause de la gestion catastrophique du pays par le gouvernement algérien depuis plus de 15 ans !
Bien sûr, le Premier ministre est dans la fiction, poussive, que l’Algérie a changé de régime depuis le départ de Bouteflika et que son gouvernement n’est pas comptable… de ce qui a été fait dans le passé. Mais pourquoi les travailleurs seraient-ils alors comptables de ce passé bouteflikien ? A cause de la caporalisation du monde du travail par le syndicat UGTA sous la houlette du « patron » Abdelmadjid Sidi Saïd, dilapidateur impuni des fonds de la CNAS dans la banque Khalifa et donneur de leçons patriotiques à ceux qui revendiquent?
Vieux discours
En réalité, les syndicalistes ne peuvent que retourner l’argument du Premier ministre : si des secteurs entiers ont sombré dans un « état de négligence », c’est bien à cause de l’entreprise systématique de neutralisation de l’action des syndicats. Ils ne peuvent de ce fait accepter les remontrances sur la présumés « exploitation abusive et arbitraire » des libertés syndicales et encore moins les accusations de servir des objectifs sournois de contre-carrer « le projet d’édification de l’Algérie nouvelle ».
Ce discours, même s’il évoque l’Algérie nouvelle, est en réalité très ancien, marqué par une vision sécuritaire où une UGTA, détournée de sa vocation, se charge d’imposer le silence dans le monde du travail. «Depuis 1962 à chaque fois que nous revendiquons nos droits, on nous sort la veille chanson selon laquelle nous aurions des intentions politiques » a déclaré, à juste titre, Lamri Zeggar, porte-parole de l’Unpef (Union nationale des professionnels de l’éducation et de la formation).
En réalité, le discours incriminant contre les syndicats, pourtant très responsables durant ces deux dernières années, malgré la pandémie est, une fois de plus, un signe de déconnexion avec la réalité sociale du pays.
Un 1er mai particulièrement difficile
Les Algériens et les travailleurs en particulier vivent une période particulièrement difficile et ils pressentent que la situation va être encore plus dure à l’avenir. Le message du gouvernement est un « taisez-vous» alors que le monde du travail risque d’être la variable d’ajustement de la crise qui va, selon les projections des économistes, s’aggraver. Le Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP) a souligné, à raison, que les syndicats ne profitent pas d’une situation comme on les accuse.
« Nous avons une situation qui s’est calmée par rapport à la pandémie, et après deux années qui ont relégué les revendications sociales et les problèmes des travailleurs au second plan, tous les secteurs ont commencé à bouger du fait que la situation s’est dégradée par rapport au pouvoir d’achat et les conditions de travail, etc. On est sous pression ».
Telle est, effectivement, l’explication prosaïque, des mouvement sociaux en cours et non pas un sombre complot présumé contre cette « Algérie nouvelle »» qui reconduit les vieux discours et les vieilles pratiques. L’Algérie, selon les économistes et financiers sérieux, va vers de grandes difficultés et il faudra, bien entendu, se serrer les coudes. Mais se serrer les coudes ne peut plus signifier, alors que le pays en entier veut à travers le Hirak un changement de paradigme avec une reddition de comptes des gouvernants, que les syndicats et les travailleurs renoncent à défendre leurs intérêts.
C’est bien parce que l’UGTA de Sidi Saïd a joué à ce jeu faussement patriotique que des secteurs entiers ont été « négligés » et que la corruption a atteint des niveaux endémiques. En ce premier mai, l’urgence pour les travailleurs n’est pas de se taire mais de s’exprimer et de s’organiser.