« SDF », un spectacle écrit et mis en scène par Ahmed Hicham Gandi, a été présenté, samedi 27 janvier au soir, à la maison de la Culture Mohamed Lamine Lamoudi, à El Oued, lors de l’ouverture du 3ème Festival international du monodrame féminin qui se déroule jusqu’au 30 janvier 2024.
Ghania (Fatiha Tahri) vit dans la rue depuis longtemps. C’est « une moutacharida » pour reprendre l’expression consacrée. Une femme livrée à la froideur humaine et à l’hyprocrisie sociale. Elle vit dans un quartier où les arbres de chênes lièges ont été arrachés et remplacés par des villas en béton armé. L’immobilier anarchique et sans esthétique n’est-il pas en train de défigurer les villes algériennes ?
Ghania évoque Si Saber, un homme riche et puissant, qui habite une somptueuse villa, parle de sa jeune et belle fille Warda, qui fait du sport chaque matin avant d’arroser les fleurs du jardin. Elle tente d’imiter ses gestes en rêvant un instant d’être à sa place.
Ombre chinoise
Ghania parle aussi de l’homme obèse, qui vit dans l’opulence, et du barbu du quartier qui emprisonne sa fille au nom de la morale et qui abuse de Messaouda, une SDF qui a perdu la raison, et qui passe son temps à zieuter avec un oiel gourmand les femmes qui passent.
Ghania évoque, dans une terrible métaphore, le chien qui veut lui prendre son yaourt, immite un combat entre deux chiens, l’un noir, l’autre blanc. Le metteur en scène a eu recours à la technique de l’ombre chinoise pour traduire ce « combat » entre le bien et le mal, la faiblesse et la puissance.
Et pour se moquer d’un ordre social fourbe, la SDF imite « une rencontre amoureuse » près de la poubelle. Une occasion d’évoquer aussi la détresse de la jeunesse et les interdits sociaux qui peuvent aboutir à des formes variables de colère.
Avec peu d’accessoires, un couffin, un seau d’eau, un sachet en plastique et un bout de tissu, la comédienne s’est bien débrouillée sur une scène nue, meublée par les jeux d’éclairage.
Le monodrame SDF s’appuie surtout sur l’interprétation de la comédienne. Fatiha Tahri a déployé de grands efforts vocaux et physiques pour imiter les personnages qu’elle brocarde et pour créer une atmosphère, parfois comique, pour évoquer les drames, souvent muets, des personnes sans toit et sans protection.
Argent-politique-religion
Elle a allumé le feu sur scène pour suggérer que tout peut disparaître à commencer par la fortune et les postures sociales acquises. Rien n’est éternel ! « SDF » est un monodrame qui repense la triptique argent-politique- religion avec un sens aiïgu de la moquerie et de la critique.
« Le SDF vit dans la rue, dans le froid, se nourrit de ce qu’il trouve dans la poubelle. Ghania parle de tout ce qu’elle sait, des classes sociales et des secrets du quartier. Ghania est une femme courageuse qui se protège des chiens qui l’entourent, des dangers. Malgré sa précarité, elle protège Messaouda, l’autre SDF », a souligné Fatiha Tahri.
« Ce que j’aime dans ce festival est qu’il donne de l’espace à la femme pour jouer du monodrame. Il est unique en son genre en Algérie. Et je souhaite que d’autres festivals du même type soient organisés dans d’autres wilayas. Evidemment, le monodrame est plus difficile à interpréter sur scène qu’une pièce avec plusieurs comédiens. Seule face au public, il faut tout assumer y compris les erreurs », a ajouté Fatiha Tahri.
Ahmed Hicham Gandi, qui est le conjoint de Fatiha Tahri dans la vie, a souligné que le personnage du SDF permet d’aborder la société et ses travers avec un autre regard, du bas vers le haut.
Une douzaine de spectacles en compétition«
Il y a celui qui mange la banane et celui qui ramasse ses épluchures. La SDF est heureuse de récupérer une banane pourrie pour la manger. J’ai voulu adapter un langage simple dans un texte chargé de sens et de symboles. Ghania lutte pour la vie et protège une autre femme, une sourd-muette. Il existe aussi des personnes qui sont moins lotis que les SDF, mais qui sont invisibles », relève le metteur en scène.
Une douzaine de spectacles sont en compétition au 3ème Festival international du monodrame féminin, représentant plusieurs pays dont la Tunisie, la Libye, l’Egypte, la Syrie, de l’Irak, du Bahreïn, et les Etats Unis.
Le jury est composé de Maher Hachach (Palestine-Danemark), de Khaled Bouzid (Tunisie), de Alaa Jaber (Koweït) et de Hadjla Kheladi et Bachir Gherib (Algérie).
Le festival est organisé par l’Association Sitar d’El Oued. « El Oued sera une capitale du théâtre où aura lieu le véritable départ du monodrame féminin. Nous sommes ravis d’avoir parmi nous des artistes venus de quatre continents » a déclaré Nabil Messaï, metteur en scène et commissaire du festival, lors de la cérémonie d’ouverture.
Nabil Messaï a conçu un spectacle dédié à la Palestine, « Malhamatou Falastine », présenté lors de la même cérémonie, en présence de représentants de la Ligue nationale culturelle palestinienne.