Le 5 juillet 2019 est tombé un vendredi, jour de Hirak, avec un nombre considérable d’Algériens dans la rue et la découverte, heureuse, qu’ils ont un attachement vivant à leur histoire. Celle-ci, malgré une instrumentalisation ossifiante de la part du régime mis en place en 1962, est restée extraordinairement vivante. La transmission familiale a assuré la présence des héros et, surtout, la permanence de l’objectif révolutionnaire de la libération des femmes et des hommes. Une exigence de dignité qui ne peut trouver son accomplissement que dans un Etat de droit respectueux des libertés, de toutes les libertés.
C’était sans doute la première fois dans l’histoire de l’Algérie que la commémoration de l’anniversaire de l’indépendance n’était pas une affaire du pouvoir, mais celle des Algériens, de tous les Algériens malgré les tentatives de susciter des divisions, lesquelles n’ont pas fonctionné.
Le 5 juillet 2019, c’est le 20ème vendredi du Hirak, les Algériens étaient en phase avec leur histoire, ils s’en revendiquaient, ils honoraient les héros que l’histoire officielle a longtemps entrepris d’effacer. C’est cette histoire, ces combats de plus d’un siècle, qui les a conduit à entreprendre une insurrection civique pacifique contre un régime qui a poussé l’outrecuidance et le mépris jusqu’à aduler un cadre et le présenter pour un cinquième mandat.
Ce 5 juillet 2020 est, on s’en doute, moins joyeux, avec une crise sanitaire qui a poussé les Algériens à suspendre les marches. Une crise sanitaire qui complique la vie de nombreux Algériens notamment les journaliers et ceux qui travaillent dans l’informel et ne bénéficient pas d’une protection sociale. Mais ce qui alourdit davantage le climat est la vague d’arrestations et d’emprisonnements des citoyens et d’activistes du Hirak sous l’accusation standard d’atteinte à l’unité nationale ou d’appel à attroupement non armé.
Une entreprise répressive qui va à l’encontre des intentions proclamées d’écouter le “hirak béni” et qui est totalement contre-productive. Le pouvoir dispose avec la commémoration de la fête de l’indépendance l’opportunité de sortir du piège de la gestion par la répression d’une demande politique pacifique et légitime. Il faut libérer les détenus d’opinion, c’est une évidence. Il va sans dire que ces libérations peuvent apaiser la situation mais elles ne sont pas une réponse aux exigences de la société exprimées par le mouvement populaire.
L’enjeu est d’arriver à un compromis politique pour faire la mise à jour du pays avec son histoire. Il est arrivé une chose importante dans le pays, c’est la communion dans une contestation pacifique entre les générations et entre des courants politiques et idéologiques divergents voire opposés. Il s’agit bien de se parler, sans mentir, pour que le pays avance et se dote des mécanismes et des contre-pouvoirs pour les libertés soient définitivement consacrées avec une justice indépendante et une représentation authentique des Algériens au niveau des institutions. Il ne s’agit plus de refaire les mêmes erreurs et de dilapider un capital historique et symbolique dans un système qui cultive l’irresponsabilité à tous les niveaux.
Tous les experts le disent, les ressources hydrocarbures se sont taries et l’ère du pétrole cher est révolu. Il faut mettre le pays au travail et de libérer les énergies et il est clair que ce n’est pas avec le même mode de gouvernance en vigueur depuis l’indépendance que l’on réussira ce tournant vital pour l’avenir de la nation.
58 ans après l’indépendance, l’histoire ne peut plus être accaparée par un pouvoir ou par une caste. C’est l’histoire des Algériens. Et cette histoire-là est si vivante qu’elle leur commande d’aller de l’avant, de ne plus chercher à mettre sur le dos du colonialisme les errements post-indépendance. Hors de question d’accepter une quelconque révisionnisme, l’ordre colonial était une barbarie, un système d’exploitation raciste. Mais ce système colonial, les Algériens l’ont combattu et l’ont vaincu.
Ce qui s’est passé après l’indépendance est largement de notre fait. Si les autres y ont un rôle, c’est que nous l’avons permis. L’état de notre système de santé, du système éducatif, l’impotence de l’administration et le niveau extraordinaire élevé de la corruption, c’est notre affaire pas celle de l’étranger même si celui-ci peut en tirer profit. En ce 5 juillet, il est vain de chercher ailleurs les problèmes créés par un régime qui dilapide et ne produit pas et qui pousse les meilleurs à aller ailleurs.
Avec le Hirak, les Algériens ont établi le diagnostic même s’ils n’ont pas encore trouvé la solution. Ils savent que la notion d’Indépendance n’est pas un simple rétablissement de l’Etat avec un drapeau et des frontières. Ils savent que le combat d’un siècle avait pour but la liberté et la dignité des Algériennes et des Algériens dans un Etat libre et indépendant. Ils ont appris également des malheurs récents et ils ne dérogent pas au choix de la revendication pacifique, mais ils vont continuer à se battre pour les libertés et la démocratie.
Ces exigences ne seront pas étouffées par une gestion sécuritaire. La balle est dans le camp du pouvoir. Les démarches unilatérales ne mènent nulle part et il n’y a plus suffisamment de ressources financières pour se fabriquer des clientèles qui se sont avérées d’ailleurs d’une totale inutilité face au mouvement populaire. Les Algériens sont largement à jour avec leur histoire. Ils offrent une opportunité sans précédent au pouvoir d’aller vers cette mise en jour en renonçant à maintenir un système de gouvernance obsolète, dangereux et à contre-courant de la marche de l’histoire.
[…] avec des moyens beaucoup moins importants, d’autres pays font beaucoup mieux que nous. Les Algériens sont privés d’un champ politique ouvert, ils n’ont pas les institutions qui permettent de contrôler, de corriger et de réorienter. […]