Lorsqu’il eut appris la promotion vertigineuse de son patron, Mohand Oukaci décida d’écourter son congé pour avoir le privilège d’assister à la cérémonie de passation des pouvoirs entre le partant et son remplaçant.
Bien rasé, costumé, parfumé, il se fit arranger son nœud de cravate par un collègue avant d’entrer dans la salle où devait se tenir le grand événement.
Il s’assit au 2ème rang des invités, en face de l’estrade où devaient prendre place les acteurs. Il était sûr de son fait : la caméra de la télévision ne pouvait pas le rater et , le soir, tout son village le verrait à la télévision et saurait qu’il était QUELQU’UN.
La cérémonie, ponctuée par des échanges de discours oiseux, fut abondamment filmée et le faisceau de lumière de la caméra balaya à plusieurs reprises le visage heureux de Mohand Oukaci. La journée fut longue à passer.
Quand, enfin, arriva le journal télévisé de 20 heures, Mohand Oukaci , allongé en face de son téléviseur, se brancha sur une chaîne de télévision étrangère qui passait un match amical de foot ball. Car il n’était pas question, pour lui, d’alerter sa famille sur le sujet au risque d’une déconvenue.
Mohand Oukaci faisait mine de suivre le match. Il avait posé son portable sur son ventre.
Le journal télévisé était – au jugé- terminé. Le portable ne sonnait pas.
Le match amical, à son tour, s’acheva. “Enfin “! … se dit Mohand Oukaci quand le téléphone sonna sur son ventre! Quelqu’un m’a vu à la télé !
-”Allo…oui ?!
-Dis-moi, Mohand? T’as vu la leçon que les Tunisiens ont donnée à l’Equipe de France?
Ce fut le seul coup de fil que reçut Mohand Oukaci de toute la soirée. Avait-il eu l’honneur de passer, ce jour-là , au journal télévisé de 20h? Il ne le saura sans doute jamais.