Un coup d’Etat a été perpétré lundi en Birmanie par la puissante armée qui a arrêté la cheffe de facto du gouvernement civil Aung San Suu Kyi, proclamé l’état d’urgence pour un an et placé ses généraux aux principaux postes.
Ce putsch, immédiatement condamné par plusieurs capitales étrangères, est nécessaire pour préserver la «stabilité» de l’État, ont fait savoir les militaires dans une annonce sur leur chaîne de télévision, NAME.
Ils accusent la commission électorale de ne pas avoir remédié aux «énormes irrégularités» qui ont eu lieu, selon eux, lors des législatives de novembre, remportées massivement par le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), au pouvoir depuis les élections de 2015.
Tôt dans la matinée de lundi, Aung San Suu Kyi et le président de la République, Win Myint, ont été arrêtés.
«Nous avons entendu dire qu’ils étaient détenus à Naypyidaw», la capitale du pays, a précisé à l’AFP le porte-parole de la LND, Myo Nyunt.
Plusieurs autres responsables ont aussi été interpellés, selon lui.
L’armée s’est ensuite emparée de l’hôtel de ville de Rangoun, la capitale économique du pays, et l’accès à son aéroport international était bloqué par des militaires, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Les télécommunications, portables et internet, étaient gravement perturbées, a relevé l’ONG spécialisée Netblocks.
Les États-Unis et l’Australie ont rapidement réagi, appelant à la libération immédiate des dirigeants de la LND et au rétablissement de la démocratie.
«Les États-Unis s’opposent à toute tentative de modifier le résultat des récentes élections (…) et prendront des mesures contre les responsables», a averti la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, dans un communiqué.
«Nous appelons les militaires à respecter l’état de droit, à résoudre les différends par des mécanismes légaux et à libérer immédiatement tous les dirigeants civils et autres personnes détenues illégalement», a fait valoir de son côté la ministre australienne des Affaires étrangères, Marise Payne.
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a quant à lui «condamné fermement» l’arrestation d’Aung San Suu Kyi. «Ces développements portent un coup dur aux réformes démocratiques en Birmanie».
Une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Birmanie prévue de longue date pourrait prendre un caractère d’urgence et être avancée en début de semaine en raison des derniers développements, a indiqué à l’AFP un diplomate sous couvert d’anonymat.
Ce coup d’Etat intervient alors que le Parlement issu des dernières législatives devait entamer sa première session ce lundi.
La Birmanie est sortie il y a tout juste 10 ans d’un régime militaire au pouvoir pendant presque un demi-siècle. Les deux derniers coups d’Etat depuis l’indépendance du pays en 1948, remontent à 1962 et 1988.
– Fraudes par «millions» –
Les militaires dénonçaient depuis plusieurs semaines plus d’une dizaine de millions de cas de fraudes lors des législatives de novembre.
Ils exigeaient que la commission électorale dirigée par le gouvernement publie la liste des électeurs à des fins de vérification – ce que la commission n’a pas fait.
Les craintes s’étaient encore renforcées quand le chef de l’armée, le général Min Aung Hlaing – sans doute l’homme le plus puissant du pays – avait déclaré que la constitution pouvait être «révoquée» dans certaines circonstances.
Selon le communiqué de l’armée, Min Aung Hlaing concentre désormais les pouvoirs «législatif, administratif et judiciaire», tandis qu’un autre général, Myint Swe, a été désigné président par intérim, un poste largement honorifique.
– «Relation compliquée» –
Le parti d’Aung San Suu Kyi, très critiquée à l’international pour sa gestion de la crise des musulmans rohingyas (des centaines de milliers d’entre eux ont ont fui en 2017 les exactions de l’armée et se sont réfugiés au Bangladesh voisin) mais toujours adulée par une majorité de la population, avait remporté une victoire écrasante en novembre.
Il s’agissait des deuxièmes élections générales depuis 2011, année de la dissolution de la junte.
En 2015, la LND avait obtenu une large majorité. Mais elle avait été contrainte à un délicat partage du pouvoir avec l’armée qui contrôle trois ministères clés (l’Intérieur, la Défense et les Frontières).
«La relation entre le gouvernement et les militaires était compliquée», déclare à l’AFP Hervé Lemahieu, spécialiste auprès de l’institut Lowy en Australie. «Ce régime hybride, pas tout à fait autocratique ni tout à fait démocratique, s’est effondré sous le poids de ses propres contradictions».
Le pays «s’est efforcé ces dix dernières années d’accélérer les réformes (…) c’est un revers» terrible pour la transition démocratique, relève Min Zaw Oo de l’institut birman pour la paix et la sécurité.
Longtemps exilée en Angleterre, Aung San Suu Kyi, aujourd’hui âgée de 75 ans, est rentrée en Birmanie en 1988, devenant la figure de l’opposition face à la dictature militaire.
Elle a passé 15 ans en résidence surveillée avant d’être libérée par l’armée en 2010.