L’étoile pâlissante du “maréchal” Haftar, l’homme de presque toutes les “puissances”

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Au moins vingt-deux personnes ont été condamnées à mort depuis 2018 par des tribunaux militaires et des centaines d’autres ont été emprisonnées après des simulacres de procès dans l’est de la Libye contrôlée par les forces du maréchal Khalifa Haftar
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En lançant le 4 avril 2019 une offensive contre Tripoli et le Gouvernement d’alliance nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj, le maréchal Khalifa Haftar pensait avoir tout les atouts en main pour étendre son pouvoir à toute la Libye. Soutenu et armé par les Emirats et l’Egypte, le maréchal disposait également de l’appui déclaré, mais le plus souvent tacite, de pratiquement toutes les puissances: la France, la Russie et même les Etats-Unis de Donald Trump, le président américain écoutant très souvent les « amis » émiratis de son gendre. 

Toutes ces puissances, aux intérêts pas nécessairement convergents, proclamaient de manière effrontément hypocrite leur “soutien” au GNA de Fayez- el-Sarraj, reconnu par l’ONU, tout en attendant que Haftar règle l’affaire par les armes, au nom de “l’anti-terrorisme”. Mimant son voisin le maréchal al-Sissi, Haftar se prévaut d’un « mandat » (tafwidh) du peuple (que personne n’a donné) et lance ses troupes sur Tripoli. Les premiers succès militaires, avec au passage la prise de Syrte, le confortent dans la croyance qu’il s’agit d’une simple promenade. Ses soutiens extérieurs aussi attendent que Tripoli tombe, quitte à ce que cela passe par un carnage. Les calculs se sont avérés faux.

Première erreur. Haftar s’attendait à des ralliements et un soutien de de la population de Tripoli, il a, au contraire, provoqué un réflexe de défiance et poussé les milices, qui minaient la crédibilité du gouvernement d’al-Sarraj à s’unir contre le projet d’un nouveau “dictateur”. Car si beaucoup de Libyens se désolent de ce qui est advenu à leur pays depuis la chute de Kadhafi et l’intervention de l’Otan, ils ne veulent plus non plus d’un nouveau dictateur. Ce résistance a permis de “geler” la guerre aux abords de Tripoli. Elle n’a pas fait disparaître la menace, mais elle a empêché le projet de Haftar de s’accomplir.

L’autre erreur de Haftar et de ses alliés est de ne pas avoir compris que le GNA d’al-Sarraj, acculé par les troupes de Haftar qui ont reçu l’appoint des mercenaires russes du groupe Wagner allait utiliser sa légitimité, reconnue par l’ONU, pour se chercher des appuis extérieurs et renverser le rapport de force.

Les puissances qui soutiennent Haftar étaient de fait mal placées – même si elles le font avec aplomb- pour reprocher au gouvernement d’al-Sarraj de se chercher à son tour des soutiens extérieurs. Al-Sarraj a même l’avantage, par rapport à Haftar, d’être une autorité reconnue par l’ONU. C’est donc vers la Turquie d’Erdogan, qui affiche ouvertement ses ambitions sur les ressources énergétiques offshore en méditerranée, que le GNA se tourne. L’appui militaire turc, avec notamment le déploiement des drones, permet ainsi au GNA de reprendre la maîtrise du ciel et d’engager le mouvement de reconquête du terrain perdu.

Le rapport de forces sur le terrain militaire est rééquilibré.Les villes de la Tripolitaine, conquises par Haftar, tombent l’une à après l’autre. Le 18 mai, les forces du GNA reprennent  la base  d’Al-Watiya, dans l’Ouest libyen, suivies quelques jours plus tard de  l’aéroport international de Tripoli et de la ville de Tarhouna. Ils y font la découverte de plusieurs charniers qui suscitent l’émoi de l’ONU. Le SG de l’ONU, António Guterres, a ainsi demandé une « enquête approfondie et transparente » et exigé que « les auteurs de ces actes soient traduits en justice ».

Quel avenir pour le « maréchal »?

Haftar est vaincu en Tripolitaine et cela s’accompagne de découvertes macabres qui n’améliorent pas son image. L’Egypte tente de lui sauver la mise, mais les forces du GNA se donnent au moins l’objectif de reprendre la ville de Syrte, qui constitue un point de jonction stratégique entre l’est et l’ouest du pays.  Le « maréchal, l’homme qui refusait la « solution politique » a échoué dans sa « solution » militaire. Ses alliés aussi essuient un échec et la Turquie est devenue, de fait, un acteur important dans la crise libyenne.

Haftar, né en 1943 à Ajdabiya, fait partie avec Mouammar Khadafi et Abdesslam Djalloud du groupe d’officiers qui a renversé, en septembre 1969, la monarchie. Il se voyait en “homme providentiel”, il est contraint désormais de se replier sur la Cyrénaïque avec, à terme, le risque d’être lâché par ceux qui l’ont encouragé dans son entreprise meurtrière. Beaucoup observent que depuis les revers de Haftar, le président du parlement basé à Tobrouk, Aguila Salah Issa, est de plus en plus en première ligne alors que jusque-là il était effacé.

L’ambition d’instaurer un pouvoir autoritaire, pour ne pas dire une dictature, est désormais contrecarrée. Ses revers en Tripolitaine ne sont pas sans rappeler la déconfiture du corps expéditionnaire libyen qu’il commandait en 1986 au Tchad. Une expédition qui a tourné à la déroute en 1987: des centaines de soldats libyens tués, des centaines d’autres faits prisonniers. Haftar faisait lui-même partie des prisonniers. Il entre en dissidence contre Kadhafi et rejoint le « Front de salut national de la Libye » (FSNL), installé au Tchad et soutenu par la CIA. Après des péripéties qui le mènent au Congo puis au Kenya, M. Haftar s’installe à Falls Church, en Virginie. Non loin du siège de la CIA, précisent certaines biographies…

Haftar a-t-il un avenir? Nul ne peut le dire. L’homme de « presque toutes les puissances » vient de se faire tirer clairement les oreilles par le parrain américain qui n’apprécie pas du tout l’implantation des russes à la base de Joufra. Mais les Etats-Unis ne s’impliquent pas trop. Du coup, Haftar, pourrait être incité à sauter le pas vers une division de la Libye et la proclamation d’un Etat dans l’est libyen, la Cyrénaïque. Il pourrait encore jouer, pour le pire, une option qui est sur la table des puissances étrangères. Le pire n’est certes jamais sûr, mais le théâtre libyen, devenu un champ de confrontation globale, reste ouvert à toutes les hypothèses.

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