Au Festival du théâtre professionnel d’Alger, l’autocritique s’invite sur scène

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Au Festival du théâtre professionnel d'Alger, l'autocritique s'invite sur scène
Au Festival du théâtre professionnel d'Alger, l'autocritique s'invite sur scène
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Le 14e Festival national du théâtre professionnel (FNTP) se poursuit  jusqu’au 21 mars au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA), à Alger. Femme et théâtre font leur autocritique.

Il y a d’abord la pièce « Aramel » (Veuves) de Chahinez Neghouache du Théâtre régional de Constantine (TRC), en compétition au 14ème FNTP avec neuf autres pièces. Adaptée d’un texte du français Jean Cocteau, « L’école des veuves », la pièce s’articule sur l’histoire de trois femmes : Assia (Mouni Boualem) qui, devenue veuve, découvre que son mari décédé n’était pas un homme idéal, Ahlem (Nadjla Talbi), la servante , et l’étudiante (Yasmine Abassi).  

Assia est prise par un étrange désir de mourir pour « suivre » son époux qu’elle croyait aimant (dans le texte de Cocteau ce désir est nourri par « les coutumes religieuses »). Elle arrête de manger et s’installe au cimetière à côté du cadavre momifié de son époux. Bavarde, Ahlem dévoile petit à petit les secrets du mari, ses infidélités et ses penchants lubriques.

Partir vers la vie

Assia reconsidère son regard sur un monde qu’elle croyait effondré et constate qu’elle était otage d’un homme qui n’était attiré que par fortune. Elle découvre l’ampleur de sa faiblesse et de sa soumission. L’intérêt du gardien du cimetière, émerveillé par sa fidélité à son époux, suscite en elle un « désir » de sortir de la noirceur, de partir vers la vie. Une nouvelle vie portée par un rêve d’amour. Le cadavre est alors réduit à un objet désarticulé comme pour suggérer que le jeu était bien terminé pour un homme qui n’a pu être « à la hauteur » de l’amour de son épouse. Un amour qui n’a pas mérité.

Le cimetière, un lieu de départ?

Le rapport de domination change de rive. Et Assia, qui fait son autocritique, reprend son destin en main. Le cimetière, lieu où tout se termine, devient un endroit d’un nouveau départ. Un paradoxe parfaitement exploré par la metteure en scène.  Chahinez Negouache continue d’explorer la thématique de la femme dans la société, après sa prédécente pièce « Nissa’a al madina » (les dames de la ville).

Un choix assumé. « La femme est l’ennemie d’elle même. Elle peut être à l’origine de ses propres problèmes. Ma  grand-mère nous a confié qu’à la mort de son époux, elle avait pris son indépendance. La femme accepte parfois l’arbitraire pour protéger les us et coutumes » », soutient Mouni Boualem en parlant du spectacle.

« Je n’aime pas qu’on parle de théâtre féminin » !

Des présents au débat, qui a suivi la représentation, ont reproché à la metteure en scène d’avoir « montré » l’homme dans le costume de l’oppresseur. Hassan Tlilani, enseignant universitaire, a, lui, parlé d’un théâtre féminin « qui aborde les questions ayant trait à la femme ». « Je n’aime pas qu’on parle de théâtre féminin ou masculin. Mon espoir est qu’il y ait plus de femmes metteurs en scène et scénographes en Algérie. Chaque sujet peut être traité par un homme ou une femme », répond Chahinez Negouache.

La comédienne et metteure en scène Tounes Aït Ali explique, lors du débat, que la création féminine au théâtre doit être encouragée à travers des plate-formes. « Il n’est pas normal qu’au Festival national du théâtre professionnel, il n’y ait qu’une seule metteure en scène en compétition », proteste-t-elle. Des appels sont lancés pour reprendre le Festival national du théâtre féminin, créé à Annaba, par la regrettée comédienne Sonia Mekkiou. Un festival qui s’est arrêté sans explications.

« Le cinquième mur »

Azzeddine Abar a, de son côté, proposé une pièce qui s’interroge sur le théâtre lui même et qui fait également de l’autocritique : « El djidar el khames » (le cinquième mur), produite par le Théâtre régional de Sidi Bel Abbes, d’après un texte d’Ali Tamert et une scénographie de Mourad Bouchehr.

Le théâtre n’est-il pas construit sur le conflit? La question est posée par trois comédiennes, une femme de ménage et une metteure en scène. Baya (Yamina Touati) est restée attachée à la nostalgie des temps passe. Fatiguée, elle tente de s’adapter au jeu des jeunes comédiennes dont Hanane (Noual Aouag) qui se prend pour star ou Nadia (Imane Lamiche) qui dit être « une comédienne professionnelle » . Il y a aussi Rachida (Nawal Benaissa), la militante, qui rappelle que le théâtre est d’abord un art qui défend les causes justes et qui se nourrit de liberté. Elle cite Kateb Yacine et Abdelkader Alloula.

« Le casting nocturne »

 Zoulikha (Chahrazed Benbekriti), femme de ménage, connait tous les secrets de l’arrière-scène et se mêle du conflit entre comédiennes en absence de toute autorité. La voix de la femme de ménage est toute aussi haute que celle des comédiennes. C’est là qu’arrive Wahida (Dalila Nouar), la metteure en scène, qui entend instaurer une certaine discipline dans un théâtre qui prend de l’eau de partout. Les comédiennes évoquent « le casting nocturne » qui se « fait sous la table ».

Une manière de critiquer les faux castings qui se déroulent sans respect des règles professionnelles pour les productions de théâtre ou de télévision en Algérie. « Nous avons voulu dénoncer ce qui se passe en Algérie dans les coulisses. Ceux qui travaillent et qui fournissent de l’effort n’ont aucune chance d’y arriver, contrairement aux non professionnels », a déclaré, lors du débat après le spectacle, Naoual Aouag.

Un étudiant en actorat de l’Institut Supérieur des Métiers des Arts du Spectacle et de l’Audio Visuel (ISMAS) d’Alger s’est interrogé sur le déroulement des castings dans les théâtres régionaux.

La colère de la metteure en scène

La pièce est construite sous la forme du théâtre dans le théâtre avec une succession de monologues à travers lesquels les personnages se confient, dévoilent leurs tourments. « Le cinquième mur » est également un plaidoyer pour les droits de la femme et de sa position en société. La révolte finale de la metteure en scène exprime une certaine colère à l’égard de la marginalisation de la femme dans la conception des spetacles de théâtre.

La mise en scène au sixième art (et non pas quatrième art) demeure largement dominée par les hommes en Algérie. Ali Tamert, auteur, Youcef Mila, dramaturge, et Azzeddine Abar semblent également partager le désir de dénonciation de ce qui se passe derrière les rideaux du théâtre, dans les plateaux de répétition, dans les arrières-scène.

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