Qui connait Lounes Ramdani ? Et pourquoi Lounes Ramdani ?
« Nous avons eu la grande douleur d’apprendre hier le décès de Lounes Ramdani, le dimanche 26 juillet 2015, à Tence (Haute Loire). Ramdani avait créé le site de littérature algérienne, Dzlit.fr il y a quinze ans. Jour après jour, Ramdani relevait, par les moyens dont il disposait, toutes les publications traitant de l’Algérie, de son passé, de son présent ou de son avenir, en Algérie ou dans le monde, en langue arabe, tamazight ou française.
Par la solidité rigoureuse de ses références bibliographiques, les informations produites par Ramdani, dans Dzlit. fr, faisaient autorité auprès des universitaires, spécialistes ou non de la production littéraire algérienne. Ramdani ajoutait à ces informations la réception dans la presse arabophone, tamazight ou francophone, de ces publications littéraires en toute liberté. »
C’est par ces lignes que Max Véga Ritter, professeur de littérature anglophone à l’université de Clermont Ferrand, membre de l’Association France-Algérie, et auteur du livre : « Débats et imaginaires algériens. Romans et essais – Une recension », annonça le décès de ce monument de la culture algérienne. Un gawri ! J’ai beau cherché un autre hommage rendu par un algérien “de souche” ! En vain !
Un mince filet annonçant la mort de Lounes Ramdani, à 70 ans, est paru dans le Bulletin municipal de Tence (Haute Loire). Rien d’autre !
Max Véga Ritter a présenté son livre hier à Clermont-Ferrand : un condensé de 507 pages consacré aux écrivains algériens. Il en a profité pour parler de «son ami Lounes» pour qui il voue une admiration et un respect sans faille.
Lounes Ramdani était un ingénieur informaticien. Fils d’un modeste immigré algérien, il s’est établi en France à l’âge de cinq ans. Après l’indépendance, il a souhaité, «avec enthousiasme» contribuer au développement de son pays en quittant la France et en s’y installant. Il a fini néanmoins par retourner en France où il a fondé une société d’informatique.
Les statistiques relatives à son site Dzlit.fr, créé en juin 2000, sont impressionnantes :
– 6230 auteurs recensés
– 11 559 livres publiés et commentés dont 1005 en 2012, 855 en 2013, 670 en 2014 et 229 en 2015, année de sa mort !
– 1959 éditeurs cités dans 132 genres (Essais, romans, poésie, récits…)
– Et des centaines d’articles de journalistes algériens ou étrangers qui traitent de l’Algérie !
Un travail colossal auquel s’est attelé Lounes Ramdani sans aucun soutien officiel à part celui de ses amis et des amoureux de la littérature. Et avec une modestie rare, cet objectif affiché : « faire connaître les auteurs algériens et ceux qui, sans être algériens, traitent de l’Algérie et/ou des algériens. ».
Hébergé initialement à titre gracieux par un hébergeur, et devant son succès, on lui demanda de payer cet hébergement. N’ayant certainement pas les moyens, il laissa ce laconique message à l’hébergeur « Chers fidèles visiteurs de DzLit… Devant le comportement indécent de cupidité de l’hébergeur et son incessant harcèlement technique par des messages de forcing pour passer à une formule payante, DzLit renonce à cet hébergement prétendument gratuit mais volontairement semé d’embûches et de limitations, ……et cela pour un lieu plus amical. Ici : Dzlit.fr ».
Lounes Ramdani, l’oeuvre utile
Parallèlement à son site, Lounes animait aussi un groupe de discussion sur le site de Yahoo. C’est là que les contacts se faisaient entre les auteurs et les lecteurs. Les échanges entre membres étaient d’une grande qualité.
Lorsqu’on parcourt son site, on se rend compte de l’extraordinaire ouverture de Lounes. Les livres qu’il recensait étaient de toutes tendances. Sans aucun parti pris. L’essentiel est qu’ils traitent de l’Algérie dans ce qu’elle de bien comme de mal !
Dans son hommage appuyé, Max Véga-Ritter précisait « Lounès ajoutait à sa grande rigueur intellectuelle, à sa compétence scientifique et technique non moins reconnue, à son immense culture, une très grande générosité personnelle, une chaleur d’amitié exceptionnelle, un sens de la liberté et de la tolérance dont je peux témoigner. C’était un républicain et un démocrate aux convictions fortes et enracinées, dont l’Algérie et la France peuvent être fières, chacune en ce qui la concerne. ».
En janvier 2016, profitant d’une soirée littéraire à l’IADT de Clermont-Ferrand, les membres de l’association France Algérie dont faisait partie le défunt, lui ont rendu un vibrant hommage.
Comment peut ignorer un tel monument de la culture, mort dans l’indifférence la plus totale ?
Jamais le livre en général et la littérature en particulier n’ont connu un tel déclin en Algérie. Des dizaines de libraires ont du mettre la clé sous le paillasson. On en compte probablement moins d’une centaine dans tout le pays. Personnellement j’en ai dénombré 70 exactement. Plus de la moitié de nos wilayas n’ont aucune libraire. Aucune ! Et sur ce chiffre, il faut compter les librairies qui font aussi papeterie pour essayer de tenir. Il en est de même pour les éditeurs écrasés par la chute du dinar, l’augmentation des coûts de production du livre notamment celui du papier.
Beaucoup d’auteurs rechignent à diffuser leurs œuvres en format numérique craignant un plagiat incontrôlable. La pauvreté du site du ministère de la culture sur ce sujet en dit long sur les priorités du moment. Face à ce constat, de plus en plus d’auteurs tentent de s’auto-éditer avec tous les risques inhérents à cette stratégie.
Le dernier livre publié sur le site Dzlit le 17 juillet 2015 est celui de Malek Souagui « Au détour des Chemins ». La mort a emporté son auteur et son site. Depuis cette date, le site est en effet orphelin.
Un autre site a essayé de prendre le relais – litteraturealgerienne.wordpress.com- sans succès.
Le site livrescq.com, un peu plus généraliste mais qui consacre une bonne partie de ses rubriques à la littérature, résiste encore mais jusqu’à quand ?
L’ANEP a annoncé récemment son souhait d’ouvrir des librairies sur tout le territoire national. En octobre 2020, c’est la Librairie Nadji MEGA Bookstore, qui a ouvert ses portes à Hussein Dey. Toute initiative visant à redynamiser la lecture et particulièrement la littérature ne peut être que la bienvenue.
C’est Biakolo qui disait qu’ « un peuple sans culture est un peuple sans âme ». Et la littérature fait partie intégrante de cette culture.