Il est des personnages qui vous traversent de leur grâce quelque soit votre langue . Je suis née dans ce pays pluriel mais du coté de la mer, de Ahmed Wahbi et de Khaled et je vis avec les Beatles, Brel, Oum Kaltoum, La Callas et Mozart .
J’ai découvert Idir à Oran durant les vacances estivales A vava inouva battait son plein sur la radio et quelquefois il arrivait qu’on l’entende sur les ondes de France Inter. C’était le temps de la gauche sur les campus, le tiers-mondisme et l’espoir d’un nouveau monde à venir. Idir me rappelait mes vacances au pays, et bien que je ne sois pas kabyle, il me parlait, il me berçait dans les moments de douleur, me faisait danser dans les moments de joie.
Le premier concert auquel j’ai emmené mon fils c’était celui d’Idir, Naïm avait alors trois ans et il a dansé jusqu’à l’aube. Adolescent lorsque j’entendais son cd dans sa chambre, c’est qu’il cherchait son enfance pour effacer la tristesse. Lorsqu’il a quitté la maison, il me l’a « emprunté son premier disque « en lousdé », celui où il y a Isefra, ssendu, zwit rwit….
Idir, une part de soi
J’ai offert son vinyl, le deuxième album blanc, après celui des Beatles * à ma fille qui, en voyage à Bali, avait entendu a vava inouva sur la plage où elle déjeunait et s’était empressée d’enregistrer pour me l’envoyer via son téléphone.
Entre temps, les USA et leurs alliés occidentaux ont déclenché la guerre contre l’Irak et d’autres orages de pierres ont suivi, et pour le moment rien dans ces pays pour relever l’espoir et la pluie ne lavera pas les sols souillés de cette région du monde . La mort s’est étendue sur les ventres et le temps élargie la plaie avec des médias qui déplient leurs mensonges, chaque jour que Dieu fait .
Le monde arabe est mort, assassiné et suicidé à la fois, seul reste son chant poétique, celui de la perte d’un royaume où la renaissance et l’espoir ont été piétinés, détruits pour des décennies, où la lune a été masquée par le tamis qui n’a pas su le protéger de la poussière des empires.
En Algérie la jeunesse a levé la main, frôlé le ciel, soulevé la poussière sous les tapis où étaient enfouis nos morts, nos disparus et nous voilà dans cette lumière partagée plus près de nos vies .
Le 2 mai 2019 Idir nous a quitté et son chant continue de nous accompagner :
Urgay yint yakkw tlissa
Imaden uyalen d’atmaten
Nefka-yas nuba i lehna,
Tuy tegmatt deg wulawen
*J’emprunte cette expression à Samir Toumi
Mais au-delà d’une ode anacréontique, de la danse et de ces beaux moments familiaux qui se conjuguent au bonheur, avez-vous décelé dans la poésie et les mélodies de Yidir une ode engagée pour la défense et la promotion de l’amaziɣité, langue, culture et identité ? Car Yidir, c’est, avant tout, un souffle de vie poétique ayant permis d’enraciner dans cette terre l’indispensable renouveau identitaire, face à une politique nihiliste, un apartheid identitaire, des pouvoirs successifs dont l’objectif a toujours été de « réussir » une stratégie de substitution identitaire en tentant, en vain fort heureusement, de déraciner Tamaziɣt de sa propre terre et de son ode de vie.
Yidir, en Tamaziɣt, signifie « il vivra »‘. Son nom le prédestinait à porter en lui et par lui cet hymne à la joie et à la vie car sa lettre pour Tamaziɣt avait besoin de sa poésie et de ses mélodies pour une belle floraison. « Un poète peut-il mourir »?
PS : quelques coquilles dans la transcription du poème.
Urgaɣ ɣlint yakkw tlissa
Dans mes rêves, les frontières sont tombées
Imdanen uɣalen d atmaten
La fraternité guide les Hommes
Nefka-yas nuba i lehna
Le temps de la paix est de retour
Tuɣ tegmatt deg wulawen
Dans nos coeurs la fraternité fleurit