Le malouf est une musique constantinoise héritée de la tradition arabo-andalouse de Séville. Le malouf conserve bien cet héritage si précieux avec ses mélodies, ses genres et ses paroles. Reportage.
« Le malouf est un art constantinois par excellence. Certains pensent qu’il est lié aussi à la tradition des Aissaoua, pratiquée dans les zaouia et dans endroits clos. Musique arabo-andalouse, le malouf est citadin d’abord. La voix de Mohamed Tahar Fergani a donné une grande ampleur à cette musique en Algérie et à l’étranger. Pour nous, Fergani est la star du siècle. On est toujours en quête d’autres voix pour le remplacer après son départ », estime l’écrivain Mohamed Zetili.
« Ecouter le malouf, c’est comme boire une tasse de café »
« Le malouf, c’est nos racines. Dans chaque maison de Constantine, vous trouverez des enregistrements du malouf. Écouter le malouf, c’est comme boire une tasse de café, ça relaxe et ça rend heureux. C’est bon pour le moral aussi », reprend la journaliste Imen Zitouni. Et de poursuivre : « Darsouni, Toumi, Fergani et autres sont des noms lumineux de ce genre de musique. Ils sont irremplaçables même si la relève existe ».
« Un héritage familial »
La relève ? Malek Chelloug en fait partie. Il est chanteur et musicien, membre de l’Ensemble national de la musique andalouse et de l’Orchestre régional de Constantine. Il est natif d’une famille artistique de Constantine, son père Kamel Chelloug était musicien et son frère est guitariste. « La musique est un héritage familial. J’ai suivi la voie du malouf en apprenant les paroles. Le malouf doit rester authentique », dit-il. Il parle « du new malouf » qui évoque la modernisation de cette musique (introduction de nouveaux instruments parfois). « Je ne suis pas contre cette modernisation à condition que l’âme du malouf et les paroles soient sauvegardées », note-t-il.
Jeune musicien, Mohamed Lakhdar Gaouache se dit fidèle à l’école constantinoise du malouf. Il est le fils de Mohamed Salah Gaouache, violoniste ayant accompagné le maître Mohamed Tahar Fergani et son fils Salim dans des concerts. « Cet art se transmet de bouche à oreille. Ce n’est que dernièrement qu’on a pensé à faire des enregistrements de quelques partitions », souligne-t-il.
« Les jeunes apprennent sur le tas… »
Salim Fergani, digne héritier de Mohamed Tahar Fergani, regrette l’existence de peu de documents sur le malouf, rendant l’écriture compliquée. « Le malouf existe à Constantine depuis des siècles. Il y a aussi d’autres genres musicaux. Moi même, j’ai appris le malouf par l’écoute. La transmission entre générations se fait par le bouche-à-oreille. Les jeunes apprennent sur le tas auprès des chyoukh, selon les moyens de bord », souligne Salim Fergani.
Son neveu Adlène Fergani, la trentaine à peine entamée, semble prendre le relais avec beaucoup d’assurance. Le timbre vocal du jeune chanteur, qui préfère le luth au violon, est proche de son grand-père qui, lui-même, avait été initié au chant malouf par son père Hamou Fergani (décédé en 1972) et par Cheikh Hassouna. Hamid Benani était également élève du maître Hassouna.
Le mahdjouz, genre plus rythmé
Hamid Benani est le représentant parfait du Malouf d’Annaba. Selon Mohamed Lakhdar Gaouache, le malouf de Constantine et celui d’Annaba est presque le même. « Il y a juste quelques différences dans le mode d’interprétation. La musique suit l’environnement dans lequel elle évolue », dit-il. Le malouf d’Annaba, ville méditerranéenne, est donc plus aérien que celui de Constantine.
Malek Chelloug, lui, prépare quatre albums pour enregistrer des chansons inédites du mahdjouz, genre dérivé du malouf plus rythmé et basé sur la poésie populaire. A Constantine, beaucoup de familles gardent précieusement des textes inédits du malouf et du mahdjouz. Dans le mahdjouz, la zorna remplace la flûte. Il y a également le zadjel dans le malouf, hérité du poète andalous de Cordoue Ibn Quzman. On trouve aussi des traces du Muwashah arabe, forme classique et raffinée de la poésie.
Le malouf, une musique savante
Le malouf, pour rappel, fait partie des trois écoles de musique savante arabo-andalouse en Algérie. Les deux autres écoles sont la Sanaâ d’Alger, qui compte également Blida, Cherchell, Mostaganem et Koléa, et la Gharnati de Tlemcen, qui a également une présence à Oran et à Sidi Bel Abbes.
Dans l’Est algérien, Collo, Skikda, Guelma, Annaba et Souk Ahras sont « rattachées » à l’école du malouf de Constantine.
Un genre malouf existe en Tunisie et en Libye mais sous une forme orientale et classique et avec une présence du style soufi dans l’expression madih. Le malouf est basé sur les noubat andalouses (Sika, Raml Maya, Zidan, Dhyl, Hcine, Mezmoum, Ghrib…).
Les mouvements de la nouba, qui existent dans les écoles d’Alger et de Tlemcen, sont respectés dans le malouf. Il y a d’abord le bechraf, une ouverture instrumentale, l’istikhbar, exécuté par le chanteur en solo, le m’cedder, mouvement lent. Ensuite, le darj, le btayhi, l’insraf et le khlass qui sont plus rapides. Il y a parfois l’inqilab, pièce classique moins lente que le m’cedder.
Un hawzi avec d’autres mélodies
Le hawzi, qui est lié à la tradition musicale de Tlemcen, elle-même héritée de Grenade (Espagne), existe également dans le malouf. « Le hawzi de Constantine garde les mêmes paroles mais avec des mélodies différentes. Cela permet de l’identifier par rapport au hawzi interprété à Alger ou à Tlemcen », relève Mohamed Lakhdar Gaouache.
Zhor Fergani, sœur de Mohamed Tahar Fergani, est l’une des interprètes féminines les plus célèbres du hawzi à Constantine. Elle avait formé au début des années 1950, des ensembles féminins dont Benoutate pour animer des fêtes familiales, à l’image des Fikirettes d’Annaba ou des Ms’ama’a d’Alger. Dans les années 1960/1970, Zhor Fergani, décédée en 1982, a animé plusieurs concerts en Algérie. La chanteuse juive Alice Fitoussi est l’autre grande interprète féminine du malouf constantinois avec une préférence pour le hawzi, comme Cheikha Tetma à Tlemcen.
Malouf non enseigné à l’école
Curieusement, il n’y a pas d’écoles de formation à la musique malouf à Constantine. Les jeunes essaient d’apprendre auprès de musiciens professionnels, selon Mohamed Salah Gaouache. « Nous essayons bon gré mal gré de maintenir la pratique du malouf. Nous animons des soirées privées, des concerts et essayons de faire des enregistrements. Nous organisons de temps à autre des Miqyel ( récital d’après-midi) avec des mélomanes pour que la tradition ne se perde pas », souligne Salim Fergani qui a appris par coeur les paroles du malouf. Il a passé 48 ans à pratiquer le malouf aux côtés de son père Mohamed Tahar Fergani, parti sans écrire ses mémoires.
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