Le maestro et musicien Amine Kouider, ex-directeur artistique de l’Opéra d’Alger Boualem Bessaih, a assuré la direction artistique du 21 ème Festival européen en Algérie, qui s’est déroulé du 24 juin au 2 juillet 2021 à Alger. Il a créé cette année l’Académie internationale de musique et de danse Algérie (ACIMA). Entretien.
24H Algérie: vous avez été le directeur artistique du 21 ème Festival européen en Algérie . Quel Bilan faites-vous de cette édition ?
Amine Kouider:
Je dois d’abord remercier les artistes algériens pour leurs talents et surtout d’avoir accepter de chanter l’Europe (le slogan du festival était « l’Algérie chante l’Europe »). En termes de bilan, c’est positif surtout avec la participation d’artistes de plusieurs régions du pays. Le concert des jeunes talents, présenté lors de la soirée de clôture, permettra, à mon avis, aux artistes d’avoir une belle carrière. Il y a eu l’intelligence de travailler avec les musiques européennes et un rapport positif avec le public. Le Festival s’est bien déroulé au TNA dans le respect des conditions sanitaires.
Comment est né le projet de constituer un orchestre de jeunes talents ?
Amine Kouider: Pour certains artistes, c’était la première fois qu’ils jouaient ensemble. Dans un festival, il faut toujours essayer d’inclure les jeunes à travers les master classes. Mais, comme cette année, il n’était pas possible de les organiser en raison de l’absence des artistes européens, nous avons donc opté pour l’idée d’un concert pour les jeunes, leur donnant la possibilité de se rencontrer.
C’était un orchestre pilote dans lequel chacun des six artistes a fait un solo avec les quatre autres musiciens qui les accompagnaient sur scène. Des solos de chant et d’instruments. Il y avait la guitare, la basse, le qanoun, le mandole, la mandoline…chaque titre était joué d’une manière différente avec des rythmiques algériennes et européennes. C’est aussi cela l’intérêt de la rencontre entre ces artistes.
Comment s’est fait le choix des titres chantés ?
Amine Kouider: Nous les avons choisies ensemble. Les jeunes artistes proposent et moi je décide en fonction de la longueur, de la difficulté , de l’accompagnement et de l’homogénéité qui doit être par rapport à la musique. Il fallait que le programme soit cohérent et qui s’emboîte par rapport aux tonalités et au rythme. Il y avait donc de l’andalous, du châabi, au rock, au chant saharien, au boléro, à la musique symphonique avec « L’hymne à la joie » de Beethoven, l’hymne de la fraternité…
Est-ce que cet orchestre de jeunes va se pérenniser dans le futur ?
Amine Kouider: Là, c’était uniquement pour le festival. Mais, j’ai bien envie d’encadrer ces jeunes au niveau de l’Académie (ACIMA) pour leur donner une structuration plus poussée en termes de jeu, de manière d’écouter, dans les accords, etc…Les aider pour qu’ils puissent faire des scènes dans toute l’Algérie.
Parlez-nous justement de votre projet d’ouvrir l’Académie internationale de musique et de danse Algérie (ACIMA) à Alger…
Amine Kouider: Ce projet date de trois ans. Je suis enseignant depuis presque trente ans. J’ai enseigné le solfège, le violon, le piano et la direction de choeurs et d’orchestres. A travers toutes mes activités, j’ai rencontré beaucoup d’artistes, fait des concerts éducatifs, et c’est là que j’ai vu l’importance d’avoir un enseignement académique mais avec des techniques pédagogiques modernes, adaptées à la réalité algérienne.
Depuis janvier 2021, nous avons travaillé pour lancer l’Académie, ouverte officiellement le 3 avril à El Hamma, à côté de la Bibliothèque nationale, à Alger.
Actuellement, 35 % de nos étudiants sont des adultes. Cela veut dire qu’il y a une demande de formation de la pratique instrumentale amateure. Bien entendu, notre académie est modeste, nous ne pouvons pas accueillir beaucoup de monde. Le projet va se développer au fil du temps. Parmi les objectifs de ACIMA, trouver de jeunes talents, donner un enseignement académique aux enfants (solfège, instruments, histoire de la musique).
Et vous avez créé une chorale d’enfants…
Amine Kouider: Oui. Une chorale qui a participé le 1 juin 2021 à la célébration de la journée mondiale de l’enfance. Nous allons également créer le premier orchestre d’enfants. Si les conditions sanitaires le permettent, nous allons, dès la saison prochaine, solliciter des enseignants étrangers pour animer des master classes d’une manière régulière.
Pour être plus précis : Qu’est-ce qu’on enseigne à ACIMA ?
Amine Kouider: On enseigne essentiellement le piano. 40 % des élèves choisissent cet instrument. Il y a aussi le violon, la guitare, le mandole, el oud, le chant et la chorale.
Les musiques algériennes comme l’andalous et le châabi sont-elles enseignées ?
Amine Kouider: On enseigne le classique, le châabi, l’andalous et la musique arabe. Notre académie n’est pas diplômante mais qualifiante. On donne la base à nos étudiants. On fait un travail parallèle à tout ce qui existe comme institutions pédagogiques étatiques (Institut National Supérieur de Musique, Institut régional de formation musicale, etc).
La formation est sur six ans et sur deux cycles. Un enfant peut avoir une bonne formation d’un instrumentiste. S’il veut faire son métier, il peut, après le bac, s’inscrire à l’INSM, avoir un cursus professionnel. Nous enseignons aussi le chant choral, le chant d’opéra, le chant algérien et arabe.
Vous avez un projet intitulé « Les orphelins de la musique » au sein de l’académie. Qu’en est-il ?
Amine Kouider: Je suis sensible à l’idée que la musique soit accessible à des gens qui n’en ont pas les moyens. Nous avons donc décidé de lancer deux projets socio-culturels. Le premier est d’organiser des journées portes ouvertes pour les enfants afin qu’ils découvrent les instruments. Si nous détectons un enfant qui a du talent, on lui paye ses études en l’inscrivant à l’académie avec des sponsors. Nous organisons aussi des concerts éducatifs en nous déplaçant gratuitement. Nous avons également décidé de faire de la musique pour les maisons d’orphelinat. Il est important qu’on puisse intégrer toutes les couches sociales.
Vous avez aussi des parrains et des marraines pour ce genre de projets
Amine Kouider: Aïcha Mokdahi est marraine de ces projets. Elle est sensible à tout travail ayant un lien avec les enfants. A partir de septembre 2021, nous allons avoir un grand projet dans ce sens.
Allez-vous avoir des collaborations avec d’autres instituts de formations musicales comme l’INSM, les IRFM ?
Amine Kouider: Bien sûr. A l’académie, nous formons les formateurs. Lorsque nous sollicitons des professeurs (étrangers), nous avons suggéré aux différentes institutions de profiter des cycles de formation dans le cadre d’une coopération. J’ai proposé à certains instituts de nous envoyer leurs enseignants pour consolider leur formation à titre gratuit. La formation des formateurs est indispensable. C’est presque un devoir pour moi de le faire car il faut élever le niveau pédagogique musical en Algérie.
Qu’en est-il de la formation à la danse ?
Amine Kouider: Nous avons entamé les cours de danse dans une seconde étape à partir de l’automne prochain. Nous allons commencer par la danse classique, puis les danses modernes, salsa, flamenco…Nous n’aurons pas une troupe de danse qui va activer au nom de l’académie, mais, à l’inverse, nous avons déjà un orchestre symphonique. Un orchestre qui existe depuis 2018, constitué des meilleurs musiciens algériens. C’est avec cet orchestre que nous avons participé au festival européen en Algérie et joué la Symphonie du nouveau monde (de Dvorak).
Durant la même soirée, nous avons écouté le jeune Amine Hafiz jouer du Chopin sur piano
Amine Kouider: Nous avons découvert ce jeune pianiste à l’académie. Il veut apprendre plus. Il n’a que 22 ans, et il joue bien au piano. C’est un amateur. Notre but est justement de trouver des talents, les aider qu’ils soient amateurs ou professionnels. Nous avons également découvert une fillette de douze ans. Une vraie merveille.
Est-ce que la formation musicale en Algérie est aux normes mondiales actuellement ?
Amine Kouider: Je pense qu’il faut introduire de nouveaux programmes pédagogiques, suivre d’autres méthodes qui vont plus vite en termes de techniques, vont directement à l’essentiel. L’enseignement est ciblé. Les programmes actuels sont complètement dépassés. Il faut également homogénéiser tout l’enseignement musical dans le pays pour avoir la même progression, donner la possibilité aux enseignants d’avoir une formation, mais pas justement d’une semaine lors d’un festival. Une formation en semi-continue régulière pour se familiariser avec ce qui est nouveau et être plus performant.