Sami Agli, président du Forum, nouvelle appellation du FCE (Forum des chefs d’entreprises), revient sur la situation des entreprises privées confrontées à la crise sanitaire de la Covid 19, sur les solutions pour sauver les entreprises de la faillite, sur l’économie nationale actuelle, sur l’image de l’homme d’affaires algérien et sur l’éloignement de l’organisation patronale de l’action politique.
L’Algérie connaît une crise sanitaire liée à la Covid 19 qui a provoqué l’arrêt de l’activité économique. Quelle est la situation actuelle des entreprises algériennes privées après la suspension d’activité? Quelle est l’ampleur des pertes?
Je m’incline d’abord à la mémoire des victimes de la Covid 19 et je souhaite une prompt rétablissement aux malades. Le Coronavirus ne tue pas que les hommes, mais les entreprises aussi. La situation actuelle est dure pour les entreprises. A l’instar du monde, l’Algérie est touchée de plein fouet par la maladie. La crise algérienne est plus complexe surtout qu’on sorte d’une année 2019 difficile. Une année d’arrêt pour nous. On espérait une sortie rapide de la crise politique vers la fin de l’année.
En janvier 2020, nous avons connu une légère reprise de l’activité économique. La confiance est liée à la stabilité politique, sécuritaire et économique du pays. Les choses se sont compliquées avec la Covid 19 à partir de mars. Avant mars, il y a eu une baisse historique des prix du pétrole dans le marché mondial. La situation des entreprises algérienne compliquée, voire catastrophique pour des secteurs ou des filières entières.
Par exemple ?
Le tourisme est une filière en danger. Des hôtels sont ouverts, maintiennent le salaire des personnels, payent les impôts et les cotisations, mais n’ont pas fait entrer un dinar depuis presque quatre mois. L’autre secteur, c’est le BTPH qui, en 2019, était pratiquement à l’arrêt.
On est tous d’accord que la priorité va à la santé de la population, mais le déconfinement ne signifie pas reprise rapide de l’activité économique. Il y a un processus qu’il faut suivre, s’approvisionner en matière première, assurer le transport des personnels, mettre en place les mesures-barrière…La question à poser est combien de temps cette crise va-t-elle durer ?
Avez vous une idée sur le taux de mortalité des entreprises durant cette période ?
Personne ne peut vous donner un chiffre précis. Les chiffres qui existent sont approximatifs. A notre niveau, il n’y a pas de retour sur un arrêt définitif des entreprises, mais il y a suspension d’activité. Il n’y a pas eu de licenciement massif de salariés. A Blida, les entreprises ont fermé temporairement leurs portes. L’activité économique était à l’arrêt à 100 % dans cette wilaya. La reprise à Blida sera compliquée. Certaines entreprises, qui ont perdu leurs clients, doivent reconquérir le marché, retrouver leurs fournisseurs, cela prend du temps. Il y a des entreprises qui n’ont pas les moyens d’assurer le transport de leurs personnels. 95 % du tissu économique algérien est composé de PME et de TPE (Très petites entreprises). Les TPE sont fragiles, ne pourront pas tenir surtout avec la baisse de la commande publique.
Avez-vous une évaluation sur les pertes d’emplois ?
Il n’y a pas de statistiques, mais nous avons une idée sur la perte de chiffre d’affaires. Certaines entreprises ont perdu jusqu’à 80 % de leur chiffre d’affaires. Les agences de communication et les bureaux d’études étaient, par exemple, à l’arrêt total durant ces derniers mois. Nous n’avons pas d’estimations fiables sur les pertes financières des entreprises.
Face à cette crise, demandez-vous un soutien de l’Etat pour les entreprises en difficulté ? Une amnistie fiscale?
Au Forum, nous n’avons jamais parlé d’amnistie fiscale. Au contraire, nous avons dit que c’est le moment de mettre la main dans la main avec les pouvoirs publics pour trouver des solutions. La crise n’est pas celle d’une entreprise, d’un secteur ou d’une région, c’est celle d’un pays entier. Les gens suivent ce qui se passe ailleurs, chaque pays a ses particularités et ses spécificités. On ne peut pas comparer. Nous avons eu plusieurs rencontres avec des ministres, avons eu de l’écoute et les portes étaient ouvertes. Parfois, c’est une question de pouvoir, pas de vouloir.
Nous avons parlé d’accompagnement pour cette phase là. Il s’agit notamment de reporter le paiement des cotisations et des impôts pour les entreprises qui ont toujours été correctes et à jour en la matière. Ce n’est jamais assez. A chaque fois, il faut répondre à l’urgence au sein des entreprises. En face, vous avez des institutions qui doivent tenir avec également un historique de crise compliqué. Que devons-nous faire ?
On va encore demander un report (de paiement) en tant que Forum. Nous allons porter à l’intention des décideurs ce qui se passe réellement au niveau des entreprises en toute transparence. Nous avons parlé d’allègement et d’arrêt des pénalités. Beaucoup de nos demandes, faites en mars 2020, ont été prises en compte. Mais, là, on est en fin juin…
L’économie algérienne passe par une période difficile surtout avec l’effondrement des cours du pétrole. Quel modèle économique faut-il adopter ?
Si l’on fait le bilan des 20 ou 30 dernière années, la commande publique était la locomotive de notre économie. Peu d’entreprises ou secteurs ont pu se développer en dehors des subventions ou de la commande publique. Quand les prix du brut sont en hausse, le moral de l’économie remonte. Et le contraire.
Il faut rompre avec ce qui a été fait jusqu’à maintenant. En Algérie, il faut aller vers un changement radical du modèle économique. Un modèle basé sur une rente, une mono ressource et des interventions du trésor public. Il faut mettre les choses aux standards internationaux. Le monde va changer d’un manière radicale. L’Union européenne va changer. Il y a une guerre entre l’Est et l’Ouest. Nous avons une grosse carte à jouer avec de nouveaux marchés. Chez nous, la réglementation et tout le dispositif d’accompagnement des acteurs économiques doit être modifié.
Revendiquez-vous le Moins Etat ?
Les modèles basés sur une intervention forte des pouvoirs publics, sur l’autorisation, sur la licence, sur l’agrément et le poids de l’administration ont prouvé leur échec. Nous avons tenu parce que nous avions les moyens de notre politique par le passé (…) Le modèle basé sur la rente a destructuré l’économie, crée des monopoles indus, détruit des secteurs entiers et saigné les ressources du pays.
Dans le discours officiel, on parle de numérisation, de transition énergétique, d’agriculture saharienne… Existe-il une volonté de sortir de l’économie de la rente?
Le programme économique du président de la République est équilibré. Quand on parle de start up, d’économie verte, d’agriculture saharienne, de sortie de l’énergie fossile, on ne peut que saluer cela. Mais, on est rattrapé par le temps. Il ne faut pas aussi confondre vitesse avec précipitation. On connaît les problèmes, on peut s’inspirer de ce qui a été fait ailleurs notamment en matière de digitalisation.
Le digital peut être une solution à la bureaucratie, à l’attraction du pays, à la relance de l’économie. On était en confinement, mais on se débrouillait pour se faire livrer, on télé-travaillait, on se réunissait par visioconférence. Ailleurs, les plus rapides font l’économie, pas les plus gros. Il y a 20 ou 30 ans, les mastodontes pétroliers, bancaires et industriels faisaient l’économie mondiale. Il y a vingt ans, on n’entendait pas parler d’Amazon ou de Google. Aujourd’hui, ils sont la locomotive de l’économie.
Nous sommes dans un moment historique, si on fait les mauvais choix, on subira ce qui se fait ailleurs et on sera un marché pour les autres. Si on fait les bons choix, on sera un partenaire fiable. Il faut construire une économie autre, basée sur les services, l’exportation, les IDE. Avant, il faut préparer un écosystème avec une réglementation stable pour attirer les investisseurs étrangers.
Qu’en est-il du code de l’investissement actuel?
Sur la question, nous avons produit une contribution que nous avons envoyé aux pouvoirs publics en février 2020. Je pense qu’il ne faut pas revoir complètement le code d’investissement de 2016. Il s’agit seulement de promulguer les textes d’application de ce code. Des textes qui n’ont pas encore été publiés. Avons-nous un environnement attractif en Algérie pour les investisseurs étrangers? La réponse est non. Il faut des changements avec un signal fort sur une autre manière de faire l’économie. Trop de protectionnisme tue l’économie. En dehors du pétrole et du gaz, le reste de l’économie doit être libre. Le privé algérien doit pouvoir créer demain une banque ou une compagnie aérienne…
Est-il normal qu’il n’existe pas de banque privée algérienne en Algérie ?
Ce n’est pas normal. 80 % de l’économie est portée par les banques publiques(…) Aujourd’hui, il faut des petites banques pour les start up, des petites banques de régions, pour l’agriculture, pour l’artisanat, pour les PME…La loi doit changer. On ne peut pas exiger 20 milliards de dinars de capital pour créer une banque. Ce n’est pas possible. Il faut profiter de cette prise de conscience collective de la crise pour aller vers les changements et vers un modèle basé sur l’ouverture. Et, l’Etat reste souverain peut intervenir à tout moment pour dire que c’est stratégique.
Comment améliorer l’image du privé algérien ternie ces derniers temps avec les procès d’hommes d’affaires poursuivis pour corruption dont l’ancien président du FCE, Ali Haddad ?
Il faut faire la différence entre un bon et un mauvais grain. Ce n’est pas tout le monde qui a failli. Le FCE existe depuis vingt ans. On ne peut réduire l’histoire d’une organisation à des épisodes ou à des décisions qui concernent des personnes. Aujourd’hui, la page est tournée. On a voulu diaboliser le privé d’une manière générale. Il est vrai que quelques privés étaient sous les projecteurs et ont mal agi.
Et qui avaient bénéficié de protection politique …
Ces privés n’auraient jamais réalisé ce qu’ils ont fait, s’ils n’avaient pas en face une administration et des politiques qui les aidaient. Il faut rompre avec ces anciennes pratiques et aller vers une concurrence loyale. Au sein du Forum, il y a des patrons qui ont construit leurs entreprises d’une manière légale sur des générations entières. Va-t-on les diaboliser parce qu’un autre privé a mal fait ?
Il faut apprendre de ses erreurs et avoir le courage de passer à autre chose. Il ne sert rien de fermer. Nous arrivons à mobiliser autour de nous des gens sains, des jeunes brillants qui ont réussi avec leur travail.
Aujourd’hui, qui crée de la richesse en Algérie ? C’est le privé. Ce n’est pas pour réduire de la contribution du secteur public. Il existe plus de 1400 entreprises publiques mais 70 % sont déficitaires. Chez le privé, si vous êtes déficitaires, vous êtes obligés de trouver une solution ou de fermer. Il n’y a pas d’intervention du trésor public pour éponger un déficit. Il ne faut pas qu’il ait une discrimination entre public et privé de la part de l’administration. Cela doit être constitutionnalisé.
Qu’en est-il de la situation actuelle du Forum?
Les gens reviennent, recotisent, se remobilisent autour de commissions. Dans les wilayas, nous avons des échos positifs. Nous portons un projet qui parle aux gens. Un projet de rupture, exclusivement économique. Nous sommes présents dans 42 wilayas. Notre but est d’avoir des délégués dans l’ensemble du pays. Reconquérir la base prendra du temps. Sur presque 4000 membres, nous avons eu treize démissions. Les gens se sont mis en retrait en raison de ce qu’a vécu le Forum en 2019.
Dès mon élection président du Forum, le 24 juin 2019, j’ai plaidé pour la rupture. Il fallait se débarrasser de l’acronyme FCE. On ne voulait pas le faire le premier jour pour ne pas être accusé de suivre un démarche opportuniste. Le changement de nom doit être porté par une Assemblée générale qui se tiendra dès la fin du confinement sanitaire.
Le Forum a décidé de ne plus faire de politique. Pourquoi?
J’ai mené ma campagne sur cela.J’ai rappelé simplement nos statuts. Il est écrit clairement que le Forum est une association économique apolitique. Il fallait rompre avec les pratiques qui ont entaché l’image de marque de l’organisation. Nous devons revenir à la mission réelle du Forum qui est d’être un partenaire économique fiable pour les pouvoirs publics et une force de propositions. Maintenant, il est libre à chacun de faire ce qu’il veut. On n’interdit pas aux membres de faire de la politique mais on leur interdit de se prononcer au nom du Forum. Il y a une charte qui proscrit toute prise de position, soutien ou campagne politique. Nous avons eu un bon test lors de la présidentielle( de décembre 2019)…
Le Forum lance la plate-forme en ligne HakcAlgerie à partir du 1 juillet 2020 avec un hackathon. Quel est l’objectif de ce projet ?
Dans la démarche du changement du Forum et l’importance qu’on donne aux start up et aux jeunes, nous avons lancé un concours HackAlgeria #Post-Covid 19 qui est entrain de dépasser toutes nos espérances. Notre objectif était d’avoir entre 200 et 250 projets. Nous sommes déjà à 350 projets reçus des 48 wilayas. Nous avons prévu 1000 participants au maximum, nous sommes à 50 % de plus.
Le hackathon est organisé autour de plusieurs thèmes dont « le digital support essentiel à la bonne gouvernance et à la date gouvernance » et « le digital au service de la santé et la gestion post-Covid 19 ». Symboliquement, nous allons annoncer les noms des gagnants la veille du 5 juillet 2020. Nous avons un jury composé de chercheurs et de professeurs de renom comme Haba, Toumi et Melikechi (qui travaillent aux Etats Unis) et des patrons de grands groupes publics et privés.
Ce HackAlgeria est 100 % digital. C’est une énorme opération envers la jeunesse. Au délà des prix, les gagnants bénéficieront d’un mentorat d’une année. Ils iront au Vivatech à Paris, événement majeur des start up après celui des Etats Unis. Nous sommes partenaires de Vivatech pour 2021 et d’Emerging Valley qui aura lieu à Marseille. Un événement énorme qui regroupe des entreprises tech africaines en quête de connexion avec l’Europe.
Les gagnants visiteront aussi les incubateurs de MIT et d’Harvard. Nous voulons les accompagner pour trouver des investisseurs. La levée de fonds peut dépasser les 10 millions de dinars pour les gagnants.
[…] occupé, d’abord, le poste de Président de la commission startup. En juin, il est nommé par le Président de la CAPC, Sami Agli, Président du pôle jeunesse dont le nom est en cours de […]