La liberté de la presse dans la conception gouvernementale des libertés

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Liberté de la presse: la conception gouvernementale et sa définition universelle
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La conception gouvernementale de la liberté de la presse ressort nettement du message du Président Tebboune diffusé à l’occasion de la journée nationale de la presse le 23 octobre 2021. Ce message contient les mêmes orientations que celles affichées dans le communiqué du ministère de la communication du 29 avril 2020. Un article intitulé « La liberté de la presse revue et corrigée » formulait une première critique de la conception gouvernementale. Exprimée par le Président de la République, l’approche prend un caractère officiel confirmé. Elle mérite donc un nouvel examen.

La liberté dans la citadelle assiégée

Le gouvernement se déclare partisan de la liberté de la presse. Il l’a inscrite dans la constitution. Il lui consacre une journée nationale. Il n’est pas avare de déclarations la célébrant. Il subventionne même certains journaux. C’est pourquoi, il s’indigne des accusations de violation de la liberté de la presse dont il est l’objet. Certes, des journalistes sont bien poursuivis et emprisonnés. Des journaux électroniques sont interdits de parution sur le réseau Internet national. Mais le gouvernement soutient que tout cela ne relève pas de la violation de la liberté de la presse.

Il invoque des délits relatifs à l’Etat et ses institutions, à l’unité de la Nation et ses symboles, pénalement sanctionnés par la loi. Point de violation de la liberté de la presse. Le procès que lui font l’opposition nationale et les ONG étrangères relève d’un complot contre « l’Algérie nouvelle ». À en croire le Ministre de la communication, ce « complot » serait même «la preuve irréfutable que l’Algérie nouvelle avance sur la bonne voie ». Mais cette « bonne voie » hisse l’Algérie à la 146ème place dans le classement mondial de la liberté de la presse, pas loin du Maroc 136ème, du Venezuela 148ème, de la Russie 150ème, de l’Arabie saoudite 170ème et de la Chine 177ème.

Faut-il conclure que la Norvège, la Suède, la Finlande et le Danemark en tête de ce classement empruntent la mauvaise voie ? Difficile à soutenir. C’est pourquoi la référence à un contexte de guerre que vit l’Algérie prend une grande place. Le Président Tebboune parle de « guerres de quatrième génération qui ciblent l’Algérie », de « complots savamment orchestrés » et « de nombreuses parties conspiratrices qui recourent à des méthodes d’espionnage et de guerre cybernétique intensifiées ». Seulement, ce contexte n’est pas la guerre. Il est celui des services sécurité de tous les États, très actifs en temps de paix. L’ingérence des États dans les relations économiques, dans la recherche technologique, leurs rivalités hégémonistes accroissent l’importance des services de renseignement. Dans tous les cas, leur rôle n’est-il pas de prévenir une guerre ou de se préparer à la guerre ?

Mais ce contexte de citadelle assiégée n’est pas celui des sociétés civiles et des journalistes. L’interdépendance économique et technologique, l’essor des moyens de communication et la coopération pacifique constituent le cadre général des relations internationales. Pour les sociétés civiles, les réseaux sociaux transcendent les frontières nationales et les barrières à l’information et à la documentation. Ce sont donc de plus grandes exigences de transparence et de liberté de communication.

Une lecture plus attentive du classement mondial de la liberté de la presse permet de noter une correspondance entre le niveau de liberté de la presse et les places relatives des sociétés civiles et des États. Dans les pays en tête du classement, les pays scandinaves, les sociétés civiles sont prépondérantes. A l’inverse, dans les pays aux violations répétées de la liberté de la presse, ce sont les États totalitaires ou autoritaires qui sont dominants. C’est dans ces derniers pays que la conception de la liberté de la presse s’écarte considérablement de sa définition universelle.

L’individu libre n’a pas de tuteur

Les droits de l’homme tirent leur origine de la philosophie politique des libertés individuelles. C’est au 17ème siècle, que le philosophe anglais John Locke développa la théorie des « droits naturels » de la personne humaine. La Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique de 1776, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée par le parlement au début de la Révolution française de 1789 et la Constitution des États-Unis de 1871 propagèrent ces principes fondamentaux. Aujourd’hui, ce sont la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) adopté le 16 décembre 1966 qui constituent les références de ces principes fondamentaux. Comme le souligne le préambule du PIDCP, « ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine ».

Bien compris, c’est l’individu qui constitue le point de départ et l’aboutissement de la philosophie politique des droits de l’homme. La conception gouvernementale des libertés fondamentales substitue l’Etat-Nation à l’individu. Contrainte de reconnaître ces « principes fondamentaux » universellement admis, elle tend à les limiter en introduisant en quelque sorte des droits de l’Etat-Nation. La sacralisation de l’Etat et de la Nation place ainsi l’individu au second plan. C’est la base de tout l’arsenal juridique qui justifie la violation des libertés individuelles et la répression contre les citoyens et les journalistes. L’évolution historique montre que dans le monde, c’est la conception de l’Etat qui a évolué pour se conformer aux principes universels des libertés individuelles. L’Etat de droit consacre cette adaptation. C’est l’Etat respectueux et protecteur des libertés individuelles. Pour la conception gouvernementale des droits de l’homme, ce sont les individus, les citoyens, qui doivent céder de leurs libertés au profit de l’Etat.

C’est tout le contenu de l’Etat autoritaire. Cette conception gouvernementale restrictive des libertés croit trouver sa justification théorique dans deux dualités affichées dans toutes les déclarations : la liberté et la responsabilité ; la liberté de la presse et la déontologie journalistique.

Liberté et responsabilité

Le Président et le ministre de la Communication associent dans toutes leurs interventions liberté et responsabilité. Ils ont raison. Cette association découle de l’une des définitions de la liberté. Celle donnée par le philosophe et économiste du 19ème siècle, John Stuart Mill : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ».

L’exercice de la liberté implique donc la responsabilité vis-à-vis des autres. C’est la responsabilité de l’individu libre vis-à-vis des autres individus libres. Ces individus sont autonomes et ne sont assujettis à aucune autorité. Mais le Président et le ministre de la Communication ne l’entendent pas ainsi. La responsabilité est un attribut de l’Etat. C’est cet Etat qui définit les contours de la responsabilité. Et surtout, la responsabilité définie par l’Etat prime sur toute liberté. C’est un rapport de subordination de l’individu à l’Etat. Quand cet Etat est autoritaire, qu’il ne se comporte pas comme un sujet de droit, qu’il recourt donc à l’arbitraire, ce n’est pas à la responsabilité qu’il appelle, c’est à la soumission.

Abusant de son pouvoir coercitif, l’Etat autoritaire manifeste le peu de confiance qu’il accorde aux citoyens. L’invocation de la responsabilité devient un alibi pour limiter et même violer les libertés individuelles. La censure et la répression des opinions hostiles attestent de la prétention d’une élite aux commandes de l’Etat autoritaire, à définir unilatéralement ce qui est conforme à « l’intérêt national », ce qui nuit à « l’unité nationale », ce qui relève de « l’ordre public ». Ce n’est plus de liberté et responsabilité qu’il s’agit mais de liberté bridée, vidée de son esprit de responsabilité.

LIBERTÉ DE LA PRESSE ET DÉONTOLOGIE

La deuxième association reprise indéfiniment a trait à la liberté de la presse et à la déontologie journalistique. D’un côté, un droit constitutionnel qui tire son origine de la Déclaration universelle des droits de l’homme. De l’autre, un ensemble de règles professionnelles sur lesquelles la corporation des journalistes s’entend pour en premier lieu s’acquitter convenablement de leurs tâches. Le devoir de vérité, la vérification des faits, l’opposition à la censure, la protection des sources, le respect de la vie privée sont autant de principes qui constituent le code déontologique des journalistes. C’est l’affaire du monde de la presse. La prétention du ministère de la communication à s’ériger en tutelle de la presse conduit l’Etat à se substituer à la corporation autonome des journalistes pour ériger ces règles professionnelles en limitation de la liberté de la presse. Du point de vue du

droit, c’est insoutenable. Les constitutionnalistes évoquent la hiérarchie des normes. Des règles professionnelles ne peuvent être opposées à un droit constitutionnel. D’autre part, la liberté de la presse ne se réduit pas à un rapport entre les journalistes et l’Etat. La liberté de la presse est une déclinaison de la liberté d’expression qui prolonge la liberté d’opinion. Elle concerne donc la société tout entière. Le Président Tebboune parle « de dépassement et de dérapages ». Que représentent ces éventuels débordements de quelques journalistes devant la liberté de parole de la société civile ? Le ministre de la communication veut promouvoir une liberté de la presse comme « pratique impartiale ». Autrement dit, il refuse le débat contradictoire. Faut-il lui rappeler que le débat contradictoire confronte des partis-pris. C’est ce qui en fait sa richesse. La « pratique impartiale » de la liberté de la presse, c’est le monopole de la position partiale du gouvernement.

Au total, la conception gouvernementale des libertés et de la liberté de la presse s’écarte de leur définition universelle. Elle caractérise l’Etat autoritaire. Elle est une tentative de justification des restrictions apportées à l’exercice des libertés.

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