« Un vrai homme de gauche ». C’est ainsi qu’Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Économie sous la présidence de François Hollande, aime à se définir. Il est vrai qu’au sein d’une équipe ministérielle bien plus centriste que sociale-démocrate, il incarnait l’idée du progressisme et de la résistance aux méfaits du capitalisme et de la mondialisation financière. Et puis l’impensé a tout fait déraper.
Candidat à l’élection présidentielle et invité au « Grand Jury » organisé par RTL, LCI et Le Figaro, Montebourg a proposé de bloquer « temporairement » les transferts d’argent privé vers les pays « qui refusent de reprendre » leurs immigrés clandestins que les autorités françaises souhaitent expulser.
Cette proposition putride a provoqué un tollé à gauche et l’intéressé a été obligé de rétropédaler en plaidant « l’incompréhension » et en affirmant qu’il ne visait que « les États » car il ne souhaitait pas « toucher ces familles qui travaillent dur, envoient de l’argent dans leurs familles de l’autre côté de la Méditerranée. »
Cette affaire, comme tant d’autres dérapages, illustre parfaitement cet impensé qui a tant imprégné les structures du parti socialiste français. Une grande partie de la gauche hexagonale s’est toujours refusée d’examiner la manière dont elle considérait les personnes issues de l’immigration avec pour postulat de base qu’elle ne pouvait être raciste puisqu’elle était « la » gauche.
Si l’on considère qu’être de gauche c’est œuvrer à l’émancipation de tous, et notamment des plus démunis, on se rend compte à quel point la « pensée ps » a toujours été ambiguë sur ce point. D’un côté, les discours d’ouverture et antiracistes, de l’autre, le refus, par le comportement et les paroles, de se défaire d’un complexe de supériorité à l’égard de ces populations ; complexe matérialisé en son temps par le rôle politique dévolu à l’association SOS racisme.
Il faut rappeler que c’est sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dans un gouvernement de droite, ô combien exécrable par ailleurs, qui a permis à des personnes de « la diversité » d’accéder à des responsabilités ministérielles. Pourquoi la gauche socialiste ne l’a-t-elle pas fait avant, notamment entre 1997 et 2002 durant la cohabitation ?
J’ai toujours en mémoire les quolibets qui accompagnent toute ambition électorale de la part d’une personne issue de l’immigration y compris au sein des appareils du PS. « Gauche couscous », « communautarisme », « sympathies islamo-gauchistes », combien de candidats ont-ils été ainsi éliminés des courses à l’investiture en raison de ces étiquettes jugées infamantes ?
Les propos de Montebourg démontrent cette désinvolture à l’égard de populations souvent peu aisées et dont la gauche considère qu’elle leur est acquise. Et c’est là qu’intervient l’impensé auquel il est fait allusion au début de cette chronique. Population acquise, au sens du vote, mais aussi population qu’il n’est pas possible de considérer autrement que sous un œil paternaliste.
Il a fallu les protestations de plusieurs milliers d’internautes et, visiblement celles de son entourage familial (petit-fils d’une Algérienne, il est marié à une Marocaine) pour que Montebourg réalise qu’on ne joue pas ainsi avec la condition des gens. Que dans cette volonté de punir les gouvernements du sud de la Méditerranée en suspendant les transferts, c’est le sort de centaines de milliers de familles que l’on affecte. Que penser ainsi, c’est prouver que « ces gens » ne comptent pas, n’étant qu’une abstraction politicienne.
La proposition de rechange avancée par Montebourg pour s’excuser montre néanmoins qu’il a peut-être compris quelque chose d’important. Les gouvernements du sud se moquent bien du sort de leurs populations sinon nous n’en serions pas là aujourd’hui. Il faut donc être vraiment naïf pour croire que priver des familles de transferts financiers leur posera le moindre problème.
Certes, cela ajoutera à la pauvreté et à la précarité ambiantes. Cela pourra même grossier le flux de téméraires qui embarquent à destination de l’Europe. Mais ne soyons pas dupes. Un peu plus de misère provoquera au mieux un haussement d’épaules de la part de dirigeants qui, déjà, se moquent bien de savoir que leurs jeunes compatriotes meurent noyés dans la Méditerranée. Et cela pourrait même leur donner un argument supplémentaire pour fustiger la France et appeler l’opinion publique à faire front.
Enfin, il faut tout de même revenir sur cette question des clandestins que l’Algérie refuserait d’accepter. L’affaire est compliquée et j’avoue manquer de statistiques, Alger et Paris divergeant largement à propos des chiffres. Mais on sait que nombre de concernés se sont débarrassés de leurs papiers pour ne pas être renvoyés au pays.
En réalité, dans plusieurs cas, ce qui est reproché aux États comme l’Algérie ou d’autres, c’est de refuser de contribuer activement à l’identification de ces « sans-passeports » et de refuser leur rapatriement sous la base de la seule suspicion d’une nationalité algérienne. Dans tout cela, on oublie une chose fondamentale : il s’agit d’êtres humains dont l’instrumentalisation politicienne de leurs cas devrait rester l’os à ronger de l’extrême-droite.