Tribulations d’un sans papiers à Paris !

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Tribulations d'un sans papiers à Paris !
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Appelons le Idir. Il a 47 ans. Il est arrivé en France l’été 2019 avec un visa d’affaires qu’il a payé 180 millions de centimes chez un affairiste de Draa Ben Khedda en faisant un emprunt qu’il n’a toujours pas pu rembourser. I

l a débarqué chez une de ses sœurs qui habite à Neuilly chez qui il a résidé six mois en faisant des petits boulots pour subsister. Il dormait au salon m’a t-il précisé. Au bout de six mois, le couple lui a fait comprendre que sa présence devenait pesante surtout sans papiers et sans ressources stables.

– Tu sais Khouya Youcef. Wellah que je mangeais dehors. Je ne rentrais que pour dormir sans déranger. Il n’avait plus d’autres choix que d’aller louer une minuscule chambre chez un particulier à 450 € par mois en continuant de vivre de petits boulots. Il me montre les photos de sa chambre avec un coin cuisine et les photos du couscous qu’il prépare.

– Tu sais Youcef… Je fais très bien la cuisine. Je prépare de grandes quantités que je répartis dans de petites barquettes que je congèle. Tu sais, j’ai un grand frigo que j’ai acheté sur le bon coin.Il s’est fait remarqué par Hacen, un entrepreneur en bâtiments marocain qui le « recrute » comme ouvrier au noir : 70 € par jour mais sans compter ses heures.

Fi Sabile Allah selon lui…Une histoire banale me diriez-vous… Nombreux sont ceux qui galèrent avant de se faire une place dans une société où, très souvent, il ne faut compter que sur soi ! Peut-être ! Mais Idir a été percussionniste chez des chanteurs algériens de renom.

Il a accompagné Houcine Azar, Taleb Tahar, Smail Gacem, Kamal Rayah, Youcef Fadli… et bien d’autres musiciens qui appréciaient son talent. Il me montre fièrement des vidéos le montrant dans ces orchestres la gorge nouée.

– Tu sais mon frère… je suis passé dans l’émission de Kamal Dynamite, tu connais ?- Oui ça me dit quelque chose…- Je suis passé à Canal Algérie, Radio chaîne deux plusieurs fois…

– Allah ibarek. Beau parcours…

– Souhaite moi juste d’avoir mes papiers khouya Youcef- Inchallah Idir…

– Tu sais quoi ? Mon rêve c’est d’aller visiter la tombe de ma mère et de mes grands parents qui sont enterrés prés du Docteur Mahmoudi. Tu connais ?

– Non !

– Il est de la même dechra que moi.

Souhaitant mettre fin à sa galère, il fait appel à un avocat véreux qui lui prends 2100 € pour sa régularisation arguant le fait que son grand-père et son père, ouvrier chez Renault pendant 36 ans, étaient de nationalité française et donc qu’il a le droit d’acquérir cette nationalité.

Sauf que les documents de l’État civil qu’il a présentés étaient entachés d’erreur et l’administration française lui a opposé un refus « Erreur sur le numéro du registre matrice 12* et non 125* Erreur sur la date de mariage de Mr XXXXX Said (grand père de l’intéressé) acte N°05 marié en 1937 et non 1950 suivant l’arrêt rendu par la cour de Tizi Ouzou en date du 09-06-2009 sous le numéro 0133* et ordonne aux services d’état civil de la mairie de Draa-Ben -Khedda de procéder à sa rectification chose qui n’a pas été faite correctement C’est pour cela, que le mariage daté toujours du 16 aout 19* ».

Pourtant l’une de ses sœurs résidant en Algérie a réussi à avoir cette nationalité avec les mêmes documents rectifiés. Il appelle alors sa sœur pour lui demander ces documents. « Je ne les ai plus. Je ne peux rien faire pour toi » puis elle raccrocha. Il me raconta cette réaction avec le sourire. La famille ….

Idir a perdu son père, écrasé par un train à Draa Ben Khedda en juin 2000. Il a perdu sa mère l’été 2020 et ne pouvait donc assister à ses obsèques puisque sans papiers.

C’était elle qui l’a encouragé à partir en France. « C’est là-bas que tu réussiras mon fils. Ce ne sera pas facile mais tu arriveras » lui a t-elle martelé. Avant sa mort, il communiquait en permanence avec elle et ne cessa de l’encourager à tenir le coup. Il ne lui a pas dit que sa sœur de Paris l’a mis à la porte. « Pour ne pas la contrarier ».

Hacen l’entrepreneur marocain a un rapport ambigu avec son ouvrier qui manque d’initiative et d’autonomie d’après lui. « Il faut tout lui expliquer ». Il s’emporte souvent contre lui lorsque les taches qu’il lui confie sont mal assumées.

– Hacen STP, soit un peu clément.

– Je le suis sinon je ne l’aurai pas recruté. Je le connais depuis longtemps.

– Il fait ce qu’il peut. Sans papiers, sans ressources, sans famille….- Demande lui si je ne suis pas généreux avec lui… (en regardant Idir)

Idir un peu gêné et avec une petite voix :

– Oui je le reconnais. Je me souviens très bien du jour de l’Aid où tu m’avais fourni de la viande. Un beau geste que j’ai appréciéPendant que Hacen est parti s’approvisionner en peinture, il laisse des instructions à Idir

– Tu ponces le mur, tu mets l’enduis puis tu colles le carrelage du mur en respectant bien le dosage. Lis bien la notice.Une heure après, Idir appelle mon ami, le propio, tout fier avec une petite lumière dans ses yeux….

– Viens voir si c’est bien fait STP

L’ami acquiesce et le remercie. Je me tourne vers l’ami discrètement :

– Tu sais combien il lui donne par jour ?

– Non ! Personnellement j’ai négocié avec son patron et on s’est entendu sur un prix tout compris

– 70 € par jour !- Ce n’est pas assez oui… mais je n’ai pas le droit de m’immiscer dans leurs affaires

– Oui mais tu peux faire un geste discret à Idir non ?

– Je verrai à la fin du chantier si tout se passe bien. Ils ont pris du retard et la maison est complètement bourrée de poussière… Je ne sais pas comment tu arrives à dormir…

– J’ai fait mon service militaire et j’ai campé dans ma jeunesse…

– Je ne sais pas quelle est l’heure du match Algérie- Tunisie demain….

– J’ai cru comprendre 16h…Puis me tourbant vers Idir

– Tu vas voir le match ?- Si c’est 16 h je ne pense pas. On a un autre chantier demain en banlieue. Mais j’essaierai de me connecter quand même…

Hacen revient des courses et va inspecter les travaux. Je vois Idir un peu anxieux…

L’entrepreneur touche les murs, le carrelage, scrute la salle de bain… et ne fait aucun commentaire. Pour détendre l’atmosphère, je l’interpelle

– Hacen, tu vas voir le match demain ?

– Quel match ?

– La finale Algérie-Tunisie

– Ah ils sont en finale ? C’est à quelle heure ?

– je pense 16 h…

– Non je ne crois pas. J’ai trop de boulot, mais si Idir veut la suivre je le libérerai.

Idir n’en revenait pas de cette réaction inattendue de son patron. J’ai vu dans ses yeux une joie qu’il avait du mal à dissimuler.

« Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit ». Khalil Gibran.

PS: Pourquoi je raconte cette histoire ? Parce que je me suis senti impuissant devant le malheur que vit ce compatriote. Hada Makane. Et écrire libère !

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