La chanteuse Samira Brahmia a appelé les artistes algériens à regarder du côté de l’Afrique où des opportunités culturelles et économiques existent.
Samira Brahmia était avec l’Orchestre national de Barbès (ONB), dimanche 15 mai, à la salle Ahmed Bey de Constantine, pour le concert de clôture du 17ème Festival international du jazz (Dimajazz).
La chanteuse a profité de la conférence de presse, organisée après le spectacle, pour lancer un appel aux artistes algériens, surtout les jeunes, pour s’intéresser concrètement au continent africain. L’Algérie est actuellement le pays le plus vaste d’Afrique.
« Nous devons créer une scène africaine. La jeunesse a besoin de se produire. Nous n’avons pas besoin forcément d’aller de l’autre côté de la méditerranéen. Il y a de la place pour tout le monde en Afrique. Il ne faut pas perdre de vue que toutes les plateformes (numériques) sont en train de récupérer des artistes émergents africains », a-t-elle dit.
Et d’ajouter : « Il y a une industrie de la musique comme au Nigéria, en Afrique du Sud, etc. Notre jeunesse est en demande de cela. Il faut aller vers l’échange inter africain ».
« La jeunesse algérienne doit regarder vers le Sud »
Elle a estimé que ce ce plaidoyer ne relève pas du « nationalisme béat ». « Nous sommes proches et nous avons des choses à construire ensemble. La jeunesse algérienne doit regarder vers le Sud. Il y a aussi de l’argent derrière dans le sens où une industrie, un marché, existe. Nous pouvons vivre indépendamment grâce à la scène africaine », a-t-elle insisté.
Elle a critiqué le show-biz occidental « qui ne s’intéresse qu’à l’exotisme africain » et qui » ignore l’engagement, le combat des femmes » du continent.
« Il est temps de regarder vers le Sud, vers l’Afrique. Une Afrique qui nous attend. Un continent immense. Il faut absolument qu’on reprenne notre place. Nous avons accueilli Che Guevara, Mandela et d’autres grands guerriers africains qui se battaient pour la justice des peuples. Je veux que nos enfants prennent en compte cette africanité. Une africanité qui fait partie de moi même. Et je la défends de plus en plus », a souligné Samira Brahmia.
La chanteuse a été nommée dernièrement ambassadrice des droits d’auteur en Afrique auprès de la CISAC (Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et Compositeurs).
Sortie prochaine d’un nouvel album, « Awa »
La chanteuse prépare la sortie prochaine d’un album, « Awa ». « J’ai fini mon album « et un clip. Un clip qui portera des couleurs africaines en hommage aux femmes. Je viendrai présenter l’album en Algérie avant la fin de l’année en cours. Nous avons trop attendu en raison de la pandémie de Covid-19 », a-t-elle annoncé.
« Mama », un premier extrait de l’album, a été mis en ligne sur le site de la chanteuse.
« Avec ce second album, composé au plus près de ses « humeurs », Samira Brahmia offre un aperçu fidèle de sa personnalité. Evoquant les trajectoires de Myriam Makeba ou de Cheikha Rimitti, elle y revendique ses libertés de femme et son éthique d’artiste. Un album qu’elle a imaginé comme un tour de chant, jouant l’intime et la sensualité, la gravité et l’humour, tricotant des écheveaux arabo-andalou, africain, jazzy ou pop », est-il précisé sur le site.
A Constantine, Samira Brahmia a annoncé un projet de reprendre des titres d’interprètes amazighophones féminines dont Na Chérifa.
« L’un des mes premiers concerts à Paris était de faire la première partie d’un récital de Na Chérifa », s’est-elle souvenue.
« En Algérie, un travail doit être fait sur le répertoire »
Elle dit respecter toutes les musiques et toutes les influences. « En Algérie, un travail doit être fait sur le répertoire et sur la sauvegarde des archives et des textes. C’est essentiel. L’ancien rai était limite du slam. Les paroles avaient un sens. Je pense qu’il faut laisser la musique algérienne évoluer », a-t-elle plaidé.
Selon elle, les artistes algériens et les instances en charge de la culture sont tenus de donner de la place à toutes les musiques.
« Il faut qu’il ait des genres différents : musique académique, hawzi, rai…Moi, j’ai grandi en écoutant Cheikha Remitti, Fadéla Dziria, Ahmed Wahbi, les Rolling Stones, Deep Purple, Jacques Brel. Il faut que cela continue. L’Algérie est à la croisée des chemins de plein de cultures et d’influences », a-t-elle argué.
Elle a estimé que musique algérienne s’exporte plus facilement que les autres « parce qu’il y a une ouverture mélodique et harmonique ».
« »Alaoui » de l’ONB a été écouté aux Etats unis, en Amérique du Sud, les gens se reconnaissent dans cette musique. Donc, il faut laisser toutes les musiques vivres, tout en gardant en tête la nécessité de faire un travail de répertoire et de recherche », a insisté Samira Brahmia, celle qui revendique une identité plurielle.
Youcef Boukella et « l’intelligence d’écoute »
« Ce que j’ai appris de Youcef Boukella (l’un des fondateurs du groupe ONB en 1996 à Paris), c’est la richesse des silences. Dans la musique, les silences ont une importance exceptionnelle. Cela laisse à l’esprit de développer sa propre mélodie. Youcef Boukella a une intelligence d’écoute qui laisse la place à tous les instruments pour que cela fasse cette magie là. C’est de la générosité. Ce n’est pas donné à tout le monde. Pour moi, Youcef Boukella est l’un des compositeurs contemporains algériens les plus brillants », a témoigné la chanteuse.
Elle a confié que Dimajazz 2022 est la première scène après le décès de son père (disparu dernièrement) : « Un père qui m’a éduqué dans l’amour de la musique, de la culture et de la vie. Mon père n’aurait pas été content si j’avais décliné l’invitation du Dimajazz. Mon père m’a encouragé, voire forcé, à faire de la musique, à apprendre les langues, à voyager…Il m’a appris à n’avoir pas peur. Il me disait que voyager rendait l’homme plus tolérant.
Sur scène, j’ai senti que mon père était à mes côtés. Et je suis sûre qu’il est fier car il adorait le répertoire de l’ONB. La musique et la vie sont belles. Ne renoncez jamais, never give up ! Gardez la tête haute. Et l’Algérien ne baisse jamais la tête ». Le 17ème Dimajazz s’est déroulé du 11 au 15 mai 2022. Rendez-vous est pris pour fin avril 2023 pour la 18ème édition.