L’œuvre majeure de l’écrivain français Albert Camus, « La peste » est revisitée par la troupe française Olea, compagnie méditerranéenne.
La pièce a été jouée, jeudi 30 juin, au Théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran (TRO), lors de la deuxième soirée des premières Journées du théâtre méditerranéen qui se déroulent jusqu’au 4 juillet 2020.
Basée sur la technique de la lecture-spectacle, la pièce « La peste » est adaptée par Stéphane Olivié Bisson et mise en scène par Clément Vieu.
Elle est construite sur le jeu de trois comédiens, Sanda Bourenane, Richard Sammel et Clément Vieu, qui, feuilles en main, lisent des textes, extraits du roman « La peste » d’Albert Camus. Une lecture théâtralisée.
Publié en 1947, ce roman évoque le quotidien d’Oran, ville livrée à la peste. L’épidémie isole la ville. Le romancier français s’est inspiré de faits qui se sont déroulés trois ans auparavant, à Alger et à Oran. Les deux villes ont été frappées par la peste qui a provoqué la mort de centaines de personnes.
« La peste », un roman actuel
Le roman est redevenu actuel après la pandémie de Covid 19 qui en 2020 et 2021 a provoqué l’isolement de plusieurs grandes villes à travers le monde, dans un précédent historique. Fuir ou rester est le dilemme qui se pose à chaque fois aux humains en temps de grandes épidémies ou en temps de guerre. Le roman de Camus explore ces émotions humaines contradictoires.
La scénographie, installée dans une scène ouverte et profonde, est minimaliste avec une table, des chaises, des valises et des archives éparpillées.
« Jouer dans l’envers du décor était de consacrer l’idée qu’il n’existe pas d’artifices. En arrivant au TRO, nous nous sommes dit : que fait-on avec cette salle alors que nous avons peu d’accessoires. On trouvait l’espace beau et nous nous sommes dits que nous pouvions utiliser le théâtre sans ses artifices. Le plateau est nu. Les gens ont alors l’impression d’ouvrir une porte, de ne pas trouver de coulisses, qu’il s’agit du réel avec des archives au sol. Des archives qui vont créer l’histoire », a souligné Clément Vieu.
« Le texte comme un témoignage »
La scène se passe à la gare maritime d’Oran. Les trois personnages, debout, lisent et narrent l’histoire sans dialoguer. Chacun lit et se déplace sur scène en un mouvement incessant. Un théâtre narratif qui s’écoute et qui exige une grande concentration de la part des comédiens. Le rythme est lent, comme dans ce genre d’expression scénique, mais la musique et l’utilisation du micro pour amplifier la voix allègent le spectacle parfois.
« Il y a un texte, qui n’est pas sacré, mais c’est une partition complète, c’est un récit avec des parties dialoguées. Le travail était de donner de la vie en proposant des saynètes mais en gardant l’aspect de lecture, de livrer le texte comme un témoignage de gens qui découvrent Oran aujourd’hui ou dans un autre moment ou qui reviennent dans un endroit où se sont passées des choses », a soutenu Clément Vieu.
« Le roman se passe à Oran. Pour nous, il s’agit de vibrations incroyables. Le texte a été écrit, il y plus de soixante-dix ans par Albert Camus. Nous avons rajouté un passage qui concerne le théâtre régional d’Oran. Il y a une scène forte dans le roman d’un acteur qui s’effondre atteint par la maladie », a -t-il ajouté.
Il a souligné que dans le roman d’Albert Camus, écrit deux ans après la fin de la deuxième grande guerre, il y a une métaphore par rapport au nazisme qui a commis des horreurs en Europe.
« Plus de choses à aimer dans l’être humain que de choses à détester »
« Nous avons eu la chance de rencontrer la fille d’Albert Camus. Dans la chambre du romancier, il y a une importante documentation sur la peste. Donc, il y avait chez Camus la volonté d’interpréter l’Histoire mais aussi celle de restituer ce qui était la condition humaine et l’être humain dans une situation de crise telle qu’une pandémie. C’est pour cette raison que ce texte ressort aujourd’hui. Le roman s’est bien vendu (en France) au moment du confinement. En étudiant les grandes épidémies de l’Histoire, Camus a étudié le comportement humain », a analysé Clément Vieu
Et de poursuivre : « dans une situation de crise, on se rend compte que le meilleur et le pire de l’être humain ressort. Mais, il y a plus de choses à aimer dans l’être humain que de choses à détester. Même s’il y a des épisodes tragiques, il y a aussi de belles choses qui se passent dans un contexte difficile ».
Dans la pièce, les comédiens ne se contentent pas du français, recourent à l’arabe et à l’anglais.
« Une époque mondialisée »
« Nous vivons dans une époque mondialisée. Et ce que nous avons vécu ces derniers temps a traversé le monde. Partout, nous avons ressenti la même chose (par rapport à Covid-19). Nous avons voulu tinté le texte d’un peu d’international, comme si les trois personnages, qui débarquent, étaient des voyageurs, des espions, des gens qui ne sont pas de la même nationalité, qui découvrent le texte et qui en livrent une adaptation », a répondu Clément Vieu.
L’utilisation parfois du micro s’explique, selon lui, par la volonté d’exprimer des pensées « intimes » et les partager avec les spectateurs.
Il a précisé que le spectacle est toujours en construction : « Nous l’avons même adapté ici en Algérie. La version d’Oran est un peu différente de celle d’Alger. Nous essayons de faire sortir le plus de sens et partager le plus d’émotions possible ».
Dans une autre version de la pièce, la troupe Olea a eu recours au support audiovisuel comme scénographie principale.