Réda Kateb, comédien : « Pour avoir de belles branches, il faut avoir de bonnes racines »

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Réda Kateb, comédien : "Pour avoir de belles branches, il faut avoir de bonnes racines"
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Dans « Nos frangins », le nouveau le long métrage de Rachid Bouchareb, Réda Kateb interprète le rôle de Mohamed Oussekine, frère aîné de Malik Oussekine, étudiant franco-algérien, battu à mort par des policiers à Paris dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986.

Le comédien français d’origine algérienne était à Alger pour la projection en avant-première nationale du film, vendredi 9 décembre 2022, à la faveur du 11ème Festival international du cinéma d’Alger (FICA), clôturé le samedi 10 décembre. Distribué en Algérie par MD Ciné, « Nos frangins » est actuellement projeté dans les salles à Alger, Constantine et Oran.


24H Algérie: Dans le film « Nos frangins » de Rachid Bouchareb, vous interprétez le rôle de Mohamed, frère de Malik Oussekine. Parlez-nous  de ce rôle assez complexe ?

J’ai aimé le point de vue humain de Rachid Bouchareb dans ce film. Le cinéaste décide d’observer deux familles dans les deux à trois jours qui suivent la mort de Malik Oussekine et de Abdel (Abdelwahab) Benyahia en décembre 1986 et montre le choc et la déflagration que ce drame provoque, la sidération qui suit ces événements tragiques. Le personnage de Mohamed enquête sur ce qui se passait et sur la personnalité de son jeune frère Malik. Il s’aperçoit que l’enquête lui échappe de plus en plus et comprend de moins en moins qui était son frère. C’est un film qui a valeur de mémoire historique.


Gardez-vous un souvenir des grandes manifestations de décembre 1986 pour dénoncer l’assassinat de Malik Oussekine et Abdel Benyahia en France ?


J’avais neuf ans en 1986. C’est un souvenir d’enfants. Je me rappelle d’un grand recueillement et d’une grande dignité. Des gens de toutes origines, de toutes classes sociales et de tous milieux étaient présentes dans cette marche, étaient rassemblées sous le même slogan : « Plus jamais ça ! ». On a donc décidé de se solidariser. Avant la date de décembre 1986, on pouvait peut être tuer des arabes dans l’impunité, comme ce fut le cas le 17 octobre 1961 à Paris (répression dans le sang d’une manifestation d’algériens à l’appel du FLN). L’ensemble de la société française s’est déclarée solidaire avec Malik et Abdel,  deux jeunes citoyens français. Aujourd’hui, lorsqu’on présente le film aujourd’hui à de jeunes spectateurs, on voit la force que cela peut avoir pour eux.


Ont-ils une idée sur ces événements ?

Non. Beaucoup ne connaissent pas ces deux affaires. Moi même, je ne connaissais pas l’affaire d’Abdel Benyahia. Je connaissais celle de Malik. J’étais allé à la marche blanche avec ma mère, le samedi qui a suivi la mort du jeune étudiant.


Aujourd’hui, on fait le lien entre les violences policières de 1986 et celles ayant accompagné les marches des gilets jaunes en France ces trois dernières années.


Par rapport à tout ce débat en relation avec les gilets jaunes, je ne pense pas que le film aille dans ce sens. Mais, on ne peut que constater la même impunité d’auteurs de crimes comme ceux-là lorsqu’il s’agit de policiers. Il y a un lien évident avec l’affaire Adama Traoré ( âgé de 24 ans, Adama Traoré est mort le 19 juillet 2016 à la gendarmerie de Persan en Val-d’Oise après son interpellation) et le combat d’Assa Traoré pour que justice soit faite pour son frère (Assa Traoré est fondatrice du Comité vérité et justice pour Adama, milite contre les violences policières). Derrière tout cela, il y a des pans de l’histoire française qui sont également des pans de celle de l’immigration, de ce qui nous a précédé. Pour avoir de belles branches, il faut avoir de bonnes racines bien profondes. Il faut connaître notre histoire.


Dans le cinéma, Réda Kateb est toujours associé aux durs dans les rôles, le terroriste, le trafiquant de drogue, j’imagine que vous n’aimez pas cette étiquette…


J’ai joué d’autres rôles d’éducateur avec des autistes, médecin algérien dans « Hippocrate » (de Thomas Lilti, sorti en 2014), musicien dans « Django Reinhardt » (d’Étienne Comar, sorti en 2017), politicien dans « Les promesses » (de Thomas Kruithof, sorti en 2021)….J’ai eu ces questionnements vers le début de mon parcours professionnel.


Début avec « Un prophète » de  Jacques Audiard notamment en 2009.  Un film qui a reçu beaucoup de distinctions dont le grand prix du jury au festival de Cannes et treize Césars…

Ah, oui. « Un prophète » est le pire film dans lequel on ait pu jouer ! C’est un film qui est resté culte, un grand film. Non, je n’ai pas l’impression de souffrir d’un étiquetage qui m’embrasserait, au contraire, je vais sans cesse dans des choses différentes. S’il faut jouer des trafiquants de drogue ou des bandits, j’ai du plaisir à le faire si c’est dans de bons scénarios, bien écrits.


Vous n’avez pas de préférence pour les rôles

J’ai des préférences pour les films et je ne veux faire que des bons ! Il m’arrive de faire des moins bons. J’en ai bien conscience.


Réda Kateb peut jouer le rôle de François, de Mohamed ou de Lucas…

C’est vrai. C’est dû en partie à mon faciès et également à une liberté que je me suis construite durant mon parcours.
Vous avez tourné en Europe et en Amérique du Nord. Vous avez notamment été distribué en 2012 dans le long métrage de l’américaine Kathryn Bigelow  « Zero Dark Thirty » ou dans « Submergence » de Wim Wenders en 2017. 


Existe-t-il des différences dans les mécanismes de tournage et la manière d’aborder les sujets entre l’Europe et l’Amérique du nord ?

Il n’y a pas beaucoup de différences dans la manière de tourner et de fabriquer un film. Sur les plateaux de tournage, on retrouve les mêmes repères sur notamment la hiérarchisation des équipes et sur le mode de travail collectif. Par contre, pour aborder les sujets qui peuvent être dérangeants et brûlants, le cinéma américain peut le faire en direct, rapidement, ce n’est pas le cas du cinéma français où il faut un certain temps. Ce film sur Malik Oussekine et Abdel Benyahia, il n’aurait pas pu se faire il y a vingt ans. Aux Etats Unis, ce genre de sujet peut se faire la même année (traitement d’affaires liées à l’actualité).


Pourquoi ? A cause des pesanteurs politiques en France ?

Je n’ai pas la réponse. Je le constate simplement.


Votre carrière a commencé avec les séries « Engrenages » en 2005. Aujourd’hui, à travers les plateformes numériques, les séries sont de plus en plus présentes, réalisées parfois presque comme des films. Séries et cinéma peuvent-ils se compléter ? Ou chaque genre est à sa place ?


Les choses ont beaucoup évolué. Il y a des passerelles entre les séries et le cinéma. Il y a des acteurs qui se font connaître dans les séries qui ensuite vont faire carrière dans le cinéma. Et, il y a des acteurs qu’on a vu que dans des films et qui sont distribués dans des séries. La manière d’écrire ou de produire les séries a énormément évolué. On n’est plus comme il y a dix ou quinze ans.


 Il y a une accélération dans le développement des séries produisant une certaine inventivité, un autre type d’écriture mais avec le même engagement artistique. En France, on a moins cette culture de la série. Aux Etats Unis, un show runner (directeur de série) serait comme le réalisateur pour un film d’auteur en France en donnant une inspiration et une direction artistique à une série. En France, j’ai tourné des séries avec deux, voire réalisateurs durant le tournage. Donc, il y a moins ce sentiment de rentrer dans la vision de quelqu’un.


N’êtes vous pas perturbés lorsque vous êtes dirigés par deux ou trois réalisateurs avec des visions différentes?

Non. Je m’adapte. Il faut être assez autonome mais, c’est vrai, j’ai plus de plaisir à accompagner un metteur en scène dans sa vision et à être dans le geste artistique d’une personne avec laquelle je vais avoir une relation et un dialogue. Je préfère cela mais après, je peux m’adapter à plein de situations.


Et le travail avec Rachid Bouchareb, comment l’avez-vous trouvé ?

C’est la première fois que je travaille avec Rachid Bouchareb. j’ai beaucoup aimé la confiance et le sens du partage qu’il a avec les acteurs. En tant qu’acteur, on n’est pas une marionnette qu’il actionnera mais comme un conteur avec lui d’une histoire.

Vous avez débuté votre carrière au théâtre, votre père, Malek-Eddine Kateb, homme de théâtre lui aussi, est cousin de Mustapha Kateb, l’un des fondateurs du Théâtre national algérien. Quel a été l’apport du théâtre pour vous ?

C’est au théâtre que j’ai appris mon métier. C’est là que j’ai prouvé mon endurance et la passion et l’amour que j’ai pour ce métier parfois dans des conditions matérielles un peu difficiles. Le théâtre, c’est la base pour moi. C’est la source. J’ai commencé avec mon père qui lui-même a commencé le théâtre en Algérie (Malek-Eddine Kateb a joué plusieurs rôles au cinéma aussi). J’espère revenir au théâtre dans les années qui viennent.


Cela fait longtemps que vous n’êtes pas montés sur scène…

Oui, pour des questions de plannings chargés, remplis longtemps à l’avance, et de projets qu’on me propose. Donc, il est difficile de trouver une fenêtre pour faire du théâtre.


Vous êtes distribués dans un nouveau film, « Omar la fraise »

Oui, j’ai tourné cet été en Algérie ce film. « Omar la fraise » est réalisé par Elias Belkeddar. C’est lui qui a réalisé le clip de Dj Snake (Disco Maghreb). « Omar la fraise » raconte l’histoire d’un braqueur français d’origine algérienne avec Benoît Magimel et des acteurs algériens. Là, je vais réaliser un film que j’ai écrit moi même. Je plonge dans le monde des clowns dans un hôpital d’enfants. On devrait commencer le tournage en avril-mai 2023. C’est un film d’initiation. Et, l’été 2023, je dois tourner un film en anglais au Danemark.


Et le fait de passer de l’autre côté de la caméra…

Je l’ai fait une fois avec la réalisation d’un court métrage, »Pitchoune » en 2015 (sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs lors de Cannes 2015) . J’ai beaucoup aimé cette expérience. Et pour moi, c’est naturel de réaliser mon premier long métrage sans jouer.


Une évolution naturelle pour les acteurs ?

Pas forcément, pas pour tous les acteurs. Chaque acteur a un chemin d’évolution naturel assez singulier, assez propre. Là où je suis dans mon parcours, c’est le moment de passer à la réalisation.

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