L’Algérie et l’Égypte, pays voisins de la Libye n’ont pas la même appréciation de la crise dans ce pays, ni le même degré d’implication. Ces divergences, anciennes, étaient jusque-là feutrées. Mais avec la volonté de plus en plus affichée de l’Egypte d’intervenir militairement, à la suite de la déroute des troupes du général Khalifa Haftar, ces divergences s’affichent de plus en plus ouvertement. Alors que le Gouvernement d’entente nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj déploie des forces à l’est de Syrte pour récupérer la ville, le président égyptien Abdelfatah al-Sissi a multiplié les discours martiaux.
Après avoir indiqué en juin que l’axe nord-sud entre Syrte (qui délimite la Tripolitaine (nord-ouest) et la Cyrénaïque (nord-est)) et la base aérienne de Joufra était une « ligne rouge », le président égyptien a œuvré ces derniers jours à se donner une « légitimité » libyenne pour intervenir militairement.
Ainsi le parlement libyen, basé à Tobrouk et sous la coupe de Khalifa Haftar, a appelé l’Egypte à intervenir pour faire face à l’appui militaire de la Turquie au gouvernement d’entente nationale. Mieux, l’Egypte a réuni au Caire des représentants de tribus libyennes qui soutiennent Haftar qui ont annoncé « autoriser » le maréchal Sissi à envoyer son armée pour « protéger la souveraineté de la Libye ».
Le jeu de la partition
L’’Egypte, qui est depuis l’avènement du général Sissi au pouvoir dans une démarche de guerre totale contre les islamistes, considère, implicitement, l’est de la Libye, riche en pétrole, comme faisant partie de son « espace vital » a soutenu ouvertement le général Haftar et l’idée d’une séparation de la Cyrénaïque voisine du reste de la Libye est très loin de lui déplaire.
Une démarche en totale contradiction avec les positions de l’Algérie, laquelle, sous Bouteflika, restait cependant distante du dossier libyen et usait de la langue de bois diplomatique. Il était cependant clair pour les observateurs que les deux grands voisins de la Libye ont des vues très divergentes sur le dossier libyen.
Le coup d’arrêt à la « conquête de l’ouest» menée par le général Haftar (soutenu par l’Egypte, les Emirats, la Russie et la France) par les forces du GNA (avec l’appui de la Turquie) a créé une situation nouvelle. Le rééquilibrage du rapport de forces qui s’en est suivi a été l’occasion pour l’Algérie de tenter, avec la Tunisie, de reprendre l’initiative pour une solution négociée entre les protagonistes libyens qui préserve l’unité territoriale du pays.Il reste que la volonté de plus en plus en affichée du général Sissi d’intervenir militairement met fin à la divergence discrète entre Alger et le Caire.
Hier, les messages de Tebboune en direction du Caire étaient évidents : le règlement du conflit « passe impérativement par la table du dialogue et que l’usage des armes n’a et ne sera jamais la solution ». L’Algérie, a-t-il dit à propos de ce qu’il appelle des décisions unilatérales, refuse d’être « mise devant le fait accompli ». « Si l’on veut le bien du peuple libyen, il faut le laisser décider de son propre destin sur la base de la légitimité populaire, sous l’égide des Nations unies ».
Le chef de l’Etat algérien a clairement évoqué la manipulation de la donne tribale – qui suscite d’ailleurs de très vives réactions en Libye – par la partie égyptienne. Sans citer l’Egypte, Tebboune a indiqué que l’Algérie a mis en garde « contre certains agissements » et a regretté que les Libyens se retrouvent « isolés à l’exception de deux pôles à l’Est et à l’Ouest du pays. »
Tebboune a évoqué « les tentatives d’implication de certaines tribus libyennes dans le conflit armé ces dernières 24 heures » dans une allusion très claire au jeu égyptien. « C’est là une situation très dangereuse qui pourrait faire basculer la Libye dans le même sort que la Somalie « .