Lire, c’est surtout faire fi des préjugés, des barrières sociales, des tabous. Lire, c’est être libre. Lire, c’est être libéré des contraintes du temps et de l’espace. C’est aussi vivre une autre vie, s’approprier la vie d’un autre.
La lecture est d’abord et avant tout un divertissement. Elle nous permet de nous extraire des soucis du quotidien, tout comme les jeux, les spectacles, etc…En plus de nous détourner un moment du réel, la lecture nous procure du plaisir, nous aide à penser par nous-mêmes, à nous exprimer correctement, à avoir l’esprit critique et à le développer , à affiner et affirmer notre pensée, à confronter notre conception du monde avec celle d’autrui.
Mais le divertissement n est pas toujours le but recherché et la lecture n’est jamais un acte innocent. Notre mental est une prison et la lecture est la corde qui nous permet de nous évader et rencontrer ceux qui s’en sont également échappés.
Ayant très jeune pris goût à la lecture, je me considère comme un privilégié. Les livres jalonnent ma vie comme des repères mémoriels sûrs, des marqueurs indélébiles. Je peux sans mal reconstituer l’histoire qui me lie à chaque livre que j’ai acquis tout au long de ma vie, les livres perdus, prêtés et jamais récupérés. Pour certains auxquels j’étais particulièrement attaché, je me surprends souvent à imaginer leur nouvelle vie, loin de moi.
« Lire un livre peut être une expérience esthétique et intellectuelle »
Admirer le tableau d’un maître et le comprendre est une expérience esthétique extraordinaire. Mais lire un livre peut être une expérience esthétique et intellectuelle tout aussi extraordinaire. Sauf que cela demande un peu plus d’efforts que de regarder un tableau.
La lecture et la découverte de la grande littérature font partie des quelques bonheurs de ma vie. C’est du moins les plus constants de ces bonheurs. J’ai tant appris à travers les livres, avec en plus le plaisir de la lecture. Le livre est le mystère le plus accessible puisqu’il suffit de savoir lire pour le percer. Avec les livres, je n’ai que de bons souvenirs.
Le livre nous procure d’abord un plaisir, je vais oser le mot, charnel, sensuel. On ne peut pas acheter un livre sans le tenir en main, le palper, le soupeser presque. On le palpe amoureusement, espérant anticiper le plaisir. On sort toujours content d’une librairie. On n’a jamais entendu quelqu’un regretter d’avoir acheté et lu un livre. Par contre, on peut être inconsolable d’avoir perdu un livre auquel on tenait.
Tout lecteur un tant soit peu assidu se souvient indubitablement des livres qui l’ont marqué au long de sa vie. Kafka disait que « si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire. ». Je suis content d’avoir reçu quelques coups de poing dans ma vie.
J’aime les livres et la lecture et veux simplement partager. Rien ne rapproche plus facilement les individus que l’évocation de lectures communes, de livres partagés. Mon rêve est de pouvoir transmettre cet amour des livres et de la lecture. Car (ou mais), comme le dit si bien André Malraux, « la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. »
Les tous premiers livres que j’ai lu ont bien évidemment déterminé ma passion naissante : bandes dessinées et livres d’aventure. Mais tout de suite je me suis intéressé à plus fort que moi. Non par vantardise, mais parce que ces livres étaient d’abord disponibles autour de moi. Et j’y ai pris vite goût. Si j’ai un livre à mes côtés, je ne peux pas m’ennuyer. Combien de livres ai-je lu dans la voiture à attendre les uns et les autres ? Que de moments normalement perdus et que j’ai « rentabilisé » grâce aux livres. J’aimerais les citer tous.
Un regret cependant, un immense regret : l’absence de livres en langue arabe dans cet « inventaire ». Je fais partie d’une génération qui, pour des raisons historiques, n’a pas accéder à l’enseignement de la langue arabe dès l’entrée à l’école. Jamais je n’ai pu lire un auteur arabe dans le texte et les traductions sont peu ou pas disponibles.
Un des premiers livres à m’avoir secoué , à l’âge de la rêverie , est Le loup des steppes de Hermann Hesse. C’est un livre sur la vie rêvée et la difficulté de vivre. Sur la démesure de nos rêves de jeunesse et l’écrasante lourdeur de notre environnement, des structures sociales, des préjugés. Sur ceux qui se font une raison et les autres qui persistent dans le rêve. Le genre de livre qui, une fois refermé, continue à vous agiter intérieurement.
Tout Céline a été marquant pour moi. Comment faire un choix entre Voyage au bout de la nuit, D’un château l’autre, Mort à crédit. Céline est un écrivain génial, orfèvre du langage, au style sans pareil dans la littérature française. Il vous fait pleurer et rire d’une page à l’autre, d’une ligne à l’autre.
Avec lui, vous êtes toujours sur le fil du rasoir, ne sachant jamais de quel côté vous allez tomber, avec le vide des deux côtés. Quel écrivain a le courage ou le toupet pour écrire un livre tel que Mort à crédit. Tout Céline est à citer, mais s’il faut une seule citation, je garderai celle-ci : « je pars en vacances dans quatre ou cinq jours…en vacances ! Si l’on peut dire, alors que je m’emporte avec moi. »
Un livre merveilleux et presque méconnu que l’Histoire de ma vie de Fadhma Aïth Mansour Amrouche qui raconte, dans un style simple et pur, une vie de combat dès l’enfance contre la misère, les coups du destin, la méchanceté des êtres et de leurs préjugés, mais aussi la force d’âme d’une femme hors du commun, socle d’une famille hors du commun.
La seule qui partage le podium avec Kateb Yacine dans le panthéon national. Son livre se termine ainsi par cette phrase pleine de sagesse et de résignation : « Patience et courage ! Tout passe, tout s’évanouit, et tout roule dans le fleuve de l’éternité. » Un grand coup de poing.
Quand j’ai lu Nedjma de Kateb Yacine pour la première fois, je n’ai pas appréhendé immédiatement les niveaux de lecture possibles. Je l’ai lu au premier degré. Cela n’enlevait rien à la beauté du texte. Kateb Yacine est un poète merveilleux, qui a commencé à écrire très jeune, hypersensible, et qui fait tout avec les tripes.
Elio Vittorini a écrit Conversation en Sicile, petit livre au style attachant, témoignage bouleversant sur la Sicile du milieu du siècle dernier et où transparait en filigrane la noirceur du fascisme. Un livre à lire et relire pour la nostalgie des moments simples, des gens simples, des joies simples, dans des périodes compliquées.
Très jeune, j’ai commencé la lecture des Possédés de Dostoïevski. Je me rappelle seulement que je ne suis sorti de la maison qu’après avoir achevé de le lire au bout de trois jours. Dostoïevski a fait quelques années de bagne, s’habituant si bien qu’il refusa de partir de la prison une fois sa peine purgée. On comprend mieux sa fameuse phrase : « Un être qui s’habitue à tout, voilà je pense la meilleure définition que l’on puisse donner de l’homme. »
De J.L.Borges, je crois avoir tout lu. Lui ne vous donne jamais de coups de poing, ce n’est pas dans sa nature, mais plutôt des tapes amicales. On ne se lasse jamais de ses nouvelles et de son art de conteur hors du commun, associé à une culture phénoménale. On se souviendra que les généraux putschistes argentins l’ont fait passer, par vengeance, de directeur de la Bibliothèque nationale à contrôleur des lapins et de la volaille au marché de Buenos-Aires.
Si je me souviens encore du Grand Meaulnes de Alain Fournier, c’est uniquement pour cette phrase : « Les plus beaux jours de ma vie sont ceux où j’ai pensé le plus ardemment à vous. » Une telle phrase vous assure forcément l’immortalité…et vous marque à jamais.
Je me suis intéressé tard à Camus. C’est un tort. Je me suis rattrapé entre temps. Mais c’est son Discours de Suède qui m’a toujours passionné. Pour l’éloquence peut-être, pour la lucidité sans doute.
Je n’ai jamais pu terminer le Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, mais je me suis rattrapé avec Le gai savoir et ses aphorismes, parfois déroutants comme celui-ci : « ce qui ne me tue pas me rend fort », comme par hasard adage très populaire dans notre pays.
Pour la poésie française, une anthologie de référence : Anthologie de la poésie française par André Gide dans la collection La Pléiade. Le livre de chevet par excellence pour les amateurs de poésie. Il me quitte rarement.
Né pour naître de Dom Pablo Neruda est un récit autobiographique écrit en prose rimée. Un voyage inoubliable. Ami de Salvador Allende, il meurt quelques jours après le coup d’État de Septembre 1973. C’est surtout un poète engagé d’une grande lucidité, défenseur de toutes les causes justes et de tous les déshérités.
Il y a un livre qui n’a pas en principe sa place ici puisque ce n’est pas un livre de littérature, mais qui m’a marqué profondément et tant le style est attachant. Il s’agit de L’intérieur du Maghreb de Jacques Berque. Il m’a donné une image de l’Algérie et du Maghreb d’avant la colonisation plus précise et plus réelle que celle des historiens que j’ai pu lire.
Après plusieurs tentatives infructueuses tout au long de ma vie, j’ai fini par lire Ulysse de Joyce. James Joyce et son inclassable Ulysse sont un moment phare et un monument de la littérature mondiale.
La journée de Stephen Dedalus, c’est la vie de l’homme réduite à une journée avec son aube, son midi, son crépuscule et sa nuit. Joyce y essaye tous les styles, du classique pur au plus déconstruit. Il pousse la déconstruction de la phrase à un degré jamais atteint. Environ deux cents personnages apparaissent dans son roman.
Voilà ce que Joyce a écrit au sujet d’Ulysse : « J’ai mis tellement d’énigmes et de puzzles que cela gardera les professeurs occupés pendant des siècles, glosant sur ce que j’ai voulu dire, et c’est la seule façon pour un homme pour s’assurer l’immortalité. »
Tout cela pour notre plus grand plaisir et pour le plus grand des plaisirs.
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