Aprés l’Institut du monde arabe à Paris, le Centre de la Vieille Charité à Marseille, montre pour la première fois pour ce qui concerne Baya, une quarantaine de ses « premiers dessins » de 1944-45, toutes les gouaches des Contes de Baya, des documents inédits, une vaste sélection de ses peintures et sculptures de 1946 à 1998 .
La femme et l’enfant, le jardin (métaphore du paradis dans l’islam), la huppe-paon (quelquefois noire), les oiseaux dans le ciel , des robes aux couleurs vives avec des signes berbères tels que le cercle, triangle, croix et des feuilles de palmier à foison sous l’oeil stylisé cerné de noir, après 1947 , rappelle l’oeil des fresques égyptiennes ou les miniatures persanes . Baya a le sentiment de peindre sa mère à travers toutes ces femmes aux longs cheveux noirs qui peuplent ses oeuvres, cette mère dont elle a adopté le prénom à sa mort pour signer ses tableaux .
L’ensemble est peint chez Marguerite Carminat et plus tard dans un atelier qui jouxte sa cuisine à Blida et un jardin remplis de roses, d’hortensias, de citronnier, de cognassier et d’oranger . Les formats sont petits pendant des années, puis plus grand sur la pression des galeries probablement . La période de 1947 est une période importante de créativité pour Baya , puis celle de 1963où Jean de Maisonseul prend la direction du musée des Beaux arts et organise la première expositions avec des artistes algériens .
Baya Mahedinne est née Fatma Haddad en 1931 à Borj El Kiffan, dans une société en pleine colonisation . Elle commença à sculpter en argile comme les femmes kabyles, les oiseaux, les fleurs qu’elle voit dans la maison de sa tutrice Marguerite Caminat à Alger et croisent Breton, Braque, Picasso à Vallauris, se lit d’amitiés avec Rachid Koraïchi , Jean de Maisonseul et Jean Sénac .
En effet pour fuir la seconde guerre mondiale, des artistes français se sont installés à Alger où certains vont côtoyer Baya chez sa tutrice Marguerite Caminat documentaliste, peintre mariée à un artiste peintre, tous deux passionnés par les dessins d’enfants et « non issus de l’Algérie coloniale » précise l’historienne Anissa Bouayed et c’est important . Le sculpteur Peyrissac incitera Baya à transcrire ses dessins sur papier, à la gouache, gouaches qu’il va montrer à Aimé Maeght de passage à Alger en 1943.
A son insu Baya traverse l’histoire de l’Algérie et de la France . En effet à Paris c’est l’éblouissement /mythification avec les surréalistes qui soutiennent la libération algérienne . André Breton écrit « Baya dont la mission est de recharger de sens ces beaux mots nostalgiques : l’Arabie heureuse. Baya, qui tient et ranime le rameau d’or . Mauriac la tutoie … et Camus, présent lui aussi au vernissage à Paris, note dans ses correspondances : la princesse au milieu des barbares . « Baya un pansement de tout ce qui n’allait pas entre la France et l’Algérie » aprés la tragédie du 8 mai 1945 à Sétif analyse Alice Kaplan, historienne , spécialiste de Camus dans l’émission de Tewfik Hakem sur France Culture .
Rappelons ici que l’école des Beaux arts ainsi que son musée interdits aux Indigènes .
Pour mémoire 300 oeuvres algériennes volées, déposées au Louvre la veille de l’indépendance, réclamées à Malraux puis restituées à Jean de Maisonseul nommé directeur du musée des Beaux Arts à Alger .
Instrumentalisée par la France pour masquer l’horreur du 8 mai 45 à Sétif et présentée une image du bonheur des colonisés, modèle de la jeune musulmane, orpheline, analphabête ou innocente, mais aussi contestée par l’UNAP (union nationale des arts plastiques ) demandeuse d’iconographie pour célébrer la lutte pour l’indépendance, elle est fustigée par Khadda.
Cantonnée dans la bibliothèque du Musée, Baya n’est jamais évoquée dans le cursus pédagogique des Beaux arts d’Alger, contrairement à Issiakhem et Khadda, parce que trop célébrée par les galeries françaises, elle est souvent mise à l’écart voire méprisée par ses collègues artistes , elle qui a arrêté de peindre durant la guerre d’Algérie à cause de ses maternités mais pas seulement .
Baya a tracé son chemin, résistante aux pressions , indifférente aux flatteries du monde de l’art .
Elle reprendra son activité artistique grâce au soutien du milieu artistique d’Alger et en particulier de celui de Jean Maisonseul qui lui achète le materiel pour poursuivre son art .
La féministe Assia Djebar écrit un article qu’elle intitule « le combat de Baya ». Elle y fait allusion à l’incompréhension rencontrée par l’œuvre de Baya dans les milieux officiels de la peinture algérienne après 1962.
A cette époque et grâce à l’action de Jean Dubuffet, la création de Baya, à tort ou à raison, est souvent rattachée à l’art brut mais intègre le musée de Genève . De manière prévisible on cherche à l’identifier, maistoujours par rapport aux catégories de l’art européen.
Les pesanteurs historiques et sociales ont été dépassées grâce à l’étayage du milieu de l’art à Alger avec Jean Sénac, Edmond Charlot, Rachid Koraïchi, Jean de Maisonseul .
Baya adulée et isolée, le prix de la quête de la distinction dirait Bourdieu , prise entre deux histoires qui se superposent, se percutent la sienne et celle de son pays en guerre contre le colonialisme .
*Myriam KENDSI, critique d’art
L’art au féminin, de l’Algérie au Liban et à la Palestine / TheBookEdition.com
Protest painters algériens /Editions Marsa