Le long métrage « El Akhira » ou « La dernière reine » de Damien Ounouri et Adila Bendimerad revient sur une période presque jamais abordée dans le cinéma algérien, le XVIème siècle.
Jusque là, seul le long métrage « L’Andalous » de Mohamed Chouikh, sorti en 2014, s’est intéressé à cette période mouvementée de la Méditerranée et de l’Afrique du Nord. Ce film suit les événements d’après la chute de Grenade, en 1492, la montée en puissance de l’Empire Ottoman et l’occupation d’Oran par les espagnoles, à partir de 1509.
L’Espagne conquérante est présente dans « La dernière reine » mais pas assez pour en saisir le contexte historique. Le film débute par une bataille dans laquelle est engagée Arroudj Barberousse avec les turcs contre les castillans dans la région de Béjaïa où il perd un bras.
On comprend qu’un conseil de notables d’Alger dirigé par Sélim Ettoumi, qui n’était pas roi mais chef des Thaaliba, décide de faire appel au corsaire et à ses troupes pour stopper les assauts répétés des Espagnols déterminés à propager le catholicisme en Afrique du Nord après avoir défait la Dynastie Andalouse et instauré l’inquisition contre les musulmans et les juifs en presqu’île Ibérique.
Sélim Ettoumi tué dans son bain
Le film, supposé être historique, manque de profondeur par rapport à ce contexte important. Vite, très vite, on tourne la page. Sélim Ettoumi (Mohamed Tahar Zaoui) prend dans les bras Arroudj (Dali Bensalah). Alger est « protégée » des troupes espagnoles qui étaient installées sur l’îlot du Peñon. Cette forteresse avait été construite vers 1510 par le comte Pedro Navarro, ennemi de Arroudj.
Chegga (Imen Nouel), première épouse de Selim Ettoumi, est méfiante. Mais pourquoi donc ? Comment Chegga, vivant à Alger éloignée des événements, peut-elle tout connaître des « intentions » supposées d’Arroudj ? Comment pouvait-elle savoir qu’Arroudji, puissant et riche corsaire, avait l’intention de régner sur la ville ?
A part le rapport entre Sélim Ettoumi et Zaphira, sa seconde épouse, illustré en quelques moments d’intimité, rien n’est montré sur le personnage de celui qui tenait les rênes d’Alger. Il a à peine droit à quelques phrases dans les dialogues. Sélim Ettoumi est tué dans son bain sans que cet épisode dramatique ne soit précédé par des scènes pouvant suggérer l’acte.
Dans le film, l’auteur du crime n’est pas identifié. Les historiens sont divisés sur la question : pour les uns, Arroudj aurait commis l’assassinat pour s’emparer d’Alger, pour d’autres, Ettoumi avait été tué parce qu’il avait commencé à conspirer avec les Espagnols.
Image caricaturale
Au fil des séquences, des scènes et des dialogues, le propos du long métrage, divisé en chapitres, apparaît mieux. Il s’agit de raconter l’histoire de Zaphira, une femme peinée par la mort de son époux, qui veut devenir reine. De la grande, on passe à la petite, voire la très petite histoire d’une grande époque. Zaphira, interprétée par Adila Bendimerad, entend prendre sa revanche sur Arroudj, arrogant et dominateur. Le corsaire et ses compagnons, qui ont pris le contrôle d’Alger, sont montrés sous des traits repoussants, habillés en noir, n’aimant pas fleurs et prenant d’en haut les algérois.
Une image caricaturale à outrance, la même véhiculée et amplifiée par les ouvrages européens écrits sur cette période, à l’image de l’essai « Histoire du royaume d’Alger : un diplomate français à Alger en 1724 » de Laugier de Tassy. Celui-ci était responsable du consulat de France en Algérie en 1717. Les faits rapportés dans ce livre, très discutables sur le plan historique, sont partiellement repris, sans prudence, dans le film « La dernière reine » comme « le désir » supposé d’Arroudj de prendre pour épouse Zaphira.
L’idée simpliste du film est donc de montrer Zaphira résister avec « courage et témérité » aux assauts d’Arroudj le conquérant et de souligner la ténacité de Chegga à s’opposer à Arroudj et aux corsaires, coupables de mauvais comportements. Comportements coloniaux, selon cette vision.
Le sort de Yahia Thaâlibi, fils de Sélim Ettoumi et de Zaphira, est tout autre dans le long métrage.
De la fiction certes, mais à de très fortes doses. Curieusement, Zaphira demande à Yahia, encore enfant, les raisons qui l’amènent à s’opposer aux Espagnoles. Comment un enfant peut-il connaître tous ces enjeux politiques compliqués ? Zaphira pouvait-elle ignorer que les Espagnoles occupaient déjà Oran et cherchaient à s’installer à Alger en recourant à toutes les formes de violence et d’exactions ? Dans la vraie Histoire, Yahia Thaalibi était parti à Oran, après la mort de son père, où il avait été accueilli par le marquis de Comares, « capitaine général de la province d’Oran ».
« Ouvrir une porte…aux cinéastes algériens »
Comares avait ensuite organisé un voyage pour Yahia Thaâlibi afin de rencontrer en Espagne le cardinal don Francisco Ximenes, archevêque de Tolède qui gouvernait le royaume, après la mort du roi Ferdinand II et en l’absence de Charles Quint qui se trouvait à l’époque en Flandre.
En 1517, Yahia Thaâlibi était venu d’Espagne avec Francisco de Vera commandant dix milles hommes pour « installer » le fils de Sélim Ettoumi au trône d’Alger. L’expédition avait échoué à cause d’une tempête non loin d’Alger. Dans un langage cru, Yahia Thaâlibi avait trahi puisqu’il avait pactisé avec l’ennemi de son peuple.
Si le cinéma n’écrit pas l’Histoire, il ne peut la réécrire non plus.
« On aimerait par ce film ouvrir une porte et dire aux cinéastes algériens, aux plus jeunes, allez-y, prenez le droit, la liberté de vous réapproprier votre Histoire », a déclaré Adila Bendimerad à la chaîne française TV5 Monde.
Si le film « La dernière reine » est dans cette logique, il y aurait beaucoup de choses à dire et à redire sur ce mélange instable et risqué entre légende et Histoire.
« Il y a beaucoup d’historiens qui interprètent différemment l’Histoire. Il a fallu trouver notre vérité à nous », a soutenu Adila Bendimerad. Mais quelle vérité ? Vérité historique ? Le long métrage n’est-il pas une fiction inspirée de faits réels ?
Zaphira n’a jamais été reine ni première ni dernière. Elle a été juste magnifiée dans le film d’où l’exagération dans les costumes et les apparats. Ce film qui échappe difficilement à l’empreinte d’une oeuvre féministe qui met l’homme dans la place du « méchant » et la femme dans celle de « l’héroïne ». Une femme prête à tout jusqu’à affronter ses propres frères comme pour Zaphira et sa famille de Miliana.
Un Alger invisible
Les producteurs disent à avoir fait un film « en hommage » à Alger, or la ville, qui était importante à l’époque en Méditerranée, n’apparaît nullement dans le long métrage. La plupart des décors sont en intérieur et les scènes de batailles sont augmentées par des effets spéciaux réalisés à Taïwan dans des espaces presque invisibles mis à part la séquence du début (plage).
Adila Bendimerad, qui a adopté le jeu théâtral dans l’interprétation du rôle de Zaphira avec un recours agaçant aux cris et aux vociférations, n’a pas su se mettre dans les habits de la reine tragique.
Dali Bensalah a tenté tant bien que mal de jouer le personnage d’un « pirate des Caraïbes du bled » pour reprendre son expression en fixant la « cruauté » dans son visage et en forçant sur la tonalité de la voix.
Les dialogues, assez bien écrits avec les « langues » de l’époque, servent de fil conducteur dans un film nourri d’actions de quoi faire un long métrage plaisant et divertissant. Mais, pas plus. Cela dit, le travail fait par Leyla Belkaïd et Jean-Marc Mireté sur les costumes et Feriel Gasmi Issiakhem sur les décors est à saluer. Au XVIème siècle, Alger avait ses palais, ses jardins, ses cuisines, ses vaisselles, ses meubles, ses costumes, ses bijoux, ses musiques. La nation était donc bien là…