Le Théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran (TRO) a utilisé pour la première fois, dimanche 9 juillet au soir, la technique de la traduction simultanée d’une pièce de théâtre. Il s’agit de la représentation italienne « Ultima estate » (le dernier été).
Une pièce présentée lors des deuxièmes Journées du théâtre méditerranéen qui se déroulent à Oran jusqu’au 12 juillet. Pour Mourad Senouci, directeur du TRO, le recours au surtitrage a valeur de test. « Grâce à la traduction simultanée sur écran, nous pouvons dépasser l’handicap de la langue et partir à la découverte d’autres expériences théâtrales en Méditerranéen dans le futur », a-t-il dit.
« Ultima estate », produite par Emilia Romagna Teatro Fondazione (ERT) de Modena (centre de l’Italie), s’intéresse au lien d’amitié qui unissait les deux magistrats siciliens anti-mafia Giovanni Falcone et Paolo Borsellino dans les années 1990. Des juges assassinés par la Cosa Nostra en mai et en juillet 1992. Treize plus tôt, la mafia avait commandité l’assassinat du juge Cesare Terranova. En 1983, la Cosa Nostra tuait Rocco Chinnici, lors d’un attentat à la voiture piégée à Palerme.
Maxi-procès de Palerme
Rocco Chinnici était à l’origine de la création du « pool » antimafia du parquet de Palerme dont Falcone et Borsellino faisaient partie. Ce pool avait mené des enquêtes difficiles sur les crimes multiples de la mafia sicilienne qui avaient mené au fameux maxi-procès de Palerme en 1086, après le témoignage d’un chef mafieux Don Masino, Tommaso Buscetta de son vrai nom.
Mise en scène par Chiara Callegari et élaborée par Simone Luglio, la pièce a été écrite par le journaliste et scénariste Claudio Fava. Il raconte les derniers mois de la vie des deux juges, célèbres par leur courage, Falcone et Borsellino. Deux hommes qui avaient pris soin, comme cela est montré dans le spectacle, de préparer leurs familles à leur mort. Borsellino, par exemple, avait signé plusieurs chèques pour son épouse.
La pièce est construite sur des dialogues denses fournissant beaucoup d’informations sur les coulisses de la justice italienne, du rapport entre des cercles d’influence et les chefs de la mafia et sur la manière avec laquelle Cosa Nostra préparait ses forfaits et ses méfaits. S’appuyant sur les techniques du théâtre documentaire, Chiara Callegari a eu recours aux vrais témoignages des assassins et aux rapports des médias sur les attentats commis à Capaci et à Via D’Amelio (Palerme).
Vérités crues
Claudio Fava est arrivé à la conclusion que la mort des deux juges ne profitaient pas uniquement à la mafia mais également à des milieux politiques hauts placés en Italie à l’époque. Giovanni Santangelo a interprété le rôle de Borsellino et Simone Luglio celui de Falcone. Un duo qui se complétait parfaitement sur scène, ne laissait aucun moment vide, remplissait la scène autant par la voix que par l’expression corporelle. Chiara Callegari a fait un travail soigné sur la lumière pour restituer plusieurs ambiances et plusieurs émotions. Elle fait parler ses deux personnages dans des micros comme pour pousser Borsellino et Falcone à « dire » leurs propres vérités, vérités crues, en public et au public.
« Il y a deux ans, Simone Luglio voulait préparer une pièce sur les juges Falcone et Borsellino. Il connaît bien Claudio Fava. Nous avons travaillé sur le texte durant la pandémie de Covid-19. Nous avons vécu et travaillé ensemble pendant plusieurs semaines dans la campagne de Sicile. Après cet exercice, Giovanni Santangelo et Simone Luglio sont devenus de vrais amis », a souligné Chiara Callegari, après le spectacle.
Il est encore sensible, selon elle, d’aborder le sujet de la mafia dans le théâtre en Italie aujourd’hui. « 1992 est considéré comme le 11 septembre (2001) pour les Etats Unis. L’assassinat des deux juges a bouleversé l’Italie et entraîné des changements. Mais, la vérité n’a toujours pas été dite sur ces deux affaires. Un magistrat a décidé qu’il n’y avait pas d’arrangement entre la mafia et l’État lié à ces drames. Tout le monde n’est pas d’accord sur cette sentence. C’est un sujet encore difficile. Nous n’avons pas pris de position dans notre pièce, nous laissons le soin au spectateur d’en tirer toutes les conclusions et de réfléchir », a soutenu Chiara Callegari.