La tension continue de monter entre Paris et Niamey après le coup d’Etat militaire contre le président Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023.
Vendredi 1 septembre 2023, des milliers de manifestants ont organisé un sit-in au rond-point Escadrille de Niamey. Et samedi 2 septembre, une manifestation grandiose, selon les médias locaux, a été organisée à côté de la base de l’armée de l’air nigérienne qui abrite les forces françaises.
Une action qui va durer quelques jours. « Ce rassemblement, initié par la communauté musulmane ainsi que les mouvements de la société civile du Niger, a pour but de mettre la pression sur les forces françaises pour leur départ du Niger. Au cours de cette première rencontre, une prière collective a été dite suivie des invocations pour une sortie favorable de cette situation avec, à l’appui, l’intervention de plusieurs leaders religieux », rapporte l’Agence nigérienne de presse (ANP), à propos du sit in du vendredi.
« Nous nous sommes aujourd’hui encore réunis ici à l’escadrille devant la base militaire française de Niamey pour exiger le départ définitif et sans condition de l’armée néocoloniale française de notre pays, et nous voudrions à travers ce sit-in pacifique et populaire appeler à nouveau les autorités françaises à la raison pendant qu’il est encore temps », déclare Moustapha Boulamine, membre du Cadre Unique d’Action des Forces Vives du Changement (CUAFVC), cité par l’ANP.
Et d’ajouter : « après plus de 60 ans d’indépendance de façade, nous sommes encore à notre case de départ. On a presque tout essayé sans jamais parvenir à sortir notre peuple de l’extrême pauvreté(…) le processus de libération définitive de notre pays de la domination française vient d’être enclenché avec l’avènement du CNSP au pouvoir et l’histoire nous enseigne qu’à chaque fois qu’un peuple et ses dirigeants font bloc autour de la défense des intérêts stratégiques, ils sortent victorieux face aux ennemis’’.
« Cela fait des années que les français pillent nos richesses »
Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) est né à la suite du coup d’Etat militaire contre le président Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023. Le général de brigade Abdourahamane Tchiani dirige le CNSP depuis le 28 juillet 2023.
Selon la chaîne panafricaine Afrique Média, les manifestants ont dénoncé « les ingérences étrangères dans les affaires internes du Niger ». « Nous disons Non à la France, nous ne voulons pas de la France. Cela fait des années que les français pillent nos richesses », dénonce un manifestant au micro d’Afrique Média. « Ça suffit ! Il faut qu’ils partent, on en a ras le bol. Ils nous ont amené que de la détresse. Ils ne sont pas là pour défendre le Niger, mais pour défendre leurs intérêts et pour nous dépouiller de nos ressources », reprend une manifestante.
Plusieurs pancartes ont été hissées durant la manifestations tels que montré par les images des chaines algérienne Al24news et qatarie Al Jazeera : « La France, nous ne voulons plus de vous », « Non à la présence de l’armée française dans notre pays », « France dégage de mon pays », « Le Niger aux nigériens, l’Afrique aux africains », « Armée française allez-vous-en de chez nous! »….
Les manifestations contre la présence militaire française au Niger sont également organisées par l’Union sacrée pour la sauvegarde de la souveraineté et de la dignité du peuple ou le M62. Cette coalition de groupes de la société civile au Niger a critiqué en 2022 « la coopération », qualifiée d’étroite, entre le président Mohamed Bazoum et l’armée française, sans résultats concrets sur le terrain de la lutte contre le terrorisme.
Dénonciation des accords militaires avec la France
Selon la BBC, Abdoulaye Seydou, chef du M62, a été emprisonné par le régime de Bazoum en raison de ces critiques. Le M62 appuie les actions du CNSP qui a dénoncé les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense conclus entre le Niger et la France.
Des accords conclus en 1977, en 2013, en 2015, et en 2020 et concernent, entre autres, « le régime juridique de l’intervention des militaires Français au Niger pour la sécurité au Sahel » et « le statut des militaires Français présents au Niger ». Plus de 1500 soldats français sont stationnés au Niger équipés de blindés, d’appareils de type Mirage et de drones. La présence des militaires français sur le sol nigérien après la dénonciation de ces accords devient problématique. Paris a rejeté les décisions des nouvelles autorités à Niamey. Sébastien Lecornu, ministre français de la Défense, a déclaré, samedi 2 septembre, que le départ du contingent français du Niger « n’était pas au programme ».
« Pourquoi avons-nous des soldats dans ce pays ? Nous ne dépensons pas l’argent du contribuable français pour des raisons symboliques ou par nostalgie, comme je l’entends parfois. Nous y sommes parce que, malheureusement, cette région du Sahel connaît depuis de nombreuses années une activité terroriste importante. C’est vrai au Burkina Faso, au Mali, au Niger et cette pression s’étend aux frontières du Bénin ou de la Côte d’Ivoire par exemple », a soutenu Sébastien Lecornu, dans une interview au quotidien Le Figaro (droite).
Le président Emmanuel Macron a déclaré, pour sa part, que les militaires nigériens au pouvoir n’ont « aucune légitimité » et que la France ne prendra des décisions sur le Niger uniquement « sur la base d’échanges avec le président Bazoum ».
Le CNSP critique Macron
« Les incessants efforts de Macron en faveur d’une invasion du Niger visent à perpétuer une entreprise néocolonialiste sur le peuple nigérien », a réagi le CNSP, par la voix de son porte-parole, le colonel-major Amadou Abdramane, à travers un communiqué lu à la chaîne publique Télé Sahel. Le CNSP accuse le président français de vouloir « instrumentaliser » la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) « pour l’obliger à adhérer au projet néocolonialiste d’invasion du Niger ».
Paris appuie une intervention militaire directe pour rétablir Mohamed Bazoum dans son pouvoir. La Cédéao s’accroche à l’option d’une intervention militaire au Niger mais sans abandonner la recherche de solutions diplomatiques. Le Burkina Faso et le Mali, deux pays membres de la Cédéao, ont dénoncé le choix fait par l’organisation ouest-africaine et décidé de soutenir militairement Niamey en cas d’attaque.
Le 1 août, le M62 a accusé ouvertement Paris de vouloir intervenir militairement au Niger « pour protéger ses intérêts, quitte à tuer des milliers de personnes au Niger ».
Paris refuse de rappeler son ambassadeur à Niamey
« Contrairement à la rhétorique macronienne, qui consiste à dire que les militaires ont abandonné la lutte contre les terroristes pour les privilèges du pouvoir à Niamey, nos forces de défense et de sécurité sont plus que jamais engagé à poursuivre la lutte acharnée contre les forces terroristes, d’ailleurs soutenues par la France qui, jusqu’ici, prétendait nous aider dans cette lutte », a soutenu Amadou Abdramane. A Bamako, les autorités maliennes ont également accusé précédemment Paris de « soutenir les terroristes » au Sahel. Paris a depuis mis fin à l’opération militaire Barkhane au Mali.
Amadou Abdramane a reproché à Mohamed Bazoum, qualifié de « régime défunt », d’avoir consacré la relation « Patron-client, maitre-sujet » entre le Niger et la France.
La tension entre Niamey et Paris est à son apogée. Le Niger a, selon l’agence AFP, retiré l’immunité et le visa diplomatiques de l’ambassadeur de France, Sylvain Itté, et exigé son «expulsion», selon un arrêté du ministère de l’Intérieur daté de jeudi 31 août 2023. Niamey considère donc l’ambassadeur et son épouse comme des persona non grata.
Paris, dans un précédent dans les relations internationales, refuse de rappeler son ambassadeur. Macron a salué « le travail » fait par la représentation diplomatique française au Niger.