Secouristes et volontaires s’activent vendredi à la recherche de milliers de personnes portées disparues à Derna, après des inondations meurtrières qui ont dévasté cette ville côtière de l’Est de la Libye.
« On a toujours espoir de trouver des survivants », a déclaré à Genève Tamer Ramadan, de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), se refusant à donner un bilan humain cinq jours après la catastrophe.
Des équipes du Croissant rouge libyen « recherchent toujours d’éventuels survivants et dégagent des corps des décombres dans les quartiers les plus endommagés » de Derna, a déclaré à l’AFP son porte-parole, Taoufik Chokri.
D’autres équipes tentent vendredi de faire parvenir de l’aide à des familles dans la partie est de la ville, épargnée par les flots mais isolée en raison des routes coupées, a-t-il ajouté.
M. Chokri a déploré un taux de « destruction très important » dans la ville, refusant à son tour d’avancer des chiffres sur le nombre des victimes.
Le responsable de l’ONU pour les situations d’urgence, Martin Griffiths, a également estimé qu’on ne connaissait « toujours pas l’étendue » exacte de la catastrophe humanitaire.
Outre les dégâts considérables, des responsables du gouvernement de l’Est de la Libye touché par les inondations, non reconnu par l’ONU, évoquent au moins 3.000 morts, mais beaucoup craignent un bilan beaucoup plus lourd.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a fait état de plus de 38.000 déplacés dans l’Est, dont 30.000 à Derna. « Au moins 10.000 » personnes sont en outre portées disparues, selon l’ONU.
Le travail des secours et des équipes de recherche est considérablement entravé par le chaos politique qui prévaut dans le pays depuis la mort du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, avec deux gouvernements rivaux, l’un à Tripoli (ouest), reconnu par l’ONU et dirigé par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, et l’autre dans l’Est, affilié au camp du puissant maréchal Khalifa Haftar.
La catastrophe a suscité toutefois un élan d’aide sans précédent dans les deux camps, dont les chaînes de télévision ont diffusé simultanément vendredi pour la première fois, un téléthon au profit des habitants des villes sinistrées, en particulier Derna.
Des télévisions pro-Haftar ont annoncé plus tard l’arrivée du maréchal dans la ville de Derna pour « suivre les opérations de secours ».
Le déferlement d’eau dans la nuit de dimanche à lundi, provoqué par la tempête Daniel, a rompu deux barrages en amont, provoquant une crue violente de l’oued qui traverse la ville et des flots de plusieurs mètres de haut, selon des témoins.
« Emportés par les flots »
Selon un photographe de l’AFP sur place, le centre-ville de Derna ressemble désormais à un terrain aplati par un rouleau compresseur. Les arbres ont été déracinés, les immeubles et les ponts détruits.
« L’eau était chargée de boue, d’arbres, de morceaux de fer, les flots ont parcouru des kilomètres avant d’envahir le centre-ville et d’emporter ou ensevelir tout ce qui se trouvait sur leur chemin », a déclaré à l’AFP Abdelaziz Bousmya, 29 ans, qui vit dans un quartier épargné par les inondations.
« J’ai perdu des amis, des proches. Ils sont soit ensevelis sous la boue, soit ont été emportés (…) vers la mer », a-t-il ajouté.
Selon lui, les autorités libyennes n’ont pas pris les mesures nécessaires pour se prémunir de la catastrophe, se contentant d’ordonner aux habitants de rester chez eux en prévision de la tempête.
Depuis, des dizaines de corps sont découverts chaque jour et enterrés parfois dans des fosses communes. De nombreuses personnes ont été emportées vers la mer Méditerranée qui a rejeté des dizaines de cadavres, faisant craindre des épidémies liées à leur décomposition, selon les autorités sanitaires.
L’ONU, les Etats-Unis, l’Union européenne et de nombreux pays de la région ont promis de l’aide. Des équipes de secours étrangères sont déjà à l’oeuvre à la recherche d’éventuels survivants.
Dilemme
Les autorités se retrouvent face à un dilemme: garder les cadavres dans l’attente de leur identification ou les enterrer rapidement pour éviter leur décomposition, la capacité des morgues étant très limitée, selon le porte-parole du ministère de l’Intérieur du gouvernement de l’Est, Tarek al-Kharraz.
Le Bureau de coordination humanitaire de l’ONU (Ocha) a lancé un appel de fonds de plus de 71 millions de dollars pour venir en aide immédiatement aux quelque 250.000 personnes les plus touchées par les inondations. Il a estimé par ailleurs à quelque 884.000 le nombre de personnes affectées directement par la catastrophe.
De son côté, le Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé avoir commencé à fournir une aide alimentaire à plus de 5.000 familles déplacées par les inondations, précisant que des milliers d’autres à Derna sont « sans nourriture ni abri ».