A l’occasion du centenaire de la naissance de Mohammed Dib, ce monument de la littérature algérienne, un ouvrage a été édité en août dernier offrant un regard rétrospectif sur la quête littéraire dibienne et une lecture novatrice de son œuvre encore trop peu connue. Voici donc un livre indispensable à lire en cette rentrée pour tenter d’entrevoir les arcanes du sens patiemment et savamment recherchés, durant sa vie entière, par l’auteur de l’Incendie et de Simorgh.
L’infante maure, Le Talisman, Si Diable veut, Laezza, Le maître de chasse, Neiges de marbre, Le désert sans détour, L’Infante maure, Cours sur la rive sauvage… Ce ne sont là que quelques-uns de ses romans cités pêle-mêle tant il est difficile de tenir le compte de l’ensemble des titres constituant son œuvre unique en son genre. Et c’est précisément de genres qu’il s’agit dans cet ouvrage collectif rassemblant les actes du colloque de Cerisy tenu en 2021 et qui a été consacré à la théâtralisation des genres. Initialement prévu en 2020, année effective du centenaire de la naissance de Mohammed Dib, le colloque a dû être reporté en 2021 en raison des conditions sanitaires particulières ayant imposé un confinement généralisé.
Grâce à cet ouvrage donc, le lecteur pourra approcher cette écriture par fragments – qui caractérise tant les dernières parutions de Mohammed Dib – et qui participe de cette dimension politique de pratique de l’art d’écrire. Ces fragments ne sont-ils pas une sorte de « produits de bris et de naufrages », a écrit Mohammed Dib quand il a illustré dans Laëzza la forme actuelle de visibilité de l’être en général et de l’art en particulier.
Dans cet ouvrage aussi, le lecteur pourra découvrir un auteur insoupçonné tant Mohammed Dib a été si souvent et injustement confiné dans ce que la critique universitaire a appelé la « trilogie Algérie » rassemblant en un seul bloc L’Incendie, la Grande Maison et le métier à tisser, romans parus entre 1952 et 1957. Pour faire émerger la quête littéraire de Dib, les contributeurs de cet ouvrage ont plutôt choisi d’interroger son œuvre dans sa totalité créatrice et dans son universalité. Ils ont ainsi mis en avant le rapport nouveau qui se dégage entre l’être et sa représentation et le théâtre des genres qui décline des formes nouvelles de visibilité politique et littéraire.
L’interrogation majeure que formule cet ouvrage a trait à la parole et au pouvoir de nomination dans leurs rapports avec l’imaginaire et les différents réels polysémiques et les constructions dynamiques du sens chez Dib. On y trouve en quelque sorte une pratique politique de la littérature qui introduit sur la scène du commun des objets et des sujets nouveaux. Cette pratique examine aussi les différents discours sur le monde pour montrer comment ils opèrent quand ils interprètent, créent ou transforment le monde, objet de leurs discours.
Cet ouvrage collectif est d’autant plus intéressant qu’il aborde des questions imposant des approches pluridisciplinaires et un certain éclectisme méthodologique à la mesure de la complexité de l’œuvre de Mohammed Dib. En effet, quand Naget Khadda nous met sur le chemin de l’esthétique de l’abstraction dans le texte dibien, Charles Bonn nous engage dans la réécriture autobiographique et nous dévoile la continuité de l’œuvre dibienne à travers des périodes différentes. Réda Bensmaia entreprend, lui, de nous faire découvrir le versant philosophique de son œuvre en même temps que cette difficulté symptomatique à inscrire les textes dibiens dans un genre particulier. D’autres chercheurs et spécialistes de Mohammed Dib nous conduiront avec justesse sur les bocages du genre et du sens et nous feront entrevoir les correspondances et les hypostases dibiennes en lien avec une écriture hermétique, miroitante et solidaire.
Autant dire que cet ouvrage collectif aidera les lecteurs à mieux appréhender les rapprochements, les récurrences, les retours et les rayonnements textuels tout comme l’essence polymorphe des personnages dibiens. Il répondra plus ou moins à la conception même que l’auteur se fait de son œuvre : « La même matière, le même univers, la même œuvre – si on veut ! – mais rien qui progresse linéairement, tout droit devant. Plutôt, qui pousse par récurrences, à la façon d’une étoile et, comme tel, rayonne dans tous les sens, plus fort dans un sens à un moment donné, plus fort dans un autre à un autre moment », écrit Dib dans L’arbre à dires.
*A découvrir et à lire : Le théâtre des genres dans l’œuvre de Mohammed Dib, sous la direction de Charles Bonn, Mounira Chatti et Naget Khadda avec la collaboration d’Assia Dib
*Éditeur : Presses universitaires de Rennes, Collection : Interférences, ISBN : 978-2-7535-9310-7, Nombre de pages : 244 p. Illustrations : N & B, Prix public : 20,00 €. Année d’édition : 2023