« Le marin des montagnes (o marinheiro da montanha) du réalisateur brésilien d’origine algérienne Karim Aïnouz a été projeté, en avant première algérienne, aux 18ème Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB) qui se sont déroulées du 23 au 28 septembre 2023.
En janvier 2019, Karim Aïnouz, né d’un père algérien et d’une mère brésilienne, se rend pour la première fois en Algérie, avec l’idée de faire le repérage pour un film avant de retourner. Finalement, il réalise « Le marin des montagnes », un documentaire conçu sous la forme d’un road-movie et basé sur une narration aux tons mélancoliques. Il s’agit d’une longue lettre envoyée post-mortem à Iracema, la mère du cinéaste.
Karim Aïnouz, qui a passé le plus clair de sa jeunesse dans la ville côtière de Fortaleza, au nord-est du Brésil, sur l’océan Atlantique, raconte le milieu marin et les recherches faites par sa mère biologiste sur les algues rouges. Un rouge qui colore parfois les images d’un documentaire composé comme une fresque avec des photos d’archives familiales, des images prises sur le vif, des évasions visuelles presque surréalistes, des jets frais de poésie et des notes de fantaisie. Des images d’une caméra Super 8 sont également utilisées d’une manière soigneuse.
« J’ai un rapport important avec la couleur quand je fais des films. J’aime tourner en pellicule quand je le peux. La matière utilisée vient de ma mémoire d’enfants lorsque je regardais les photos de ma mère conservées dans une boîte. Cela ressemblait à des photos d’un plateau de film. Un photo-roman avec une narration sur un couple, ma mère et mon père », a confié Karim Aïnouz, lors d’un débat organisé au musée Bordj Moussa à Béjaia.
Un regard étonné sur Alger«
Dans mon bureau à Berlin, je garde tout ce que je fais en super 8. J’ai gardé aussi les rushes de mes tournages, des débris de tournage qui n’étaient pas censés être un film. Je rêvais de réaliser un film sur la maison où j’ai grandi avec ma mère (aux Etats Unis). J’ai gardé des bobines sur le tournage fait dans cette maison. Une partie de cette matière a été utilisée dans le documentaire », a-t-il ajouté.
Le cinéaste a filmé, lors qu’il étudiait l’histoire du cinéma à New York, sa mère et sa grand mère, une manière de garder leur mémoire. Le premier court métrage de Karim Aïnouz, sorti en 1992, était consacré à sa grand mère.
Dans son documentaire, « Le marin des montagnes », déjà projeté dans une séance spéciale au festival de Cannes, Karim Aïnouz, qui a vécu à New York et qui vit à Berlin, découvre Alger avec un regard curieux, parfois étonné.
Il filme Alger la nuit, une ville sans animation, parle avec des jeunes chômeurs pris par le désir de partir, d’autres chantent et dansent dans une ruelle plongée dans une semi-obscurité, montre des gens dans les cafés populaires et des boutiques. Il met des personnes choisies au hasard face à la caméra, certaines se contentent de regarder sans réaction, d’autres sourient. Le cinéaste donne l’impression de vouloir se retrouver dans le regard des Algériens. Les images de Juan Sarmiento sont parlantes.
De l’autre côté du monde
Taguemount Azzouz, village natal du père de Karim Aïnouz, est filmé parfois à partir d’un cimetière ou d’un passage étroit. Le regard du cinéaste est enveloppé de tristesse. La tristesse d’avoir perdu un père qu’il ne l’a pas été suffisamment, à ses yeux. La beauté du village kabyle est happée par cette peine personnelle.
A Taguemount Azzouz, Karim Aïnouz, l’algérien qui vient de l’autre côté du monde, est bien accueilli. Les familles lui offrent du couscous et du café. Cette générosité marque ce réalisateur dont le talent artistique est reconnu à travers toute la planète. Cette marque de confiance lui fait oublier, quelque peu, la douleur d’un père évanescent.
« Ce film n’est pas seulement sur la découverte d’un pays ou la rencontre avec les origines, mais aussi sur la mémoire de ma mère, de mes parents. C’est une autofiction », a-t-il confié. Karim Aïnouz, qui est architecte de formation, a estimé nécessaire de construire ce film à partir d’une matière diverse pour dire ce qu’il avait sur le cœur à l’adresse de son père. Un père absent.