Le dramaturge, metteur en scène et acteur Slimane Benaïssa prépare trois nouvelles pièces de théâtre. Il a animé, dimanche 8 octobre, une rencontre à la faveur du 14 ème Festival local du théâtre professionnel de Guelma qui se poursuit jusqu’au 11 octobre 2023.
« Je prépare une pièce sur le fléau de la bureaucratie en Algérie et une autre intitulée « Chi’ib yekhd’a ou el mal men yenf’a ». Et je n’ai pas encore trouvé un titre pour la troisième. Mon ambition en Algérie est de faire oublier la pièce « Babor Ghraq ». Je ne veux pas être l’auteur de cette pièce uniquement. Ma possibilité est ailleurs », a-t-il déclaré lors d’un débat animé par l’universitaire Ahmed Cheniki, à la maison de la culture Abdelmadjid Chafaï, à Guelma.
Il a estimé que les trois nouvelles pièces feront oublier « Babor Ghraq » (le bateau a coulé), une pièce présentée la première fois à Tizi Ouzou en mai 1983, dans laquelle Slimane Benaïssa a partagé la scène avec Omar Guendouz et Sid Ahmed Agoumi.
« Aujourd’hui, je n’ai plus les mêmes conditions de montage et les mêmes qualités d’acteur que j’avais avant. Donc, il faut que je trouve une façon de faire du théâtre », a confié Slimane Benaïssa.
La pièce « Babor Ghraq » jouée 400 fois
Une pièce rigoureusement écrite doit, selon lui, être rigoureusement jouée. « Je prends le temps de monter ma pièce. Avec un travail de formation, j’amène les acteurs vers ce que je veux faire. Le plus difficile dans le théâtre n’est pas d’atteindre le personnage dans les répétitions mais de maintenir ce personnage sur 400 représentations », a-t-il dit.
Il a rappelé que « Babor Ghraq », une tragicomédie critiquant le contexte politico-social des années 1980 en Algérie, a été jouée 400 fois. C’est l’histoire de trois hommes surpris par une panne de leur embarcation au milieu de la mer.
« Le spectateur doit voir la même pièce. Sinon chacun racontera une autre pièce à son ami. Il faut maintenir dans le temps, les nuances et les subtilités qui peuvent poser problème. Le spectacle peut être différent à cause de l’espace, de l’éclairage, du son, mais c’est la même pièce », a insisté le metteur en scène.
Revenant sur ses différentes pièces, écrites, mises en scène ou produites depuis 1967, Slimane Benaïssa a évoqué l’importance de la langue et de la compréhension du contexte social dans lequel une pièce est produite. « Il faut respecter le public. Et le respect passe par la qualité de la langue utilisée. Aussi, ai-je beaucoup travaillé sur la langue dans mes pièces. La langue est liée à la structure, à la construction du personnage », a-t-il dit.
« Nous ne faisons pas de théâtre pour s’amuser entre nous »
« Nous ne faisons pas de théâtre pour s’amuser entre nous ou pour de l’esbrouffe. C’est au public de se sentir fier de ce que nous faisons. Si le public n’avait pas cette sensation, nous aurions échoué dans notre démarche », a relevé Slimane Benaissa.
Et d’ajouter : « Nous devons nous intéresser à la construction de la pièce théâtrale algérienne. La structure mentale est différente d’un peuple à un autre. C’est là où l’identité rentre. Nous devons sentir l’identité algérienne au millimètre dans une pièce. Il suffit parfois d’un mot pour secouer le public. L’identité est dynamique. Nous nous avançons vers la civilisation avec notre identité et notre culture ».
Slimane Benaïssa dit refuser l’image du personnage « folklorique » qui peut être construit à partir de positions idéologiques, comme c’était le cas dans les années 1970 en Algérie, à l’époque du socialisme.
« C’était une façon de parler de notre société qui, pour moi, était dégradante. Il fallait sortir de tout cela. Dans la pièce « Boualem Zid el goudam », il y avait quatorze scènes. Dans chaque scène, Boualem a un niveau d’instruction différent. Cette mobilité du niveau culturel du personnage souligne que Boualem n’est ni ouvrier ni cadre ni paysan…Il est tout à la fois. Si le personnage est construit pour qu’il soit le représentant d’une personne et pas d’une société, c’est là qu’il aura toute la force d’expression. Le personnage de théâtre doit être d’un haut niveau pour porter les paroles à dire sur scène », a-t-il estimé.
« Dans l’enfermement, les personnages se radicalisent »
« Avec Omar Guendouz, Sid Ahmed Agoumi et moi, nous nous disions que si nous arrivions à capter l’attention du public durant les cinq premières minutes, nous aurions réussi, gagné les spectateurs à notre cause », a-t-il confié.
Boualem, qui a évolué dans les pièces de Slimane Benaïssa, est, selon lui, un personnage abstrait adaptable « à n’importe quel travail théâtral ».
« Il représente l’ensemble des gens révoltés sans être inscrits dans une révolution. Il affirme tous ses refus, mais on ne sait pas où est son « oui ». Quelqu’un avait comparé Boualem à un sorte de Djeha moderne avec sa malice, son humour et sa pertinence. C’est un personnage qui a un regard lucide et qui essaie de voir où sont les contradictions », a souligné le metteur en scène de « Boualem zid el goudam », pièce produite en 1974.
Il a estimé que la meilleure façon de voir ce qui se passe entre deux personnages, dans une pièce de théâtre, est de les enfermer. « Dans « Boualem zid el goudam », le désert est un enfermement, un espace immense et dangereux qu’on contrôle plus. Dans « Babor ghraq », c’est la mer qui est un enfermement. Dans « Youm el djema’a », les personnages sont enfermés dans leur chambre. Dans l’enfermement, les personnages se radicalisent, leurs questions sont poussées jusqu’au bout », a-t-il analysé.
« Bouguermouh était plus proche de l’univers de Alloula »
En 1978, Slimane Benaïssa a adapté « El Mahgour » (le méprisé). « C’est une pièce d’origine russe qui m’a été proposée par Abdelmalek Bouguermouh. Dans cette pièce, le fils se révolte contre le père, crée un syndicat à la maison. Bouguermouh aurait pu proposer à Abdelkader Alloula de monter cette pièce. Bouguermouh était plus proche de l’univers de Alloula, mais il avait plus confiance en moi dans l’adaptation que Alloula. Il m’a choisi sur le conseil du journaliste Kamel Bendimerad. Alloula était dans un courant de pensée qui faisait que ses pièces se reproduisent », a-t-il soutenu.
Il a confié n’avoir jamais travaillé pour être différent de Abdelkader Alloula ou de Kateb Yacine. « J’ai toujours voulu être moi même. La voie que j’ai prise dans le théâtre prend en compte la langue, la façon de raconter une histoire, la construction des personnages. Les expériences différentes des années 1960 et 1970 ont abouti à l’élaboration d’un théâtre algérien, avec des pièces vues et appréciées par le public », a-t-il souligné.
Selon lui, le théâtre fait par Kateb Yacine répondait plus à une expérience algérienne qu’à une certaine inspiration venue d’ailleurs.
Slimane Benaïssa a critiqué la formation actuelle des acteurs à l’Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l’audiovisuel (ISMAS) : « J’ai fait des master class dans cet institut. J’ai constaté une négligence dans la formation. Les feuilletons ont absorbé les jeunes acteurs. Je prend l’exemple de mon fils, Khaled Benaissa. Il est excellent dans les feuilletons et dans le cinéma, mais il ne fera pas de théâtre. Il sait que c’est un autre métier. Un acteur de télévision ou de cinéma n’est pas un acteur de théâtre. Un acteur de théâtre peut aller au cinéma, mais pas le contraire. Certains ne font du théâtre qu’en fin de carrière ».