Le 12ème Festival international de Béjaia (FITB) a été clôturé, vendredi 20 octobre au Théâtre régional Abdelmalek Bouguermouh, par la présentation de la pièce “Akadimiat el dhahk” (l’Académie du rire) du metteur en scène syrien Samir Othman Al Bash, d’après un texte du dramaturge et scénariste japonais Mitani Kôki, “L’université du rire”. La pièce est produite par la troupe Madrast el fan el masrahi (L’école de l’art théâtral) de Damas.
La pièce, qui puise autant dans la satire politique que dans la comédie noire, s’attaque de front à la censure. Un fonctionnaire “lecteur” de textes dramatiques (Lojain Ismail) reçoit un matin un dramaturge (Karam Hanoun), venu présenter une pièce, une adaptation de la tragédie de William Shakespeare, “Roméo et Juliette”. Le censeur, qui estime que le théâtre n’a pas d’utilité sociale, ordonne de revoir le texte, Roméo, l’amoureux, sera alors remplacé par Hamlet, le vengeur. Le censeur, qui pense avoir droit de vie et de mort sur les textes, impose des scènes et des expressions comme “Vive la patrie !”. Le dramaturge, qui fait des concessions, déploie de grands efforts de persuasion pour amener le censeur à voir “autrement” la création artistique.
“Akadimiat el dhahik” est une pièce audacieuse qui critique aussi le rôle du comédien dans une société où l’image impose ses règles. Rencontre avec le metteur en scène Samir Othman Al Bash qui est également enseignant à l’Institut supérieur des arts dramatiques de l’université de Damas. Un institut de grande réputation.
24H Algérie: “Akadimiat el dhahik” (l’Académie du rire) est une pièce qui évoque ouvertement la censure de l’art théâtral. Une censure qui peut être bureaucratique et froide autant en Syrie que dans la région arabe. Parlez-nous de cette pièce qui malgré sa longueur, près de deux heures, est marquée par un rythme soutenu et une action continue sur scène ?
Samir Othman Al Bash: On se rend finalement compte que l’art finit par adoucir la pierre. Le censeur est devenu plus souple dans ses jugements dès qu’il a commencé à apprécier l’art. Au fur et à mesure que la discussion évolue avec le jeune dramaturge, ce bureaucrate a aimé le théâtre devenant même participant au travail artistique alors qu’il trouvait au début que cet art n’a pas d’intérêt pour la société. A mon avis, l’artiste doit être patient et persévérant pour faire passer ses idées et défendre ses valeurs. Des valeurs humaines. Les artistes sont également des combattants dans leur domaine sur scène.
Quelle a été la réaction des autorités en Syrie par rapport à une pièce théâtrale qui critique clairement la censure politique de l’art ?
Le spectacle n’a pas été interdit en Syrie, on nous a alors dit “mais où est donc la censure que vous évoquez dans la pièce !”. En Syrie, personne ne s’est opposé à notre pièce. Le ministère de la Culture et la direction des théâtres ont adopté ce travail artistique et ont pris en charge notre tournée en Syrie dans les villes de Damas, Homs et Lattaquié. Et, ils nous ont demandé de participer au festival international de théâtre de Béjaïa en Algérie. C’est notre première représentation en dehors de la Syrie. Nous avions une date à Beyrouth en septembre 2023 mais le spectacle a été reporté à fin décembre (…) En Syrie, la censure est plus intelligente qu’on puisse le penser.
La pièce stigmatise aussi le comportement social des comédiens, plus intéressés par leur apparence que par l’art qu’ils font
En fait, nous critiquons tout ce qui nous entoure. Dans la pièce, le corbeau est là pour trouver le sac à poubelle et étaler son contenu sous le soleil. Le sac doit être ouvert (le censeur dit dans la pièce qu’un corbeau est venu s’installer chez lui, le dramaturge lui propose de faire l’élevage de chardonnerets). En fait, la pièce a été écrite par le dramaturge japonais Mitani Kôki. Je l’ai repris à partir de sa traduction russe et adapté à la langue arabe (le syro-libanais) , au contexte et au vécu syrien.
Comment se porte le théâtre actuellement en Syrie ?
Nous avons un merveilleux public du théâtre en Syrie. La plupart des comédiens ont malheureusement migré vers la télévision et les dramas en raison de la situation économique difficile en Syrie. Il reste toutefois des combattants au théâtre. Nous sommes des passionnés, notre but n’est pas de gagner de l’argent. Au théâtre, on peut dire beaucoup de choses. Sans amoindrir de l’importance des autres arts, comme le cinéma ou la télévision, le théâtre exige beaucoup d’efforts. Le contact est direct avec le public.
Qu’en est-il du public du théâtre en Syrie ?
Le public du théâtre est très large. En Syrie, nous avons présenté notre spectacle en sold out. Le spectacle était prévu à 19 h, la salle était déjà remplie à 100 % à 17 h. Les gens ont donc attendu la pièce pendant deux heures sans bouger de leur place. Les gens qui n’ont pas pu entrer étaient tout aussi nombreux.
Pourquoi cet engouement ?Les gens ont besoin d’entendre quelque chose de sincère. Ils veulent débattre avec nous sur le spectacle, cherchent l’interactivité. Cette interactivité n’est pas possible aux dramas de la télévision.
Justement, quel type de spectacle cherche à voir le public syrien actuellement ?
Le public a besoin d’un certain art raffiné qui respecte son goût. Ce n’est pas le genre artistique qui est important. Le public aime la comédie bien menée autant que les pièces dramatiques qui évoquent ce qui le touche le plus. Notre précédente pièce, avant “Akadimiat el dhahik”, a eu beaucoup d’écho. Nous souhaitons que les choses s’améliorent chez nous pour inviter des troupes algériennes en Syrie. Nous avons constaté un grand développement de l’art théâtral en Algérie.
Les comédiens algériens font preuve de grandes qualités. Nous aspirons à ce que le festival du théâtre de Damas, qui était le premier dans le monde arabe, reprenne. Et, notre espoir est que le théâtre algérien soit présent dans ce festival. J’ai travaillé sur des textes d’écrivains algériens. Actuellement, je travaille sur un feuilleton en Tunisie avec le comédien Loujain Ismaïl.