Benaouda Lebdai est Professeur des Universités, Le Mans Université et Université d’Alger 2. Spécialiste de littératures coloniales et postcoloniales comparatives, il a publié à ce jour quinze ouvrages critiques dont cet essai Afrique du Sud, Histoire et littérature publié chez les éditions Casbah à l’occasion du SILA 2023. Dans cet entretien à 24H Algérie, il explique les raisons qui ont abouti à l’écriture de cet essai mais aussi ses autres publications et les relations qui lient l’Algérie à ce grand pays d’Afrique.
Pourquoi un livre sur l’Afrique ?
L’Afrique du Sud est un pays qui m’a toujours attiré sur le plan de la recherche en tant qu’africaniste et la proximité de l’histoire de ce pays avec l’Algérie a été un des moteurs de mon implication dans les études sud-africaine. C’est un travail sur le long cours. A un moment donné il fallait que je démontre combien la littérature sud-africaine est imprégnée de l’histoire de l’Afrique du Sud. En plus de toutes ces questions il y a le fait que j’ai visité l’Afrique du Sud dans les années 2000-2020. C’est un pays très attachant, lorsque l’on s’y trouve il y a des vibrations, de l’émotion. Le peuple sud-africain communique énormément avec les étrangers. Tout cet amalgame de sentiments et de réflexions m’ont poussé à entreprendre ce travail. En plus, les deux personnages historiques que sont Winnie Mandela et Nelson Mandela sur lesquels j’ai travaillé ont été une motivation.
Ce pays reste si lointain et en même temps si proche de l’Algérie, qu’est-ce que vous pouvez dire de cette relation si particulière?
L’Algérie et l’Afrique du Sud se sont les deux plus grandes puissances militaires d’Afrique. Et il se trouve que leurs histoires se synchronisent. Les algériens étaient des citoyens de seconde zone durant la colonisation, en Afrique du Sud il y a eu l’Apartheid. Il y a eu aussi une vrai séparation entre la population noir et la population blanche. Le second élément c’est la volonté de la Grande Bretagne, de la Hollande au début, d’installer une colonisation de peuplement, comme la France a voulu le faire en Algérie. Ce n’était pas un protectorat comme en Tunisie ou une colonisation comme d’autres pays d’Afrique. Il s’agissait de nier la présence de l’autochtone au profit d’une population importée d’Europe et à qui on donnait des terres dès son arrivée. En Afrique du Sud les hollandais qui sont devenu des afrikaners ont décidé que l’Afrique du Sud était une terre vierge. Ils ont créé ce mythe parce que les Zoulous, les sud-africains noirs, était des nomades et n’avaient pas de constructions de villages comme en Algérie, et les blancs considéraient que c’était eux les premiers habitants de cette terre. En 1961 les afrikaners ont décrété l’indépendance de ce pays. Au presque même moment les colons en Algérie quittaient ce pays qui allait être indépendant. C’était un peu le projet des pieds noirs.
Dans le livre vous préconisez de revisiter le passé afin d’instruire le présent et construire l’avenir. Comment peut-on restituer à travers la littérature l’histoire d’un pays ?
Tout au long de l’histoire de l’Afrique du Sud les blancs disaient que les sud-africains noirs n’existaient pas, et si éventuellement ils existaient ils n’avaient pas de culture, c’étaient des sauvages qu’ils fallait éliminer. Face à cela il y avait la culture orale qui se transmettait de génération en génération, qu’il y avait une histoire du peuple sud-africains. Cette histoire s’est inoculée à travers la transmission de la mémoire. Et cette mémoire a été porté par les écrivains sud-africains qui ont commencé à écrire ainsi que les écrivains blancs qui étaient contre le système Apartheids. Ils ont commencé à intégrer cette histoire orale sud-africaine dans les romans pour la faire exister à travers l’écrit.
Vous avez écrits un livre sur Winnie Mandela, pourquoi ce personnage ?
Ce n’est pas une biographie classique, je voulais à travers cet ouvrage aller au-delà de la vie de Winnie, qui au demeurant reste intéressante. Je voulais démontrer que le nom de Neslson Mandela a été maintenu à travers la mémoire des révolutionnaire, grâce à Winnie. C’est à dire si elle n’avait pas existé le nom de Nelson Mandela n’aurait probablement pas eu l’aura que l’on connaît dans la lutte anti-Apartheid. Winnie Mandela a toujours refusé de s’exiler. Elle était la représentante de la lutte en interne. Je voulais donc démontrer que cette femme était une grande militante malgré les difficultés. Elle était resté auprès des femmes des Townships.
L’Afrique du Sud c’est la patrie d’André Brink, de Nadine Gordimer, de Dennis Brutus, de Lewis Nkosi et bien d’autres. Comment cette terre a vu naitre tous ces grands hommes de lettre ?
C’est la souffrance. Dans la mesure où un peuple qui souffre nécessairement produit de grands hommes et c’est une souffrance qui fait que la lutte devient une lutte pour la survie.
Et l’Afrique du Sud aujourd’hui ?
La situation de l’Afrique du Sud aujourd’hui reste difficile, elle reste certes une grande puissance mais au niveau social c’est très compliqué. Ce n’est désormais plus une question de racisme mais de difficultés économiques. Aujourd’hui l’on a une classe de noirs devenue bourgeoise qui se barricade comme le faisaient les blancs, et il y a des blancs, vu qu’il n’y a plus l’Apartheid pour les protéger, se sont appauvris. Et donc le rapport entre les blancs et les noirs ne se pose plus en terme racial. L’autre aspect se pose en termes de gouvernance, Il y a beaucoup de corruption, ce qui créer suffisamment de problème au gouvernement sud-africain. La littérature par contre ne s’est pas arrêté avec la fin de l’Apartheid. Ce n’est plus le racisme comme thématique mais bien la question sociale. La littérature de protestation continue, les écrivains sud-africains luttent autant qu’ils le faisaient auparavant, sauf que la lutte a changé de visage. Aujourd’hui c’est pour l’égalité économique.
Le livre Afrique du Sud, Histoire et littérature, de Benaouda Lebdaï, éditions Casbah 2023, 1200 da
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