Tierno Monénembo, de son nom de naissance Thierno Saïdou Diallo, né le 21 juillet 1947 à Porédaka en Guinée, est un écrivain guinéen et lauréat du prix Renaudot en 2008. Ses romans abordent souvent la question de l’impuissance des intellectuels en Afrique et les difficultés de vie des Africains en exil en France. Monénembo fait partie de ces Africains qui ont choisi de poser leurs valises en Algérie dans les premières décennies de son indépendance. Son roman intitulé « Bled, » comme il le décrit lui-même, est un hommage à l’Algérie.
Dans cet entretien avec 24h Algérie, il évoque ses années passées en Algérie, l’essence de son roman « Bled » et ses observations sur l’Algérie qu’il redécouvre.
24H Algérie: Vous avez vécu en Algérie dans la période fin des années 70 début des années 80, un moment important de la période postindépendance. De mémoire, que pouvez-vous dire de cette période ?
Tierno Monénembo: Je suis venu ici à un moment où l’histoire commençait à changer son cours. Jusque-là, l’Algérie était imprégnée de mythes tels que la révolution, le congrès de la Soummam, le socialisme, etc. Cependant, le décès de Boumedienne remit en question tous ces fondements. Les interrogations fusaient : devions-nous revenir à la tradition ou nous diriger vers le social-démocratisme ou le libéralisme ? Ces choix de société se posaient à l’Algérie à ce moment précis, et c’est à ce moment que le mouvement islamiste fit son apparition. J’ai enseigné un certain nombre d’étudiants de cette tendance, sachant qu’ils abordaient avec moi la tradition musulmane. Je les trouvais intéressants et je les soutenais dans leur volonté de changement et de secouer un peu le statu quo. Malheureusement, ils ne se sont pas contentés de secouer le cocotier, ils ont introduit une violence inouïe dans la société, ce qui est véritablement regrettable. L’Algérie est un pays d’une richesse incommensurable. Il est le point de convergence de multiples éléments, notamment sa géographie qui le positionne au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient. Comme l’a si bien dit Assia Djebar : « nous sommes des sédiments de l’histoire. » Comme des sédiments archéologiques, tous les peuples sont passés par là, des Berbères aux Romains, des Grecs aux Arabes, des Turcs aux Français, laissant chacun sa propre empreinte. Ainsi, l’Algérie est un pays fascinant, et j’avais déjà de nombreux amis algériens en France. Je savais donc à quelle porte frapper et je me suis beaucoup attaché à ce pays. Je reviens fréquemment en Algérie.
Vous aviez écrit « Bled, » que vous aviez dédié à l’Algérie. Comment vous est venue l’idée de ce livre ?
Cette période que j’ai vécue au début des années 80 m’a inspiré ce livre. Après mon séjour en Algérie, je savais déjà que j’écrirais un jour sur ce pays. Ce que j’écrirais exactement, je ne le savais pas, mais j’en étais certain. Après l’assassinat de mon ami Tahar Djaout, c’est devenu une nécessité pour moi, presque un devoir. Depuis cette période-là, j’ai entamé ce roman que j’ai intitulé « Bled. »
30 ans après, vous revenez en Algérie, comment trouvez-vous le pays ?
On ne retrouve pas un pays. On ne se baigne jamais deux fois dans le même cours d’eau. Un pays, c’est comme un cours d’eau, il se renouvelle. L’Algérie n’est plus exactement la même. D’ailleurs, la ville d’Alger a complètement changé, je ne reconnais presque plus rien. Il y a tellement de nouvelles routes, de nouveaux immeubles, les villages ont évolué, le niveau de vie s’est considérablement amélioré. Ce n’est pas tout à fait l’Algérie que j’ai connue. Mon Algérie était différente.