Nadia Agsous vient de sortir son nouveau roman NULLE TERRE AILLEURS. Un roman ? Presque. Historique ? Presque. Une fresque ? Peut être…. L’ouvrage de 196 pages répond à tous ces qualificatifs et semble mêler réalité et fiction. Le récit se passe dans un pays presque sans nom lui aussi. Seules les photos de dix portes, aux noms tout aussi énigmatiques, qui ouvrent l’ouvrage, nous indiquent que nous sommes en Palestine : Beyt al-Nakbah, Beyt Jenine, Beyt Bethléem, Beyt Ariha, Beyt Ramallah, Beyt Naplouse, Beyt Hanina, Beyt Al Khalil, Beyt Ghazza.
Tout serait parti d’une exposition de photos personnelles de Nadia de ces portes à la galerie Angle Art en région parisienne en janvier 2020. Des portes que Yasser Arafat proposait d’ouvrir aux juifs dans un de ces discours en novembre 1974 « Si cette immigration des Juifs en Palestine avait eu pour but de leur permettre de vivre à nos côtés, en jouissant des mêmes droits et en ayant les mêmes devoirs, nous leur aurions ouvert les portes, dans la mesure où notre sol pouvait les accueillir. (…) Mais que le but de cette émigration soit d’usurper notre terre, de nous disperser et de faire de nous des citoyens de deuxième catégorie, c’est là une chose que nul ne peut raisonnablement exiger de nous. C’est pour cela que, dès le début, notre révolution n’a pas été motivée par des facteurs raciaux ou religieux. Elle n’a jamais été dirigée contre l’homme juif en tant que tel, mais contre le sionisme raciste et l’agression flagrante ».
Des personnages intrigants et déroutants à la fois dans le livre… « Ariha, la femme vêtue d’une robe blanche et vaporeuse, brodée de fi ls d’or » et un « porteur de l’histoire du peuple des Revenants résilients un homme borgne à la peau purpurine, aux cheveux blancs, portant un couffin en alfa contenant de la sauge, lmaryamiyya de Falistine ». « L’autre Ariha », « Aymen alias Yamin » , « Thayri », « Layla Ljij »… et une plante : La sauge … plante aromatique et médicinale réputée pour ses propriétés antioxydantes, anti-inflammatoires, antibactériennes et antivirales. Tout un symbole à qui l’auteure consacre une large place dans son récit. Tous ces personnages ne sont qu’un prétexte pour raconter la tragédie palestinienne qui débuta en 1948 avec la NAKBAH qui a vu la déroute des armées arabes face à l’armée sioniste où près de 800 000 palestiniens ont fui ou ont été expulsés de leur terre majoritairement vers les pays voisins après la destruction de centaines de villages par l’armée israélienne. Mais le mot Nakbah est absent du récit (en dehors de la légende de la première porte), remplacé par le « Déluge originel ». Il se dit même que ce terme Nakbah est interdit d’utilisation dans les manuels scolaires de l’entité sioniste.
La première photo de la porte Beyt Al Nakbah en est l’illustration… « Ils arrivèrent en rangs serrés, encerclèrent nos maisons, et alors que nous avions le dos tourné, ils nous poignardèrent dans le cœur de nos viscères. Ils se regroupèrent autour du Grand Temple sacré, prêtèrent serment, et commirent l’hubris pour effacer les traces de notre présence, attester notre absence, et graver leur existence sur la pierre antique de la Ville sainte. ».
Tout s’entremêle dans cet ouvrage : les ‘je’ avec les ‘tu’ et les ‘il,’ la réalité et la fiction, l’espoir et le désespoir, le malheur et le bonheur… des oxymores et des métaphores à foison. Le récit nous tient en haleine car les réponses à certaines questions que se pose le lecteur dès le début de la lecture ne trouvent leurs réponses que vers la fin… « Le porteur de notre histoire te dit : « Va, visite notre terre confisquée. Découvre. Observe. Enregistre. Photographie. Filme. Ne néglige aucun détail. Garde précieusement toutes les preuves ». Des détails ? Nadia ne s’en prive pas rendant parfois le texte un peu lourd. Au hasard de ses rencontres à El-Qods qu’elle a visité à plusieurs reprises, Nadia l’amazigh rappelle l’amitié indéfectible qui a toujours lié l’Algérie au peuple palestinien martyrisé faisant dire à un de ses personnages : « Le peuple amazigh est notre ami. Ce sont des êtres loyaux et vaillants. La révolution qui a mené votre pays à l’indépendance est légendaire. Vous êtes notre modèle et vous êtes les bienvenus sur la terre de nos aïeux ».
Après une première partie consacrée à la « catastrophe » que vécut le « peuple des Revenants résilients », suit une seconde partie plus apaisée dans le ton et porteuse d’espoir au travers des personnages optimistes quant à l’avenir de cette Palestine qui n’est presque jamais nommée par son nom mais par le qualificatif de « Nulle terre ailleurs ».
On peut imaginer aisément le temps qu’a fallu à Nadia pour écrire ce récit qui nous transporte dans un environnement mouvant. Comme on peut imaginer sa fierté d’avoir achevé ce roman en ces termes :
« Khlass ! J’ai mis un point final à ma fiction. C’est fini ! L’histoire du peuple, les Revenants résilients que j’ai inventée de toutes pièces est désormais achevée. Et dire qu’il m’a fallu de longs mois pour que je trouve l’inspiration et clore l’épopée que j’avais imaginée à partir d’une virée dans les dédales des ruelles d’El-belda el kadima, à Al-Qods-Jérusalem, en mai-juin 2014 ».
L’ouvrage a été écrit bien avant le 7 octobre dernier, date du début de la nouvelle tragédie que vivent les palestiniens à Ghaza. Prémonitoire ! Une nouvelle Nakbah menace encore une fois ce peuple épris de paix et de liberté soumis à un véritable génocide de la part de l’entité sioniste. A aucun moment l’auteure ne s’attarde sur cette entité. Tout le récit consiste à décrire l’environnement d’une ville à l’histoire millénaire. C’est ce que nous confirme Nadia « Le roman ne cherche pas à attiser la haine. Il ne cherche pas à accuser, à stigmatiser. Il invite à re-découvrir Al-Qods-Jerusalem, la tragédie Palestinienne. Il exhorte à sortir de l’ombre. De l’oubli, de l’indifférence les Palestiniens et leur cause ».
Interrogée sur ses motivations et son style, Nadia nous affirme que « Lors du processus d’écriture de l’histoire, j’ai fait plusieurs pauses non pas par manque d’inspiration mais par un souci d’exigence. Je ne voulais pas écrire une histoire banale. C’est grâce à ces pauses que j’ai enrichi cette histoire avec celle de Yamin et de sa fille, Layla Itij qui repensèrent la relève dans la lutte de la cause des revenants résilients ».
Ni l’histoire, ni le style, ni les personnages ne sont banals.
L’auteure achève son ouvrage par une lettre poignante de la narratrice à ses personnages à laquelle ils n’ont pas répondu.
*Nulle terre ailleurs. Nadia Agsous. Editions MAIA