Faut il réhabiliter le régionalisme?

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Deux manifestantes portant le drapeau algérien et amazigh
Deux manifestantes portant le drapeau algérien et amazigh
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La régionalisation souffre du mauvais sort que l’histoire politique du pays a jeté sur le régionalisme. La constitution algérienne encombrée d’injonctions moralisantes en reflète parfaitement le malentendu. Elle jette le discrédit sur le régionalisme. Dans son article 10 elle interdit aux institutions « les pratiques féodales, régionalistes et népotiques ».

Cet amalgame suffit à conforter une définition du régionalisme abusivement négative. Intercalé entre le féodalisme, la domination archaïque, et le népotisme, le favoritisme, le régionalisme prend forcément un sens péjoratif. Pourtant rien ne prédestinait ce concept à une telle dévalorisation si ce n’est l’obsession des partisans de l’Etat centralisé à préserver leurs pouvoirs.

Le régionalisme se définit comme le système de gouvernance qui attribue des pouvoirs aux régions qui composent un pays. Il présuppose l’existence d’un pouvoir central et une régionalisation du pays sur la base de critères admis par les principaux intéressés, les populations locales. Il implique une répartition des pouvoirs. Régionalisme et pouvoir central sont donc indissociables. Dans notre pays, le régionalisme n’a pas toujours connu ce bannissement.

Le régionalisme dans la lutte pour l’indépendance

Un regard sur notre histoire relativement récente, celle de la guerre de libération nationale, devrait nous réconcilier avec le régionalisme. En effet, le dispositif militaire français a placé la résistance algérienne dans l’impossibilité d’assurer un commandement centralisé. Le CCE, comité de coordination et d’exécution du FLN, est contraint de s’exiler à Tunis après la « bataille d’Alger ».

Le GPRA s’installe également dans cette ville. L’état-major général de l’ALN stationné à Oujda n’est pas en mesure pour des raisons d’éloignement et de rivalités au sein du GPRA d’assurer la direction centralisée de l’ALN. C’est dans ces conditions que s’est imposée une organisation régionalisée de la lutte de libération.

Les six (06) wilayas historiques ont conduit avec de larges prérogatives les luttes armée et politique. Elles l’ont fait avec adaptation aux conditions locales et au plus près de la population. Ce qui correspondait à la guerre de guérilla menée contre l’armée française. L’orientation générale de la lutte de libération nationale ne s’en est pas trouvée altérée ni contrariée.

La fermeture des frontières avec le Maroc et la Tunisie par l’armée française réduisait considérablement les possibilités d’approvisionnement en armes. Mais l’autonomie des wilayas historiques a permis de maintenir la présence de la guérilla dans le pays. Certes, l’indépendance acquise aubout des sept (07) années de guerre ne résulte pas d’une victoire militaire.

Le harcèlement des troupes françaises et les liens avec la population ont apporté leur part dans le combat global mené par l’ensemble du mouvement de libération. L’action diplomatique du pouvoir central, le GPRA, a joué un rôle aussi décisif dans la vie politique internationale.

C’est donc cette action conjuguée du régionalisme, les wilayas historiques, et du pouvoir central, le GPRA, qui a mené l’Algérie vers l’Indépendance. On peut légitimement affirmer que par le régionalisme, le nationalisme algérien a donné sa pleine mesure. La cassure entre le régionalisme, les wilayas historiques, et le pouvoir central, l’état-major général de l’ALN qui s’est substitué au GPRA, a affaibli l’Algérie dans sa construction indépendante. La suprématie du pouvoir central marque jusqu’à présent nos institutions et les mœurs politiques du pays. Elle donne encore plus de consistance à l’autoritarisme de l’Etat central.

Le centralisme, une tradition du nationalisme

Le nationalisme algérien dominé par le PPA-MTLD rejetait toute manifestation de la diversité des populations présentes sur le territoire national. Il s’est particulièrement illustré lors de la « crise berbériste » de 1949. Prisonnier d’une conception étroite et monolithique de la Nation, il en venait à assimiler la diversité à la division. Cette hantise de la division n’est pas étrangère au volontarisme dont ont fait preuve les initiateurs de la guerre de libération.

Confrontés à de multiples résistances dans leur travail de mobilisation, ils en sont venus à vouloir forcer les changements de mentalités et de comportements des algériens. La course de vitesse qu’ils ont engagée contre l’armée coloniale leur semblait justifier leurs exigences de soumission à leur orientation. Elle a alimenté une suspicion ravageuse. Privilégier les résultats à court terme conduit à sacrifier les objectifs à long terme. Les maquisards se sont quelquefois aliéné des populations que rien ne destinait à la collaboration. Cette tradition centralisatrice et volontariste du nationalisme algérien conduira au parti unique et à l’Etat autoritaire.

Dès l’Indépendance, cette obsession de la division produira un refus de reconnaitre la réalité des régions de l’Algérie. Concevant un Etat central monopolisant les pouvoirs de décision, les gouvernants successifs en viennent à considérer le régionalisme comme une menace contre « l’unité de la Nation ». Ils définissent en fait la « pratique régionaliste » comme une préférence régionale observée par un dirigeant de rang central dont la qualité première devrait être de faire montre d’un égal intérêt pour toutes les régions du pays.

Il est incontestable que l’Algérie a disposé de cadres animés d’une telle « neutralité ». Mais la réalité fournit plus d’exemples de parti-pris régionalistes de dirigeants aux différents échelons des institutions de l’Etat. Il est illusoire d’interdire la préférence ressentie par un être humain pour sa région avec qui il entretient des relations émotionnelles ou qu’il inscrit dans des solidarités d’intérêts personnels ou claniques. Cette préférence peut facilement se parer d’arguments rationnels.

Le problème réside dans la concentration des pouvoirs de décision au niveau central et dans l’impossibilité pour les régions de peser dans les choix qui les concernent. Le régionalisme au sens le plus négatif est un vice du pouvoir central. Exprimé à partir des régions, il est une revendication démocratique. C’est l’absence du régionalisme en tant que mode de gouvernance décentralisée, en tant que contre-pouvoir, qui permet l’arbitraire et le détournement des ressources.

La régionalisation, une exigence de l’Etat de droit

L’Etat de droit revendiqué par le Mouvement populaire pour l’instauration des libertés individuelles est un Etat aux prérogatives limitées. Il n’empiète pas sur le champ de la souveraineté individuelle. Il préserve l’espace privé des citoyens. La limitation de ses pouvoirs s’opère par une distribution de larges prérogatives à des niveaux régionaux ou locaux.

Cette distribution des pouvoirs restreint les possibilités d’arbitraire et favorise les initiatives locales. Elle tient compte des diversités de situation, d’expérience et de tradition des régions. Elle ouvre la voie à l’innovation et à l’expérimentation qui en prouvant leur fécondité suscitent l’imitation et la généralisation. L’Etat central se concentre sur ses fonctions régaliennes notamment la monnaie, la défense nationale et la diplomatie. Les nouveaux pouvoirs régionaux se soumettront également aux obligations de résultats et à la promotion des libertés, condition pour que le rapprochement des pouvoirs de décision renforce le contrôle démocratique.

Les pouvoirs régionaux ne devront pas reproduire le dirigisme économique de l’Etat central. Bien au contraire, ces nouvelles entités favoriseront l’épargne, le plein exercice de la liberté d’investissement et la liberté des échanges dans la région et entre les régions. Evoluant dans le cadre d’un marché libéré des entraves bureaucratiques, la région sera ainsi source de création de richesses. La régionalisation du pouvoir consolidera la volonté des Algériennes et des Algériens de vivre ensemble parce que cette union ne sera pas synonyme d’uniformisation et d’étouffement mais sera facteur de créations, d’innovations et d’épanouissements.

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