“Kratt” de Rasmus Merivoo est le premier long métrage estonien présenté en Algérie. Vendredi 23 février 2024, à la cinémathèque d’Alger, ce long métrage a été projeté à l’occasion des 8ème Journées du film européen en Algérie. Des Journées qui se poursuivent jusqu’au 29 février.
Entre épouvante et fantastique, l’histoire de “Kratt” ne laisse pas indifférent. Une histoire perturbante sur tous les maux du monde actuel. Rasmus Merivoo a comme cette envie de crier fort sa colère.
Des parents confient leurs deux enfants à la grand-mère (Mari Lill) qui habite la campagne à Kuusalu (devenue Muusalu dans le film) au Nord de l’Estonie. Le père oublie les deux smartphones de ses enfants dans sa poche. La fille aînée (Nora Merivoo, fille du réalisateur), une adolescente, s’ennuie. Elle ne peut pas faire de stories ni suivre ses publications sur youtube. Être présente sur internet est une question d’existence pour elle.
La vie n’a plus de goût pour elle. Son petit frère (Harri Merivoo) s’adapte mieux. “Il n’y a rien à faire en campagne”, proteste la jeune fille. “Pour manger, il faut travailler. Sans manger, on ne vit pas”, conseille la grand-mère. Elle leur dit qu’il existe plein de travaux à faire en campagne : cueillir les pommes, arranger les affaires dans la grange, couper les herbes sèches…Les enfants tentent de s’acclimater. Ils apprennent que les fientes de poule sont un bon engrais pour le sol.
L’étoile de Salomon
Avec leurs deux copains (Eliise Tekko et Roland Treima), ils essaient de trouver du temps pour s’amuser. Un jour, la grand-mère raconte qu’ils peuvent solliciter Kratt, une créature faite de vieux objets, pour les aider à exécuter les travaux ingrats. Kratt a été déjà évoqué dans un autre film estonien, “November” de Rainer Sarnet (2017).
Les enfants passent à l’action et ramassent tout sur leur passage pour donner corps à Kratt. Parallèlement, ils trouve un livre noir, un manuel de sorcellerie écrit en allemand avec une étoile à cinq branches (l’étoile de Salomon) dessinée sur la couverture, qu’ils font traduire. Le cauchemar commence.Le diable, sortit de sa tanière contre des gouttes de sang, prend en main la situation. La grand-mère se transforme en Kratt et réclame toujours du travail. Un maire déprimé, qui garde le drapeau de l’Union européenne sur son bureau nu, est aux prises avec des paysans qui protestent contre l’abattage des arbres dans une forêt considérée comme sacrée. Il est agacé par la campagne menée contre lui sur Facebook et dans la presse.
“Kratt”, qui peut ressembler à une comédie noire américaine, évoque “le conflit” entre le monde de la campagne et celui de la ville. Une ville qui n’apparaît pas dans le film. C’est aussi une critique acerbe de l’addiction des jeunes aux réseaux sociaux.
Les dangers du fentanyl
Le cinéaste n’a pas pu échapper au stéréotype de présenter les jeunes comme des paresseux. Et, il a fait jouer un grand rôle à l’homme de l’église qui accuse le diable de tous les maux, y compris à la propagation du fentanyl, une drogue de synthèse, cent fois plus puissante que la morphine, qui fait des ravages actuellement en Amérique du Nord et au Nord de l’Europe. Cette drogue provoque une forte dépendance. Selon la presse américaine, le fentanyl a causé la mort à plus de 100.000 personnes en 2022, elle transforme ses consommateurs en zombies.
Dans le film de Rasmus Merivoo, on voit un laboratoire où le fentanyl est fabriqué et où des adolescents gèrent une application de commande vocale, sans doute, pour souligner que tout peut être lié. Les drogues peuvent prendre plusieurs formes ou couleurs, réelles ou virtuelles. Kratt, la créature mythologique, est probablement une métaphore sur la violence potentielle de l’intelligence artificielle, celle qui va “réclamer” du travail à l’infini réduisant l’homme à une suite numérique.
Le metteur en scène a été aidé par sa mère Saima Kallionsivu, professeur de théâtre à l’école de Kuusalu, qui a coaché les jeunes acteurs, la plupart évoluant pour la première fois au grand écran.
“Kratt” est le deuxième long métrage de Rasmus Merivoo, après “Buratino, the son of Pinocchio” (Buratino, le fils de Pinocchio), inspiré d’un roman de l’écrivain russe Alexeï Tolstoï, “La petite clé d’or”. A la télévision estonienne, Rasmus Merivoo s’est fait connaître avec la série “Savahavva”.