« Six pieds sur terre », premier long métrage de Karim Bensalah, a été projeté, mardi 24 septembre, en avant-première algérienne, à la cinémathèque de Béjaïa, lors de l’ouverture de la 19è édition des Rencontres cinématographiques de Béjaia (RCB).
La mort et la vie se côtoient dans ce film qui échappe de justesse à la banalité d’une histoire sur la migration et la quête d’identité. Sofiane (Hamza Meziani) est étudiant à Lyon, en France. Son statut de fils d’un diplomate algérien ne le protège pas d’une mesure d’expulsion en raison de manque de sérieux dans ses études universitaires. Sofiane ou « Souf » évite les examens et préfère passer son temps dans les night clubs, dans l’amusement. Il doit vite trouver un travail pour se préserver de l’obligation de quitter le territoire français. Il est embauché dans une société de pompes funèbres musulmanes. Une plongée dans l’inconnu pour lui.
Il doit accompagner le laveur El Hadj (Kader Affak), un homme taciturne et sombre. Il le suit dans ce qui peut ressembler à un parcours initiatique qui va lui permettre petit à petit de recoller les morceaux d’une existence éclatée, d’une errance sans repères. Sofiane se revendique d’être un new yorkais, puis italien, puis un américano-franco-algéro-vénézuélienne… El Hadj, qui observe de près les gestes et les paroles de Sofiane, se rend vite compte que le jeune homme ne sait plus d’où il vient.
Rapport perturbé
Dans la voiture, Sofiane avoue : « Vous voulez que je vous dise un truc : moi, je m’en fous de l’islam, je ne suis pas musulman ». Réplique acide d’El Hadj : « C’est normal, tu n’es rien ». A partir de là, naît une relation compliquée entre le laveur et son apprenti. Sofiane a déjà un rapport perturbé avec son père Hamid (Abbes Zahmani) et parfois tendu avec ses sœurs, Hind et Nour (Karina Testa et Souad Arsane). Rapport complexe aussi avec sa copine Rachel (Magdalena Laubisch) qui veut mieux le connaître poussée par un certain exotisme par rapport à l’arabe, l’autre.
Doucement, Sofiane retrouve une certaine accalmie en cotoyant El Hadj et Mourad (Mehdi Djaadi). Il comprend mieux le culte musulman et ses règles, les rapports sociaux, l’importance de la famille, l’appartenance à une communauté. Il passe peut être à l’âge adulte, est moins tranchant dans ses jugements, se rapproche de son père, bref, il apprend à vivre sans peur du regard de l’autre. Une libération ? Possible.
Le film de Karim Bensalah commence dans l’obscurité et tend au fil des séquences vers une sorte de lumière. Le personnage de Sofiane passe par plusieurs phases pour comprendre, peut-être, que la vie n’est pas aussi compliquée que cela et que la mort n’est pas forcément la fin de l’existence. Malgré un récit quelque peu bancal, le long métrage « Six pieds sur terre » invite à une réflexion sur le sens autant de la vie que de la mort et sur la réconciliation avec soi. Le metteur en scène tente d’aborder la question de l’identité en passant par d’autres chemins et arrive à contourner les clichés habituels sur le culte musulman, en France en particulier. Karim Bensalah a passé quelques jours dans les pompes funèbres musulmanes pour maîtriser le rituel du lavage mortuaire. Un lavage montré à l’écran avec un certain sens esthétique.
Un road-movie sans voiture
Kader Affak s’est imposé par son jeu alors que Hamza Meziani s’est distingué par la fraîcheur dans l’interprétation. La musique a servi de fil conducteur pour souligner notamment la multiplicité que porte Sofiane et le rapport entre le père et le fils, d’où la présence du piano, un instrument-mémoire, dans une chambre. Un piano qui évoque la mère pour Sofiane. Le jeune homme est arrivé, en dépit de tout, à faire son deuil en apaisant sa colère envers le père.
Karim Bensalah, qui dit avoir pris beaucoup de temps pour élaborer le scénario (écrit avec le marocain Jamal Belmahi), s’est inspiré d’une histoire vraie. « C’est celle d’un ami passé de Lyon, à Roubaix puis à Nice. J’ai voulu garder cette géographie. C’est une façon de cartographier les musulmans de France qui ont différentes cultures, selon les régions. Faire un film, c’est comme faire de la musique. C’est une question de rythme », a déclaré le cinéaste, lors du débat avec le public, après la projection du long métrage.
Le film est, selon lui, un road-movie sans voiture avec un personnage passant d’une ville à une autre. « Sofiane fait des rencontres. Après, c’est à lui de saisir ce que lui apporte la rencontre. Sa trajectoire, qui va vers quelque chose de plus lumineux, se fait grâce à ces rencontres », a-t-il dit.
« Il y a toute une filmographie en France sur la question identitaire. Je me suis posé la question : comment raconter les choses autrement en étant de père algérien, de mère brésilienne, né en Algérie, grandi en Haïti et au Sénégal. Arrivé en France, je me posais les questions autrement que les autres français d’origine algérienne, marocaine ou autre. Dans le cinéma français, on réduisait beaucoup la question identitaire à des questions nationales. L’identité n’est pas quelque chose de fixe. Elle change avec le temps, est liée à plein de choses dans la vie, pas que la terre, les ancêtres, mais aussi au monde, aux parents, à l’amour… Il était important de complexifier la question et de ne pas la réduire à ce qu’on voit d’habitude dans le cinéma français. Il fallait trouver le point d’équilibre », a souligné Karim Bensalah.
« En France, la figure de l’arabe est souvent associée à la culture des banlieues »
Il a évoqué la crispation du débat en France sur la question de l’identité et de l’origine. « L’identité c’est également quelque chose qui se construit. Il me fallait trouver un acteur qui ne soit pas identifiable socialement. En France, la figure de l’arabe est souvent associée à la culture des banlieues (…) Etant d’une double culture, j’ai trouvé beau la façon avec laquelle l’islam aborde la mort comme faisant partie de la vie. Le fait qu’on enterre les morts à même le sol directement, cela veut dire que le corps réintègre le cycle de la vie, renourrit la terre », a-t-il dit.
Karim Bensalah filme une scène d’enterrement dans un cimetière musulman avec de petits gestes chrétiens comme le jet de cailloux sur le cercueil. Et, Sofiane, qui se met à lire le Coran, part se ressourcer dans une église. Il appartient au spectateur de tenter de saisir « le sens ».
« Le sujet de la mort est une obsession, il est présent dans tous mes films. Je trouve que c’était un moyen de parler de l’islam d’une autre façon. Dans le cinéma français, l’islam est toujours un sujet sociétal, un problème sur lequel il faut réfléchir. Je ne voulais pas aborder cette religion de cette manière. Je voulais que ce soit voulu comme une autre religion en France. D’où l’approche par la spiritualité », a souligné Karim Bensalah.
« Le film sort des clichés de ce qu’on pouvait penser des jeunes migrants dans leur rapport à la religion. En France, dès qu’on se met dans la religion, on est potentiellement dans une voie de radicalisation. Le personnage de Mourad a trouvé un sens à sa vie grâce à la spiritualité. Cela lui fait du bien. Pour nous les acteurs de la diaspora, il est très difficile de prendre des rôles d’arabes de service ou de terroristes », a confié, pour sa part, Mehdi Djaadi, présent lors du même débat avec le public.