Le 13e festival international du théâtre de Bejaïa, placé sous le signe de la résistance, s’est ouvert jeudi soir par La pièce palestinienne « La Ghobar Alayha » « Sans aucun doute », mise en scène par Kamel El Bacha et présentée par Mohamed El Bacha et Ala Abou Ghribiyeh, s’affirme comme l’une des productions les plus percutantes du Théâtre National Palestinien (Al-Hakawati).
Adaptée de « L’Île » d’Athol Fugard, l’œuvre transpose la réalité de l’incarcération sous l’occupation israélienne à travers l’histoire de deux prisonniers, dans une mise en abime théâtrale qui transcende la simple narration pour offrir une réflexion sur l’humanité en résistance.
Dès les premières minutes, la pièce nous plonge dans l’univers clos de ces deux détenus, emprisonnés pour avoir lutté pour la liberté de leur peuple. Kamel El Bacha, qui a lui-même connu l’enfermement, parvient à insuffler une justesse troublante à cette œuvre en humanisant le prisonnier palestinien. Ici, pas de héros glorifiés ni de martyrs pleurnichards, mais des hommes ordinaires dont la dignité et la souffrance se révèlent à travers le prisme de leur quotidien carcéral.
L’originalité de la mise en scène repose sur l’utilisation du « théâtre dans le théâtre », une technique qui permet de faire émerger plusieurs niveaux de narration. El Bacha convoque ainsi Antigone de Sophocle, mettant en parallèle la révolte de l’héroïne grecque contre le roi tyrannique Créon et celle des Palestiniens face à l’occupation.
Cette comparaison, loin d’être didactique, éclaire le spectateur sur la dimension universelle de la lutte contre l’injustice. Ce jeu de miroirs permet également de réfléchir à la figure du tyran contemporain, rappelée par l’un des acteurs : les « Créons » de notre temps ne manquent pas, distribuant récompenses et médailles à eux-mêmes, tout en piétinant la dignité humaine.
La tension monte progressivement lorsqu’on annonce à l’un des prisonniers qu’il pourrait être libéré dans le cadre d’un échange de détenus. L’espoir cède rapidement la place à l’angoisse, et la pièce nous entraîne dans une spirale d’attente et de désillusion. La gestion de cet équilibre fragile entre espoir et déception est l’une des grandes réussites de la mise en scène d’El Bacha, qui parvient à maintenir une tension dramatique tout au long de la pièce.
La fin tragique, inévitable, est traitée avec une sobriété qui amplifie son impact émotionnel, transformant la scène en un lieu de catharsis collective.
En filigrane, « Sans aucun doute » propose une réflexion sur le rôle de l’art dans les prisons et sur l’identité du prisonnier en tant qu’être pensant et créateur. Le personnage principal, un homme de théâtre passionné, trouve un échappatoire à l’enfermement à travers le souvenir d’anciens spectacles et le rêve de nouvelles performances. En évoquant les grandes figures du théâtre palestinien – Houssam Abou Eisha, Mahmoud Awad, Shaden Salim – la pièce rend hommage à ces artistes qui ont su, à travers leurs performances, porter la voix des opprimés au-delà des murs.
La dimension politique est renforcée par des références aux travaux précédents de Kamel El Bacha, notamment son rôle dans le film libanais L’Insulte (The Insult). À travers un dialogue fictif entre les deux prisonniers et Tony Hanna, l’un des personnages de ce film, la pièce fait écho aux tensions entre Palestiniens et Libanais dans les années 1970 et 1980, tout en soulignant la solidarité entre ces peuples face aux difficultés contemporaines. Cette mise en abyme, loin d’alourdir la trame, enrichit le propos en liant l’expérience carcérale palestinienne à d’autres contextes de répression et d’injustice.
La bande sonore, subtile mais percutante, fait résonner les paroles de la chanson « Sans aucun doute » du poète Hussein Barghouti, interprétée par Jamil Al-Sayeh. Ces paroles, poétiques et mélancoliques, se mêlent à l’action, renforçant l’idée que, malgré l’horreur de l’enfermement et la tragédie humaine, il existe encore des espaces pour la beauté et l’espoir. La répétition des vers de Barghouti, tout au long de la pièce, crée une atmosphère de nostalgie poignante qui persiste bien après la tombée du rideau.
« Sans aucun doute » n’est pas seulement une pièce sur la détention palestinienne ; elle est une méditation sur la liberté, la résistance et la capacité de l’art à transcender la brutalité de la réalité. El Bacha, en maître du théâtre engagé, réussit à toucher à l’essence même de l’âme humaine, rappelant que même dans les situations les plus désespérées, la dignité et l’espoir restent sans tache.
Programme riche et extramuros
Neuf troupes issues de huit pays animeront ce 13e édition du festival international du théâtre de Bejaia qui s’étalera jusuqu’au 18 octobre prochain avec au menu une quarantaine de spectacles tous genres confondus, alliant représentations, animations de rue et contes pour enfants.
Le commissaire du festival Slimane Benaissa a décidé de sortir l’évènement du du huis-clos confinant toutes les animations au sein du théâtre régional « Abdelmalek Bouguermouh » ou de la maison de la culture, et de les exposer dans les rues et les places publiques afin d’y associer activement le grand public.
le public aura rendez-vous quotidiennement à la « Place du 5 juillet », sise au cœur de la ville, à la jonction de grands quartiers populaires, notamment Amriou, Sidi-Ahmed, et l’ancienne ville.
C’est aussi dans cet esprit que le festival va sortir de ses antres habituels, étant programmé pour s’installer dans au moins huit communes dont Amizour, Kherrata, Akbou, Tazmalt, Ath Smail et Akfadou, pour charmer les publics locaux, semer la passion du 4e art ou tout bonnement, inciter à retrouver des amateurs de l’activité théâtrale et faire revivre les noyaux et les potentiels artistiques qui s’y cachent.
Les pièces en compétitions auront lieu au théâtre Abdelmalek Bouguermouh les troupes de la Palestine, de Jordanie, de Egypte, de Tunisie, de Russie, d’Italie, de côte d’Ivoire et du Sahara occidental.
La seconde, prévue à la maison de la culture, sera réservée aux œuvres nationales et célébrera le meilleur de sa production scénique des deux dernières années. Huit troupes y sont retenues dont « Ehwawi » (Constantine ), « Houa enta..oua ana » (Mostaghanem), Anz..ul » (Bouira), « Ras El Aam » (Batna), « Asdefef » (Tizi-Ouzou), « Elakl fi zamane El qalb » (Tipaza) et « SDF » (Médéa).