Le meilleur moyen de rendre hommage à une amie disparue est de l’inscrire dans le combat, difficile mais néanmoins entêtée, des femmes algériennes contre les violences et le harcèlement quotidien. C’est ce qu’a fait Nadia Zouaoui dans son dernier documentaire, La Promesse d’Imane, projeté aux Journées cinématographique de Bejaïa,
La réalisatrice algéro-canadienne y retrace la vie et l’héritage d’Imane Chibane, une jeune femme de 26 ans, décédée tragiquement en 2019 à Alger. Imane, journaliste pour le site Algérie-Direct, a perdu la vie, ainsi que son mari et deux autres personnes, du fait d’une fuite de gaz. Son décès est survenu quelques jours avant le début du Hirak, mouvement populaire qui a bouleversé l’Algérie, et qui, sans nul doute, aurait compté Imane parmi ses acteurs les plus engagés. Le carré des femmes aurait certainement eu l’apport enthousiaste d’une combattante acharnée pour l’égalité.
Un portrait de femmes combattantes
Nadia Zouaoui avait déjà noué des liens forts avec Imane avant ce drame. Elles discutaient de la situation des femmes en Algérie, notamment dans les provinces conservatrices comme cette région de la petite Kabylie, où la réalisatrice a grandi. Elle, comme Imane Chibane, sont issues d’un même village en petite kabylie. Imane avait demandé à Nadia de faire un jour un film sur elle et son engagement pour les causes féministes. Cette promesse est devenue réalité quatre ans après la disparition de Imane. Le documentaire raconte Imane et dresse le portrait d’une génération de jeunes femmes qui luttent contre le harcèlement, l’incompréhension, la violence et l’injustice à leur encontre.
Imane était une voix montante, elle refusait t à la banalisation de la violence faite aux femmes, omniprésente mais souvent niée dans la société algérienne. Dans une culture patriarcale, la violence domestique et les féminicides sont souvent passés sous silence, car associés à la notion d’ »honneur masculin ». Pour Nadia Zouaoui, cette réalité est intolérable en 2024, une époque où « on tue encore des femmes au nom de l’honneur de l’homme ».
Les amies d’Imane, gardiennes de sa mémoire
Nadia Zouaoui a choisi de raconter l’histoire d’Imane à travers les yeux de ses amies, ces femmes qui, chacune à sa manière, a poursuivi son combat. Naila a quitté l’Algérie, elle exerce le métier d’architecte au Canada, tandis que Linda, restée en Algérie, a fondé sa propre entreprise. Nissma Tigrine, enseignante et anime une émission littéraire à Berbère TV alors que Ludmila Akkache mène un combat féministe en sus de son travail de documentariste. Asma, celle qui prête sa voix aux textes du blog d’Imane, elle, a fait son chemin en tant que féministe et fait ses premiers pas en tant que réalisatrice de documentaires. Elles se sont construites en dépit d’une société machiste qui, selon elles, « n’aime pas vraiment ses femmes« .
Quatre ans après la disparition d’Imane, ces amies se retrouvent à Béjaïa, la ville de leur jeunesse, pour évoquer leur amie, leur parcours, et surtout le combat qu’elles continuent de mener. Chacune raconte comment Imane les a inspirées et poussées à résister, à se battre contre un système qui les relègue souvent au second plan. Une société qui, au nom des traditions ancestrales, veut les brider et broyer leurs ambitions et aspirations à être des citoyennes à part entière. Ensemble, elles incarnent une génération de femmes qui refusent d’accepter le statu quo et qui se battent pour qu’un jour l’Algérie soit aussi fière de ses filles que de ses fils.
Un héritage féministe puissant
À travers La Promesse d’Imane, Nadia Zouaoui rend hommage à ces femmes qui refusent de se laisser écraser par une société patriarcale. Leurs histoires sont celles d’une lutte quotidienne pour la dignité et pour la défense de leur place dans une Algérie qui, malgré ses progrès, reste profondément marquée par le conservatisme et où la violence envers les femmes est très répandue. Imane Chibane, dont larges extraits de son blog sont lus tout au long du documentaire, bien que tragiquement absente, continue d’inspirer ce combat.
Le documentaire met en lumière un sujet trop souvent relégué au second plan, mais dont l’urgence se fait chaque jour plus criante. La documentaliste rappelle les drames de Bordj Badji Mokhtar contre les femmes enseignantes agressées en mai 2021 sur le lieux de leur travail dans l’extrême sud, celui de Razika Cherif, une femme écrasée en novembre 2015 dans la rue par un automobiliste dont elle a repoussé les avances et bien d’autres histoires tragiques qui rappellent chaque jour que les femmes ne sont toujours pas à la place qu’elle doivent occuper dans cette la société algérienne. C’est un film puissant où la voix d’Imane continue de dénoncer les violences, de combattre l’injustice et de rappeler qu’en Algérie, comme ailleurs, les droits des femmes ne sont pas encore acquis.