Pour le professeur en statistiques, Khaled Rouaski, les chiffres sur la situation de la covid 19, publiés quotidiennement par le ministère de la santé en Algérie, ne reflètent pas la situation épidémiologique en Algérie. Selon lui, il faut considérer les cas critiques afin d’établir une stratégie prévisionnelle, vu que nous ne disposons pas de données fiables.
24H Algérie : Pourriez-vous nous expliquer les failles que représente le modèle de statistique adopté par l’Algérie dans la gestion de la crise de la covid19 ?
Khaled Rouaski: Je voudrais signaler en premier lieu un facteur déterminant qui est la grande variation des symptômes épidémiologiques des patients atteints de la Covid 19. Des études épidémiologiques dans le monde entier ont montré que les victimes du nouveau CORONAvirus (COVID 19) sont divisées en trois catégories :
Nous avons d’abord, la catégorie constituée de personnes présentant des symptômes légers, ou le soi-disant groupe de personnes atteintes du virus sans symptômes, qui représente 80% du nombre d’infectés (groupe silencieux).
La seconde grande catégorie représente des personnes présentant des symptômes modérés, qui se trouve affectée par le virus plus que le premier groupe et qui a besoin donc d’une surveillance médicale. Cette catégorie représente 15% du nombre de personnes infectées.
Alors que la troisième catégorie est articulée autour des personnes présentant des symptômes graves, impliquant souvent des personnes âgées, des personnes atteintes de maladies chroniques et d’autres groupes vulnérables, qui nécessitent des soins médicaux importants jusqu’à ce qu’elles récupèrent totalement. Cette catégorie représente 5 % du nombre de personnes infectées.
Le second facteur réside dans les possibilités limitées de l’Institut Pasteur pour le dépistage massif et systématique des cas infectés. La capacité de l’Institut Pasteur d’Alger était environ 200 examens par jour et puis plusieurs branches ont été ouvertes sur l’ensemble du territoire national et plusieurs laboratoires privés ont eu l’autorisation de dépister pour atteindre une capacité de dépistage de l’épidémie à la limite de 1000 examens par jour. Nous sommes donc l’un des pays les plus faibles à appliquer la politique de dépistage massif et systématique par rapport aux expériences mondiales (expérience sud-coréenne, qui a commencé avec 15.000 centres de dépistage mobiles, l’expérience allemande avec plus de 500.000 dépistages hebdomadaires, et d’autres expériences pour le monde et les pays voisins).
Cela affecte les chiffres annoncés par le ministère de la santé, qui déclare les personnes infectées qui ont subi des examens médicaux, c’est-à-dire la deuxième et la troisième catégories, qui sont statistiquement estimé à 20% du nombre probable. Autrement dit, le nombre réel dépasse 3000 infections par jour (si 600 infections sont signalées par jour). Encore cela serait vrai si nous reconnaissons que chaque patient présentant des symptômes est systématiquement dépisté, ce qui n’est pas toujours vrai. J’avais déjà dit que le nombre réel des personnes infectées par la COVID 19 est 25 fois plus élevé que ce qui est officiellement annoncé par le ministère algérien de la Santé (le ministre de la Santé, le Professeur Abderrahmane Ben Bouzid, a annoncé le 5 août 2020 que le nombre de personnes infectées dans la rue pourrait être plus de 27 fois plus élevé que les cas détectés).
Quels sont donc, selon vous, les variables à considérer pour un meilleur suivi de la situation épidémiologiques, vu que nous n’avons pas adopté une politique de dépistage massif ?
De mon point de vue, la variable la plus importante sur laquelle il faut s’appuyer pour suivre la situation épidémiologique en Algérie, compte tenu de l’impossibilité d’établir une politique de dépistage massif et systématique telle qu’elle est menée par plusieurs pays comme l’Allemagne la Corée du Sud et d’autres pays, est celle des cas critiques. Le dépistage massif a permis aux pays qui maîtrisent le dépistage de prédire le nombre de personnes infectées dans la troisième catégorie (le groupe fragile atteint de maladies chroniques et de personnes âgées) qui leur a permis d’être bien soignés au début de la maladie, ce qui a contribué à la réduction du nombre de décès. Pour notre cas, je trouve que la variable la plus importante pour le suivi de la situation épidémiologique en Algérie est le nombre de cas critiques car ils représentent le nombre de décès potentiels et ils sont l’indicateur adopté par de nombreux pays. C’est un bon indicateur de la prévisibilité de la situation épidémiologique.
Au regard de l’absence des données statistiques fiables, comment pourrions-nous envisager des prévisions pour les semaines prochaines ?
En ce qui concerne la situation épidémiologique pour les prochaines semaines, je m’attends à ce que l’épidémie continue de se propager dans d’autres régions, comme je l’avais expliqué dans mes articles précédents. Cela va conduire au phénomène de l’épidémie dynamique concentrée, de sorte que l’épicentre de l’épidémie se déplace vers la région Est de l’Algérie pour retourner dans la région de l’ouest.
La stratégie nationale doit être basée sur la réduction du nombre de décès et en contrôlant les cas critiques, sachant encore une fois que le nombre de décès officiellement déclaré est inexact. Pendant de nombreux jours, le nombre de décès annoncé est moins que le nombre de décès officiellement annoncés à partir d’un hôpital, je pense notamment à l’hôpital d’El Eulma, qui a annoncé un nombre de décès qui a dépassé ce qui a été annoncé au niveau national. C’est un point qui doit être clarifié par la tutelle.