A certains moments les jours dégorgent de leurs blessures, le soleil n’arrive plus aux fenêtres du pays qui s’essouffle dans l’absurdité du monde dans lequel il cherche une lumière. La colère en appelle alors à l’art, à Yasser Ameur ce jour.
Né en 1989 à Blida, il a étudié le design à l’université de Mostaganem avant d’intégrer l’école des Beaux Arts de la ville, qui a vu passer Benanteur, Ben Bella, Stambouli et dont le directeur Hachemi Amour n’est autre que son père, artiste lui-même. Yasser Ameur, à 24 ans, participe à la 3e Biennale Méditerranéenne d’Art Contemporain d’Oran de 2013.
À partir de 2015, il entame une carrière à l’étranger notamment au Royaume-Uni, en Belgique, aux Pays-Bas, en France ou encore en Espagne mais il est peu exposé en Algérie, probablement pour des raisons de censure, son propos, étant politique, dérange.
Il travaille sur le détournement avec la Joconde algérienne, la célèbre photo de Marilyn version hayek, Babor Dzair, ou encore le Radeau de la méduse des harragas. Yasser Ameur va évoquer « le déjeuner sur l’herbe » de Manet dans « la romance sur l’herbe » en réponse à des panneaux crées par le voisinage dans des parcs avec la mention « mamnou3 moumarassat al roumansia » (le romantisme est interdit). On y voit deux couples allongés sur l’herbe et un logo qui s’enflamme sur un panneau.
Pour mémoire, dés 1913 Marcel Duchamp fait appel au détournement des fonctions utilitaires des images ou des objets, lorsqu’il invente le ready-made, c-a-d l’acte de promouvoir un objet manufacturé du quotidien en objet artistique et, de se débarrasser par là de la notion du beau et du laid. Certains artistes, liés au pop art, y font appel comme Roy Lichtenstein qui détourne des images extraites de comics pour en faire de grandes toiles et … un certain Picasso parfois. En fait le terme détournement avait été employé par l’Internationale lettriste de Guy Debord, avant d’être reprise par l’Internationale situationniste en 1958 .
Le détournement est aussi un genre cinématographique prisé notamment par Pasolini.
Pour Yasser Ameur, la rue est le lieu en priorité où il expose ses oeuvres et le café son premier atelier. Cet espace vivant, populaire à la visibilité multiple lui sied à merveille.
« En fait, je suis un artiste public comme un écrivain public. Je m’installe de 8h à 17h dans les cafés populaires à Mostaganem, et ce sont les gens qui me donnent toutes ces idées et à qui je dois toute ma philosophie de l’art. Ce sont eux les vrais artistes, je ne fais qu’interpréter en images les idées qu’ils me donnent », précise-t-il .
On dit souvent que les artistes sont marqués par un traumatisme qu’ils dépassent voire subliment par l’art. La décennie noire fut un évènement tragique pour l’enfant de trois ans qu’était Yasser Ameur qui bloqua son expression durant longtemps .
Comme Truffaut avec Doisnel, l’artiste a crée un double : l’homme jaune . Il a choisi la couleur “Jaune” pour son personnage central pour signer l’hypocrisie de la société “Dahka Safra”,Yasser Ameur, s’est inspiré de cette expression populaire; mais aussi parce que le jaune était seule couleur interdite par son père dit-on. « L’homme jaune » nous tient un propos politique, social sur l’Algérie. Pour lui, « cette civilisation a fini par enfanter d’un Homme malade et le jaune reste la couleur qui va le mieux à cet humain que l’on est devenu ».
Son travail se focalise sur la dénonciation politique, économique et sociale, une réalité connue des classes populaires. C’est dans son atelier ouvert, que Yasser Ameur puise son inspiration. Les êtres qu’il y rencontre, guident son inspiration et ils deviennent ses personnages.
« Mes idées viennent d’eux, c’est eux les artistes, moi je ne fais qu’interpréter en image. Je vis comme un vieux retraité, je sors très tôt le matin dans mon Shanghai bleu m’acheter le journal et m’installer au café pour faire mes mots fléchés géants, répondre aux mails et discuter avec des inconnus. Puis, il y a la mer près de chez moi qui me fait beaucoup de bien ».
Yasser Ameur explique que son expression se divise en deux univers, il y a le détournement avec l’Homme jaune aux messages ouvertement politiques et un deuxième style, plus personnel, plus intime, plus sombre.
« L’engagement ne consiste pas uniquement à traiter des sujets politiques. Je ne cherche pas un changement politique mais un changement social. Ce dont on a besoin, c’est un changement dans les consciences qui puissent ensuite bâtir la relève politique dans la génération qui se construit actuellement ».
Quand on l’interroge sur le rôle des artistes dans la société il répond « ils doivent être des meneurs parmi les autres et ne pas se plaindre de l’absence du public, le conquérir ». De la peinture, au street art en passant par la musique, Yasser Ameur utilise plusieurs supports pour s’exprimer, « se constituer acteur du changement social au lieu d’en rester le spectateur hypocrite », dit-il.
Beaucoup de ses œuvres ont été réalisées bien avant le Hirak, et pourtant celles-ci ont trouvé un écho durant le mouvement, gage que son message est passé et que son art est vrai, puissant. Et on pense au nom de son oeuvre « Miziriya wa tahia El Djazaïr » (La pauvreté, mais vive l’Algérie). Alors tahia, vive Yasser Ameur !