Entretien avec le sociologue Nacer Djabi : L’absence de professionnalisme des médias fausse le débat sur la peine de mort

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Entretien avec le sociologue Nacer Djabi : L’absence de professionnalisme des médias fausse le débat sur la peine de mort
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Le sociologue Nacer Djabi est sévère à l’encontre des médias dont l’absence de professionnalisme laisse le champ libre au pathos des journalistes et à la manipulation de l’émotion.

24H Algérie: Le débat sur la peine de mort resurgit sur scène à chaque crime atroce commis contre des enfants ou des femmes. L’exigence de l’application de la peine de mort est-elle une revendication de circonstance ou une instrumentalisation de l’opinion publique ?

Nacer Djabi: A titre personnel, j’estime que la responsabilité incombe à la manière dont les médias traitent ces sujets et aux autorités qui échouent à chaque fois à instaurer un débat de société sérieux autour de ses sujets sensibles. Ces problématiques nécessitent de la sérénité et des argumentaires de spécialistes. On ne pourra pas y parvenir sans des statistiques fiables qui éclairent l’opinion publique. On assiste à une prise de parole générale en l’absence de statistiques sur le long terme permettant une vision globale. On s’appuie sur des statistiques ponctuelles qui n’apportent aucun éclairage. Aller directement vers les mamans des victimes et leurs familles éplorées par la douleur pour les pousser à réclamer la peine de mort est immoral. On exploite la situation pour faire passer un avis favorable pour la peine de mort, comme si c’était la solution miracle à nos problèmes. 

Dans une société qui refuse d’aborder de manière profonde et sérieuse ses problèmes, les médias, ou du moins une bonne partie, se doivent de respecter le deuil de ces familles. Ils doivent cesser de vendre des images de parents affligés dans un état d’extrême faiblesse. C’est plus de l’instrumentalisation que du travail journalistique, à plus forte raison quand cela est instrumentalisé en faveur du pouvoir politique en place. Comme cela a été  le cas avec l’assassinat de la jeune Chaima la semaine passée.    

Quel rôle jouent les médias dans la résurgence de ce débat ? Sont-ils responsables du sentiment de menace permanente ressenti par les parents ?

La responsabilité des médias est claire. Ils endossent une lourde responsabilité, ce sont en général des médias non professionnels en quête du sensationnel et de l’image de la maman éplorée. Souvent, on est face à des journalistes sans expérience qui travaillent dans des conditions difficiles, sans être encadrés et suivis par leurs médias.  Dans ces conditions, le journaliste a tendance à reproduire ses convictions personnelles, il reflète l’image de son état psychologique sans parvenir à prendre la distance qu’impose son métier.        

Beaucoup évoquent la religion dans ce débat houleux qui les opposent aux abolitionnistes. Croyez-vous que cet argument affaiblit la cause des partisans de l’abolition de la peine de mort du droit Algérien ? 

Beaucoup de sociétés ont connu ce débat avant nous et continuent à l’avoir à ce jour. Des sociétés qui s’appuient sur les valeurs sociétales et surtout religieuses pour défendre l’application de la peine de mort, cela n’est pas nouveau. 

Le plus important est que des sociétés ont débattu de la question et se sont mises d’accord à rejeter la peine de mort comme châtiment. C’est le cas de plusieurs pays européens. Cela signifie que les sociétés évoluent et que l’on peut changer les visions qui veulent instrumentaliser la religion pour imposer l’application de la peine de mort. Il a été prouvé que celle-ci n’est pas une solution pour stopper la violence contre les femmes ou les enfants, y compris les agressions sexuelles. Ces dernières ont des origines complexes qu’il faut connaître et identifier pour maitriser la violence qui, faut-il le souligner, ne disparaitra d’aucune société humaine. Ce qui implique le maintien du châtiment éducatif et non vindicatif. 

Les expériences internationales ont montré que la peine de mort n’a pas limité la violence. Ce qui a permis de la réduire,  c’est l’examen attentif des conditions sociales, psychologiques et économiques.  Le but n’est pas de châtier le coupable qui peut n’être qu’un maillon d’une chaîne de violences subies dans un contexte donné ou en étant jeune. Le but escompté est de casser cette chaine de violence et non de l’alimenter avec une violence supplémentaire qu’est la peine de mort. 

La revendication de la peine de mort ne se justifie-t-elle pas plutôt par la panique morale qui s’empare de la société à chaque crime crapuleux ? 

Ce qui est étrange est que nous évoquons la peine de mort et la violence dans la famille et la société dans un pays dépourvu d’un institut ou centre de recherche dédié à l’étude scientifique de ce genre de problématiques dont nous affirmons qu’elles ont évolué et pris de l’ampleur. 

Le début de solution est de donner la parole aux spécialistes et aux experts scientifiques. A l’image de ce qui a été fait dans les sociétés qui ont connu une baisse sensible des niveaux de la violence. En l’absence de ce débat scientifique basé sur une information précise et  une analyse sereine, ce qui est mis en évidence ce sont les porteurs d’opinions idéologiques, les charlatans, les religieux sans érudition et d’expérience, les journalistes débutants et les citoyens lambda. Toutes ces personnes émettent des avis et deviennent des faiseurs d’opinions; ils font même pression sur les pouvoirs publics pour leur donner l’orientation qu’ils souhaitent.

C’est malheureusement ce qui se passe chez nous. Tous profitent de l’anarchie spirituelle et culturelle que traverse la société. Les familles des victimes, sous l’effet de la douleur, deviennent les porte-voix des fervents de la peine de mort. Cette revendication est une solution simple et magique pour ceux qui baignent dans une culture superficielle et en crise. Ce qui est le cas chez nous avec une société, livrée à elle même, et qui connaît des mutations profondes sans accompagnement spirituel ou culturel.            

Ne pensez-vous pas que la peine de mort est plutôt une question politique que les pouvoirs publics ne parviennent pas à trancher depuis sa première demande d’abolition introduite par Zohra Drif en 1963 ? 

L’absence de légitimité des preneurs de décisions ne permet pas d’aborder ces problématiques clivantes. Leur marge de manœuvre est réduite au silence ou l’instrumentalisation des courants dominants ce qui leur évitent d’affronter la société. Ils se contentent d’aller dans le sens de la voix qui porte le plus et qui est  la plus dominante dans la rue. Un système qui ne maitrise pas la communication et échoue dans la gestion des médias sauf quand il s’agit de ses propres projets politiques. Il adopte cette même posture concernant toutes les problématiques clivantes notamment celle de l’école, le rapport à  la religion, la gestion de la cité et la question de la femme. Ce sont des problématiques absentes du discours officiel sauf quand elles lui sont imposées et de façon conjoncturelle. Il arrive aussi que le pouvoir garde le silence laissant la voix libre aux médias de traiter le sujet comme ils l’entendent, comme dans l’affaire de l’assassinat de Chaima.     

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