Le nouvel ambassadeur de France à Alger, François Gouyette, a choisi, pour sa première sortie publique en Algérie, de rencontrer les artistes et les intellectuels. Mardi 13 octobre au soir, un débat a été organisé à l’Institut français d’Algérie (IFA) à Alger.
« Je suis venu à la culture arabe par l’Algérie. Il y a des arabisants et des orientalistes français mais rares sont ceux qui sont venus à la langue arabe par le Maghreb. La plupart ont appris cette langue en passant par le Liban, l’Égypte ou la Syrie. Je passais les vacances d’été en famille dans les années 1970 notamment à Blida et Alger. Mon père a vécu une grande partie de son enfance entre Constantine et Alger. Ils venaient donc retrouver ses amis algériens », a confié le nouvel ambassadeur.
L’intérêt pour l’arabe le conduit à faire des études à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) à Paris, puis à faire d’autres études de traduction. « Je connais aussi quelques mots de kabyle parce que mon père a été élevé à Akbou puis à Béjaïa. Mes parents ont quitté l’Algérie avant l’indépendance du pays(…). Mon grand-père était responsable d’une banque. Je ne connais pas encore Annaba, Oran et Tlemcen où je vais m’y rendre. Je souhaite visiter le grand sud algérien, Tamanrasset notamment », a-t-il dit.
Il considère sa désignation à Alger comme un couronnement de sa carrière diplomatique. « Dans la nomenclature des postes diplomatiques de la France, l’Algérie est un poste de première importance. Pour moi, c’est une boucle qui est bouclée car c’est ici en Algérie où j’ai commencé ma fréquentation du monde arabe et de la culture arabo- musulmane. En quarante ans, je ne suis revenu en Algérie que deux ou trois fois », a-t-il précisé. A la fin des années 1990, François Gouyette était venu en Algérie avec Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur dont il était conseiller diplomatique. En 2001, il est nommé pour la première fois ambassadeur à Abu Dhabi aux Émirats arabes unis avant de servir ensuite, entre 2008 et 2020, à Tripoli, Tunis et Riyad.
« Je suis impressionné par l’originalité du récit des jeunes écrivains algériens »
Mélomane, François Gouyette s’est beaucoup intéressé au hawzi de Tlemcen, à la musique arabo-andalouse en général, au chaâbi d’Alger et au cinéma algérien. Il cite les films « Omar Gatlato » de Merzak Allouache, « représentatif de l’Algérie des années 1970 et du riche cinéma de l’époque », et le long métrage de Mohamed Bouamari, « Le charbonnier ». « Je suis impressionné par la qualité de l’écriture et l’originalité du récit des jeunes écrivains algériens. Je cite Kaouther Adimi, auteure d’un magnifique livre, « Nos richesses ». Je me suis aussi intéressé à Samir Toumi que j’ai rencontré à Tunis. Pour les anciens, il y a Kateb Yacine et Mohamed Arkoun », a-t-il dit.
Le Malouf est, selon lui, une musique qui rassemble une partie du Maghreb (ce genre musical n’existe pas au Maroc). « J’aime le Malouf de Constantine, j’ai le privilège de rencontrer le chanteur Abbas Righi qui a pris la relève des Fergani. J’ai connu Hamdi Benani que j’ai vu à Tunis, j’aurais aimé le revoir mais il est décédé avant mon arrivée à Alger », a-t-il confié. Il a plaidé pour l’encouragement de la traduction des ouvrages littéraires de l’arabe vers le français. « La littérature écrite en arabe en Algérie est encore peu connue en France. On connaît des grands auteurs égyptiens comme Naguib Mahfoud ou Alaa Aswany ou encore les écrivains syriens, mais très peu d’algériens. On connait certes Kamel Daoud, Yasmina Khadra ou Boualem Sansal, mais il y a d’autres auteurs qui écrivent en français ou en arabe qui restent méconnus en France.
La littérature algérienne n’est pas suffisamment diffusée en France. Il va falloir faire plus d’efforts de traduction, dans l’autre sens également (du français vers l’arabe). C’est une manière d’encourager le débat d’idées. Et le débat est un des axes fondamentaux de la diplomatie culturelle française », a-t-il souligné.
« Je souhaite que l’Institut français d’Algérie s’ouvre à des conférences en langue arabe »
François Gouyette a indiqué que ses priorités seront le renforcement de la coopération dans les secteurs de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle ainsi que l’enseignement de la langue française. « L’Algérie est un grand pays francophone, il suffit de voir les vitrines à Alger pour se rendre compte. Le trilinguisme est une réalité en Algérie.
L’avantage des Algériens est de maîtriser plusieurs langues. Je sais qu’il y a de l’intérêt pour l’anglais et le chinois. J’ai vu en Arabie Saoudite se déployer le soft power chinois avec l’enseignement de cette langue. Il y a le même intérêt en Algérie », a-t-il noté. L’appui au secteur culturel est une autre priorité pour le nouvel ambassadeur de France : livres, édition, musique, art plastique, photographie… « Je souhaite que l’Institut français d’Algérie s’ouvre à des conférences en langue arabe animées par des conférenciers français arabophones. Je pense à Alain Gresh, Gilles Kepel et Slimane Zeghidour.
Il y a un public arabophone qui ne doit pas se sentir exclu des activités de nos cinq Instituts en Algérie (Alger, Tlemcen, Oran, Annaba et Constantine). Nos instituts doivent s’ouvrir davantage à la culture algérienne », a-t-il plaidé n’écartant la possibilité d’inviter des conférenciers algériens arabophones aussi. Il a parlé d’un projet de célébrer l’année prochaine en Algérie le centenaire de la mort du compositeur romantique français Camille Saint-Saëns, mort à Alger en décembre 1921. Il a également évoqué la possibilité d’organiser un événement célébrant l’islamologue Mohamed Arkoun. Avant de terminer le débat, François Gouyette, connaisseur de la poésie populaire maghrébine, a récité un haïku de Mostefa Ben Brahim, poète du Melhoun algérien du XIXème siècle.
Un spécialiste du monde arabe
François Gouyette, 64 ans, entame sa carrière diplomatique en 1981 Libye où il est deuxième puis troisième secrétaire à l’ambassade, avant d’être nommé premier secrétaire à Djeddah en Arabie Saoudite puis deuxième conseiller à Nicosie, à Chypre, entre 1983 et 1987. Après un passage par Damas et Ankara, il s’occupe du Processus euro-méditerranéen (Processus de Barcelone) jusqu’à 2008.