Le 13ème Festival international de musique symphonique d’Alger se poursuit à l’Opéra d’Alger Boualem Bessaih jusqu’au mercredi 22 mai 2024. Reportage.
Damiano Giuranna, directeur musical de la fondation italienne World Youth Chamber Orchestra (WYCO), qui revient pour la troisième fois en Algérie, a fait le tour de la méditerranée, lundi 20 mai au soir, avec ses musiciens « cordistes », suscitant une vague haute d’applaudissement du public. De chaque pays des deux rives de « la Mer du milieu », il a choisi des airs connus qu’il a bien pris le soin de plonger dans une sauce sucrée dans un programme savoureux baptisé « Med in love ».
Il a ajouté des percussions pour accompagner les musiques de Turquie, de Syrie, de Palestine, du Liban, de Tunisie et d’Algérie. La soliste Valeria Almerighi, habillée en bleu et argent, a ajouté sa voix pour déclamer une poésie-plaidoyer pour la paix et le vivre ensemble en Méditerranéen.
« Aujourd’hui, j’étais ravi de rencontrer un musicien algérien qui était élève dans un master class que j’ai animé en 2006 à Alger. Cet élève est aujourd’hui le chef de l’orchestre symphonique de l’opéra d’Alger, Lotfi Saïdi. Ma relation avec l’Algérie est donc forte », a soutenu Damiano Giuranna, rencontré dans sa loge à l’Opéra d’Alger.
En première partie du concert, l’ensemble italien a exécuté en trois mouvements un concerto pour hautbois et cordes (en ré mineur) d’Alessandro Marcello, composé à Venise au début du XVIIIe siècle, à l’époque baroque. « Le hautbois est un instrument proche de certains instruments traditionnels algériens comme la zorna. Donc, c’est un son que les algériens peuvent reconnaître facilement. Le liuto italien n’est pas loin du oud arabe. Nous avons toujours des choses en commun », a souligné Damiano Giuranna.
La mort d’Ulysse »
Les musiciens italiens, appuyés par Valeria Almerighi, a évoqué « La mort d’Ulysse » d’Alighieri Dante. « Comme Ulysse, nous voulons faire un voyage autour de la Méditerranéen. Nous proposons des airs populaires de Turquie, d’Algérie, de la Palestine, de Grèce, d’Espagne, d’Italie… », a indiqué Damiano Giuranna. Il a rappelé que la Méditerranée est riche en musique folklorique et populaire.
« Nous avons donc « symphonisé » la musique traditionnelle de cette région du monde. C’est une opportunité d’écouter les sons de la Méditerranéen. A la fin, nous découvrons que nous avons le même son. Nous avons une identité commune. Si nous avons la même identité, pourquoi faire la guerre ? Nous devons nous rassembler, mieux nous connaître au lieu d’être méchants », a confié, l’air candide, le chef d’orchestre italien.
Fondée en 2002 par Damiano Giuranna, WYCO est, pour rappel, une fondation qui appartient à l’université Sapienza de Rome. Damiano Giuranna, qui a conçu le projet « Sounds of brotherhood » (les sons de la fraternité), est directeur artistique de cette fondation. « WYCO rassemble les meilleurs étudiants des conservatoires, universités et académies de musique des cinq continents », précise l’Institut culturel italien à Alger. L’orchestre a animé plusieurs concerts en Italie, en Irlande, en Estonie, à Malte, en Iran, au Liban, aux Etats Unis, en Tchéquie, en Turquie. Il a participé au projet « Cultural Bridges » (ponts culturels) soutenu par l’Union européenne (UE).
« La douceur de la clarinette et l’élégance de la flûte »
La française Caroline Debonne est, elle, à la tête du Trio Saint-Germain. Avec le roumain Ionel Streba, au piano, et le turc Oguz Karakas, à la clarinette, cette flûtiste et enseignante de musique à Cannes a créé ce Trio. « Nous sommes trois amis. Nous étions étudiants ensemble au conservatoire, il y a plus de vingt ans. Nous ne nous sommes jamais quittés. On s’est retrouvé dans des master class et avons décidé de jouer ensemble. Notre aventure dure depuis dix ans. Nous avons joué parfois séparément, parfois en duo. Nous aimons bien cette formation, l’alliage des trois instruments, la douceur de la clarinette, l’élégance de la flûte et la classe du piano. Ajouter de la percussion serait une bonne idée », a relevé Caroline Debonne
Les trois artistes ont créé une académie de musique de chambre pour jeunes talents qui se réunit chaque printemps et chaque été dans le Sud de la France. « Des étudiants de toute la France viennent à cette Académie. Nous avons créé un festival de musique classique au même endroit, à l’Abbaye de Conques. Cette année le festival aura lieu en août (…) En France, nous avons la chance d’avoir encore un public encore très attentif et très ouvert à la musique classique », a confié Caroline Debonne
Au Festival d’Alger, le Trio Saint Germain a choisi de présenter un programme « 100 % français » : « La sonatine en trio » de Florent Schmitt, « L’aria » de Jacques Ibert, « la Suite Dolly » de Gabriel Fauré, « Tarentelle » de Camille Saint-Saëns et « Carmen Rhapsody » de Georges Bizet. De la musique des XIX et XXème siècles.
« Nous aimons défendre ces pièces. Des pièces qui sont différentes mais qui ont un lien. Par exemple, Fauré était le professeur de Schmitt. Il faut à chaque fois rendre hommage à Bizet. Il est mort en croyant que son opéra (Carmen) n’aura jamais de succès. Carmen est actuellement l’opéra le plus joué dans le monde », a souligné Caroline Debonne.
Elle a rappelé que Camille Saint-Saens, auteur du célèbre opéra « Samson et Dalila », a vécu à Alger. Le compositeur français a habité une villa à Raïs Hamidou, à l’ouest d’Alger, en face de…la Méditerranée. « Nous sommes ravis de nous produire en Algérie pour la première fois. Les Algériens sont accueillants. On se sent comme à la maison. Nous connaissons la musique algérienne à travers nos études », a déclaré la musicienne française.
« Avant la scène, je dors beaucoup »
Le Trio a été bien applaudi après leur concert à l’Opéra d’Alger. Il en été de même pour la soprano mexicaine Rebeca Olvera qui a repris, avec rigueur et beauté, des airs d’opéra des italiens Giacomo Puccini et Gaetano Donizetti. Elle a chanté à voix déployée le fameux « Meine lippen, sie küssen so heiss » (Mes lèvres embrassent si fort » du compositeur austro-hongrois Franz Lehar, connu aussi par l’opérette « Le pays du sourire ». Accompagnée du pianiste Rolando Garza Rodriguez, Rebeca Olvera a repris des poèmes de l’écrivaine mexicaine Rosario Castellanos, interprétés en première mondiale à Alger.
« Ces quatre pièces ont été composées par mon pianiste. J’ai interprété aussi des chansons mexicaines très connues comme « Jurame » de Maria Grever et « Granada » d’Agustin Lara », a expliqué la chanteuse mexicaine, actuellement établie en Suisse.
Pour elle, une soprano doit adopter une certaine hygiène de vie. « Il faut bien dormir, bien travailler. Le corps doit être sain pour que la voix soit en bonne santé aussi. Avant la scène, je dors beaucoup, je mange peu, je chauffe la voix avant de me reposer un peu », dit-elle. Elle a rappelé qu’elle a joué le rôle de de l’algérienne dans l’opéra «L’italiana in Algeri » de Gioachino Rossini, composé en 1813.
Rolando Garza Rodriguez, qui a formé le Dueto mexicain avec Rebeca Olvera , a accompagné la soprano dans plusieurs concerts en Europe. « Au Mexique, il existe beaucoup d’écoles de musique. La musique habite les mexicains. Il existe des orchestres symphoniques dans des villes comme Mexico et partout dans le pays la musique folklorique est très présente. La musique européenne n’est pas dans la culture du pays. Beaucoup de compositeurs mexicains se sont inspirés des airs populaires pour élaborer de la musique orchestrale comme Carlos Chavez et Arturo Marquez. Parfois des concerts de musique pop et symphonique sont organisés au même moment, c’est toujours un événement », a souligné Rolando Rodriguez Garza, diplômé de la prestigieuse Manhattan School of Music.
Airs du Venezuela
Pour la première fois en Algérie, le Venezuela est venu avec un ensemble d’une cinquantaine de musiciens, l’Orchestre Simon Bolivar, mené par le jeune Joshua Dos Santos, qui a exécuté « Aires de Venezuela », une composition connue de José Terenzio, et « Mambo » du cubain Pérez Prado. Les couleurs sud-américaines étaient bien là à l’Opéra d’Alger. L’Orchestre a interprété avec beaucoup de maîtrise la symphonie numéro 7 de Beethoven.
Eugenio Carreño, directeur du Système national d’orchestres et de chœurs de jeunes et d’enfants du Venezuela, El Sistema, a expliqué que ce programme permet de populariser la musique symphonique partout au Venezuela. « Nous avons 250 orchestres d’enfants, 150 orchestres de jeunes et 50 orchestres professionnels au niveau national », a annoncé, pour sa part, Joshua Dos Santos. Selon lui, populariser la musique symphonique est une politique d’Etat qui permet à plus d’un million d’enfants d’être inscrits dans des écoles de musique au Venezuela. Un exemple à suivre.