Le 11ème Festival international du Malouf de Constantine se poursuit jusqu’au 15 juillet avec des soirées riches en mélodies et en poésie au niveau de la salle Ahmed Bey.
Jeudi 13 juillet, la soirée était consacrée aux « ambassadeurs du Malouf », ceux qui chantent cette musique ancienne ailleurs. Mourad Fergani, fils du maître Hadj Mohamed Tahar Fergani, est revenu de Paris. « Cela fait des années que je ne suis pas venu à Constantine. Je suis ravi que le festival reprenne ses droits. Il est important de préserver ce patrimoine musical ancestral. Nous avons fait ce qu’il fallait, aux jeunes d’aujourd’hui de prendre le relais. Dans notre famille, le Malouf a été transmis de notre grand-père Hadj Hamou Fergani au neveu Adlène Fergani. Nous avons ouvert les yeux sur des instruments de musique », a confié Mourad Fergani.
Il a interprété en hommage à son père « Layali Esourour » de la nouba Maya. « Pour réussir dans le Malouf, il faut être sérieux, fournir un effort, apprendre, travailler. Après avoir interprété tout le répertoire Malouf de Constantine, mon père s’était mis à chanter des pièces de la Sn’aa d’Alger comme « Achiq rakik », « Ya morsli sahm el joufoune » ou « Khademli saadi ». Il était pointu dans le travail. Il me disait qu’il faut respecter l’art pour être respecté en tant qu’artiste », a ajouté Mourad Fergani.
« Il y a des français qui chantent du Malouf »
Revenu de France aussi, Merouane Bellala a interprété des btayhi et des insfrafat de la nouba mezmoum. « J’ai crée une école en France à la demande du maître Réda Djillali. Nous jouons du Malouf depuis au moins dix huit ans au Centre culturel algérien (CCA) de Paris. Beaucoup de jeunes algériens et français viennent s’inscrire pour apprendre le Malouf, certains sont curieux de connaître cette musique. Même s’ils rencontrent quelques difficultés de prononciation, il y a des français qui chantent du Malouf. Je pense qu’en Algérie, la relève est assurée. N’ayez crainte, le Malouf est bien protégé ! « , a rassuré Merouane Bellala.
Mebarek Dekhla, un des piliers du Malouf à Annaba, élève de Hassane el Annabi, n’a pas chanté à Constantine depuis plusieurs années, lui aussi. Il a interprété une pièce du hawzi, « Aini Chkat maa kalbi ». « Ravi du retour du Festival international du Malouf dans sa ville. Le public de cette ville adopte cet héritage musical. Contrairement à ce qu’on dit, les jeunes s’intéressent toujours au Malouf. Les réseaux sociaux aident à mieux se connaître et à garder le contact. Des chanteurs de Tlemcen, de Mostaganem, de Mila, de Constantine, d’Alger sont en contact entre eux grâce à ces réseaux. Nous apportons notre contribution pour préserver ce patrimoine », a ajouté Mbarek Dekhla.
« L’Algérie est un continent d’art »
Fateh Rouana est, lui, venu de Skikda, une autre ville du Malouf. Il a choisi d’interpréter des extraits de la nouba zidane dont le msader « lawzou fatah » et le khlas « ya kamel el ma’ani ». L’artiste partage l’avis de Mbarek Dekhla sur l’existence d’une relève dans le Malouf. « Ce qui est rassurant est qu’aujourd’hui, le Malouf est bien présent dans les cérémonies de mariage. Les jeunes sont en contact avec les maîtres. Il n’y a pas de rupture. Je pense que les associations peuvent jouer un grand rôle dans la préservation du patrimoine du Malouf », a constaté Fateh Rouana. Il a évoqué la transmission orale de cet héritage musical.
Kamel Benani, fils de Hamdi Benani, est, lui aussi, rassuré qu’à l’avenir du Malouf en Algérie, compte tenu de l’intérêt porté par les jeunes à cette musique. Il a salué le retour du festival de Constantine après six ans d’arrêt et choisi des extraits de la nouba hsin. »Il existe de légères différences entre le malouf joué à Annaba et celui existant à Constantine. La source est la même, l’école de Séville. Le patrimoine musical andalous est riche avec ses trois écoles (Tlemcen, Constantine et Alger). L’Algérie est un continent d’art. Nous avons la charge en tant qu’artistes et en tant que médias de sauvegarder ce patrimoine andalous », a relevé Kamel Benani.
Il revendique un certain mélange entre l’authenticité du Malouf et la modernité de la musique actuelle. « C’est une manière d’attirer une autre écoute. Aujourd’hui, on écoute de la musique turque même si parfois on ne comprend pas les paroles. D’où la nécessité de faciliter musicalement l’accessibilité de notre patrimoine à l’étranger », a-t-il dit.
En Libye, le Malouf est considéré comme un art noble
L’ensemble de Chouhada Kaam de Libye a été le premier à monter sur scène, lors de la troisième soirée du festival. Il a interprété des pièces du Malouf libyen, des mouachahat et des salamiyat. « Le Malouf est un art noble. Il existe des différences entre la Malouf algérien et le Malouf algérien notamment sur les rythmes et les mouachahat. Le Malouf libyen est classifié selon les modes, pas selon les maqamat (gammes). Les paroles sont partagées. Par exemple, « Bouchra hania », interprété en Algérie, est également chanté en Libye avec un air et une rythmique différents », a précisé Adel Khalifa Tahiri, responsable de l’ensemble.
Il a indiqué que les instruments à cordes sont utilisés comme base dans les orchestrations du Malouf libyen. Il s’agit du oud, du violon et du qanun. « Nous utilisons aussi les percussions comme le def et la tabla. A Tripoli, il existe un ensemble féminin du Malouf. Chouhada Kaam a été créé en 2005. Il est constitué en grande partie de jeunes. Ils ont été formés dès l’âge de neuf ans », a-t-il détaillé. Il a ajouté que l’ensemble de Chouhada Kaam vient de la ville côtière de Zliten, à 130 km de Tripoli. « C’est la ville des minarets. Zliten compte un grand nombre de récitants du Coran », a-t-il dit.
« Consacrer la culture de la paix »
Mercredi 12 juillet, la chanteuse italo-algérienne Anissa Gouizi a interprété plusieurs titres en arabe, en italien, en espagnol et en français. « Je mélange les mélodies et les langues. C’est une manière de consacrer la culture de la paix et du vivre ensemble. J’ai étudié la musique traditionnelle et classique italienne. Il existe une autre façon de faire de la musique en Algérie avec les ensembles, le chant collectif. Il y a des ressemblances entre le chant du sud de l’Italie et la musique arabo-andalouse. On peut donc trouver des liens. J’apprends la langue arabe pour chanter arabe », a confié Anissa Gouizi.
Elle a fait réagir le public de la salle, surtout les jeunes, en reprenant le célèbre « Bella ciao », le chant des partisans italiens, remis au goût du jour par la série espganole « La Casa de papel ». « J’ai chanté Bella ciao pour souligner le fait que c’est un moment de l’Histoire où il faut revendiquer ses droits, pousser sur cette voie. C’est aussi le rôle des artistes », a souligné la chanteuse italo-algérienne.
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