Abdelkader Rouahi prépare un doctorat sur les arts dramatiques à l’université de Sidi Bel Abbes. Il a mis en scène la pièce « Tinisem, el likaa el akhir » (Tinisem, la dernière rencontre) présentée lors des 10ème Journées théâtrales du sud, organisées à Djelfa jusqu’au 19 décembre 2021. Une pièce inspirée d’une légende saharienne et produite par l’Association culturelle des arts dramatiques d’Adrar.
24H Algérie: Il y avait du bkhour, de l’eau et d’autres éléments dans la pièce « Tinisem ». On comprend qu’il ya une part de vous même dans cette représentation. N’est-ce pas ?
Abdelkader Rouahi: Je crois personnellement au théâtre qui s’adresse à l’humain. Je ne crois pas au théâtre orienté vers telle ou telle catégories. Je vais dévoiler mon identité dans le théâtre en tant qu’algérien du sahara. Je veux qu’on retrouve le bkhours, le sable, l’eau…J’ai grandi entre deux adhans (appels à la prière), entre les zaouia, entre les récitations du Coran…Je ne peux en aucune manière laisser de côté tout cela. Je fais passer dans le théâtre mon moi, les pleurs, les rires. Les pleurs et les rires qui sont dans le sable, dans les palmiers, dans l’eau…
Ne sommes-nous pas devant le théâtre du rituel ?
Moi et l’auteur du texte avons grandi ensemble. Je connais bien sa manière de réfléchir. Chadi Laïd n’est pas du genre à écrire des textes pour le théâtre du rituel. C’est sa première expérience d’écriture. En tant que metteur en scène, j’ai intensifié certains passages. Nous allons continuer à travailler sur le texte. Nous allons également améliorer la diction des comédiens et l’éducation vocale. C’est un nouveau spectacle.
La pièce « Tinisem » est inspirée d’une légende de Tamentit…
En fait, c’est une légende partagée par tout le Sahara algérien Reggane, In Salah, Adrar, Tamenrasset, Tindouf, Béchar…Cette femme, qui se venge des hommes, a grandi avec nous dans notre imaginaire. Une femme qu’on évoque pour faire peur aux enfants. Une femme qui a été trahie par son époux. Sa haine des hommes l’a conduite à les tuer.
En reprenant la légende dans la pièce, l’avez-vous mise dans un autre contexte ?
Nous avons pris le personnage de Tinisem de la mémoire collective et l’avons mis dans un récit avec d’autres personnages. Tinisem est mieux représentée sur scène dans un récit parallèle à sa véritable histoire.
Qu’évoquait le rideau blanc qui a divisé la scène en deux espaces ?
Le deuxième espace était celui de la rencontre des comédiens, de la catharsis, avant d’affronter le monstre qui pouvait les tuer. Après avoir assassiné son époux, Tinisem accouche dans le désert. Son amie Wissal prend le bébé et l’adopte comme son propre enfant. Devenu grand, l’enfant, Hatane, va rencontrer plus tard Tinisem qui lui apprend la vérité.
La pièce a commencé par un refrain de la chanson « Lazreg ou sâani » (rendue célèbre par Mami). La musique du patrimoine est présente dans le spectacle comme un autre personnage. Pourquoi ce choix ?
Nous avons voulu exprimer l’univers saharien avec les outils d’aujourd’hui. Nous vivons à l’époque de l’image et du progrès. Nous avons essayé de mélanger les styles folkloriques d’Adrar avec ce qui peut fonctionner avec la vision de mise en scène actuelle. « Lazreg ou sâani » est un poème écrit par Abderrahmane Chellali d’El Bayadh. Cette chanson est interprétée à Adrar lors des cérémonies de mariage et dans le Tbel (une forme d’expression folklorique) avec des instruments tels que l’oud ou le gumbri.
On annonce l’ouverture prochaine d’un théâtre régional à Adrar. Qu’attend le mouvement théâtral d’Adrar de ce nouvel établissement culturel ?
L’ex-ministre de la Culture et des Arts, Malika Bendouda, a décidé de transformer le nouveau palais de la culture d’Adrar en théâtre régional. A ce jour, le statut portant création de ce théâtre n’a pas encore été adopté. Un théâtre régional à Adrar va ouvrir beaucoup de perspectives avec notamment l’ouverture d’un département des arts à l’université d’Adrar. J’ai constaté qu’à Sidi Bel Abbes, il y a un nombre important d’étudiants d’Adrar au département des arts.
Comment évolue le mouvement théâtral à Adrar justement
Il y a beaucoup d’associations. Et chaque association a sa propre école. Ce qui est déjà bien. Nous ne travaillons pas dans le même couloir, la même chambre…Il y a ceux qui s’intéressent au rituel, d’autres à l’expérimental, et d’autres encore au psychologique….
Certains travaillent uniquement sur le théâtre pour enfants. Cette diversité va donner de bons résultats avec le temps. Adrar est un carrefour africain. Elle peut vivre au rythme de l’Afrique et de ses cultures populaires riches. Un théâtre exprimant tous les éléments identitaires de l’algérien peut se développer dans cette région du pays.
Et vous, quelle école de théâtre vous inspire le plus ?
Le théâtre rituel m’inspire le plus. Il permet de dire son moi et de reconstruire l’identité de l’algérien. Cette identité qui supporte nos douleurs et nos bonheurs. Ce théâtre permet de créer un nouvel homme, un homme proche de l’autre…