Commençons par la fin : à sa mort en 1883, les Syriens, voulant rendre à l’émir Abdelkader l’hommage qu’il mérite, l’enterrent aux côtés d’Ibn Arabi, surnommé Echeikh El-Akbar. C’est un honneur insigne qui lui est rendu, lui l’adepte et penseur éclairé du tassawuf : reposer près du maître de tous les Soufis.
Mais l’Algérie indépendante va en décider autrement : les restes de l’émir seront transférés de Damas au cimetière d’El-Alia, à Alger. Si tant est qu’il pût être consulté, aurait-il accepté cette délocalisation ? Difficile de répondre.
Abdelkader est considéré comme le disciple majeur d’Ibn Arabi. C’est lui qui permet la première édition moderne de l’œuvre maîtresse d’Ibn Arabi : El-Futuhat El-Makkiya (Les illuminations mecquoises). Cependant, comme l’affirment certains, il est plus connu pour ce qu’il a été le moins.
En 1962, l’État algérien naissant a fait de l’émir Abdelkader le symbole de l’intégrité nationale retrouvée. Dès ce moment, Abdelkader symbolisera la pérennité historique de l’Algérie. Les tout premiers timbres-poste étaient à son effigie, avec le drapeau. A ce jour, son célèbre portrait se trouve en filigrane sur les billets de la Banque d’Algérie.
En 1966, Boumediene, se considérant comme le restaurateur de l’État algérien, va transférer en grandes pompes les cendres de l’Emir de la Syrie vers l’Algérie. Sa tombe inaugure le Carré des Martyrs au cimetière d’El-Alia à Alger, le désignant ainsi comme le premier parmi les grands hommes de la nation algérienne.
Abdelkader a été un chef valeureux, organisateur et politique avisé. Il a su, dans des conditions difficiles, mener un combat de dix-sept années contre un ennemi implacable, lourdement armé, décidé dans ses objectifs.
Mais il y a ceux qui lui reproche sa reddition, sa légion d’honneur, d’avoir protégé des chrétiens, d’être franc-maçon, et j’en passe. C’est beaucoup pour un seul homme, aussi grand fût-il.
Certains historiens lui reproche même d’avoir, par sa résistance farouche, amené la France a occupé toute l’Algérie, alors que son intention première était, prétendent-ils, d’occuper seulement une bande côtière.
Abdelkader a cessé de se battre parce qu’il a été trahi, face à la plus forte armée du moment ; il n’a jamais été franc-maçon, il a toujours fait preuve de grandeur d’âme même envers ses pires ennemis et la France coloniale était un ogre impitoyable qui a dévoré la moitié de l’Afrique. Beaucoup, mal informés ou mal intentionnés, lui font un mauvais procès.
Mais tout homme célèbre et qui plus est ayant marqué l’histoire, est un jour ou l’autre sujet à controverse et Abdelkader n’y échappe pas.
Il y a cependant un Abdelkader méconnu jusqu’en son propre pays. Un Abdelkader poète, penseur, écrivain. Un Abdelkader philosophe, vivant pleinement sa passion intellectuelle même aux pires moments de la résistance. Un Abdelkader incontestable. C’est Abdelkader, esprit illustre du 19ème siècle.
Si son héritage historique sur les plans politique, militaire et stratégique a été largement étudié, son héritage culturel a malheureusement fait l’objet de peu de travaux et tout reste à faire. Il faut revisiter cet héritage afin qu’il occupe la place qu’il mérite dans notre patrimoine culturel. Le méconnaître, c’est oblitérer un aspect essentiel du personnage.
La personnalité d’Abdelkader a traversé l’histoire mais aussi les continents. Il a bien sûr imprégné l’espace français à un moment donné. Il a eu également une influence notoire au Proche-Orient. Ces aspects doivent être évalués au même titre que les autres. Il est pour le moins paradoxal, par exemple, que le palais de l’émir à Doumar en Syrie ait été restauré grâce à un financement de la Communauté Européenne.
Mawaqif, œuvre majeure de l’émir, que l’on traduit prosaïquement en français par « Haltes », est un recueil de trois cent soixante-douze textes méditatifs à visée métaphysique d’ampleur inégale. Cela va de quelques feuillets à plus d’une centaine de feuillets. J.Berque parle de « la splendeur du propos. » Cette œuvre a fait l’objet de nombreuses études et commentaires.
Abdelkader y déclare : « J’écris à l’usage des frères qui ont foi en mes signes : s’ils ne sont pas parvenus à les cueillir, qu’ils les laissent dans les replis de leur colocation, jusqu’à ce que les plus fermes d’entre eux parviennent à en tirer des trésors… »
Toujours selon Berque, « la splendeur littéraire de maints passages des Mawaqif risque de renverser bien des hiérarchies reçues et la vraie Nahda n’est sans doute pas là où on la cherche. » Abdelkader comme acteur essentiel de la Nahda, renaissance arabe, au dix-neuvième siècle : voilà qui nécessite de revoir beaucoup de livres scolaires.
On trouvera les jugements les plus contradictoires sur Abdelkader, du traître au résistant, du prince des Arabes à l’ami de la France. Ceux qui le jugent à travers le prisme de leur idéologie actuelle sans replacer son action dans le contexte historique qui est le sien se trompent lourdement. Mais personne ne lui enlèvera ses années de résistance, son œuvre intellectuelle, sa personnalité hors du commun.
Un long travail reste encore à faire pour cerner une personnalité complexe, objet d’une documentation foisonnante et multinationale. Un travail également sur l’œuvre intellectuelle et les archives de l’émir, la correspondance publique et privée, cette dernière étant plus compliquée à recensée.
Abdelkader fut un soldat, certains diront un moine-soldat, un commandant en chef incontesté et reconnu, un intellectuel qui pensait les questionnements de son temps avec justesse et élégance, un écrivain génial, un homme du monde aussi à l’aise sur les champs de bataille que dans les salons feutrés des palais d’Occident ou d’Orient, aussi bien avec les femmes de sa smala qu’avec les précieuses européennes qui hantaient les merveilleux palais damascènes du dix-neuvième siècle. C’est dire le génie du personnage, mais aussi sa complexité. Il a tout tenté pour s’inscrire et inscrire son pays dans la modernité naissante. Il y réussît, peut-être, à titre personnel mais ne pût, faute de moyens, éviter à son pays de plonger dans la longue nuit coloniale.
[…] En 1869, âgé seulement de quatorze ans, le lycéen Arthur Rimbaud participe à un concours académique. Comme à son habitude, il va rafler le premier prix. La précocité du lycéen de Charleroi est notoire. Le sujet du concours est rédigé comme suit, concis et précis : « Jugurtha ». Le génie rimbaldien va en faire un poème de quatre-vingts trois vers, rédigé en latin en l’honneur de l’Emir Abdelkader. […]
[…] pas d’allocations de la France, c’est faux », a-t-il déclaré à Echourouk News.L’Emir Abdelkader n’a, selon lui, jamais fait partie de la Franc maçonnerie, comme cela a été dit par Aït […]