Formé à l’Institut Supérieur des Métiers des Arts du Spectacle et de l’Audio Visuel d’Alger (ISMAS), Abdenacer Khellaf est critique de théâtre. Il était chargé de la communication lors du Festival national du théâtre féminin organisé par la défunte Sonia à Annaba entre 2012 et 2016. Il est actuellement directeur du Théâtre régional Ahmed Benbouzid de Djelfa (TRD).
24h Algérie: C’est votre premier poste en tant que directeur d’un théâtre régional. Parlez-nous de cette nouvelle expérience ?
Abenacer Khellaf: Je suis arrivé à Djelfa le 21 février 2021. J’ai trouvé des jeunes ayant beaucoup d’énergie décidés à aller loin dans le théâtre professionnel. Mais, le Théâtre régional de Djelfa a connu, avant mon arrivée, de l’instabilité avec quatre directeurs en cinq ans. Cela a perturbé le fonctionnement de l’établissement qui n’a pas bénéficié de la dotation initiale. Les fonctionnaires du TRD ont besoin de stages de formation sur la manière de gérer un théâtre car certains n’ont pas encore acquis d’expérience. Ces formations sont nécessaires pour améliorer les performances artistiques et le rendement économique du théâtre. Le TRD est un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial).
Nous avons organisé des stages de recyclage pour les employés en partenariat avec le Théâtre régional Mohamed Tahar Fergani de Constantine (TRC), Théâtre national Mahieddine Bachtarzi d’Alger (TNA) et le Théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran (TRO). Nous voulons que le Théâtre de Djelfa soit un petit modèle du TNA.
Sur quoi ont porté les stages de formation ?
Sur la production théâtrale. Il ne suffit pas de présenter une pièce. Il faut s’intéresser à la manière avec laquelle, elle a été produite. Nous avons travaillé pour que tous les employés du théâtre contribuent à cette opération.
Le théâtre a-t-il ses propres comédiens ?
Non. Dans l’organigramme du TRD, il n’y a pas de comédiens recrutés. Nous avons actuellement quatre comédiens formés dans le mouvement théâtral à Djelfa. Nous travaillons avec des contrats. Nous sommes entrain de renouveler la composante du comité artistique pour passer à la production des pièces pour enfants et pour adultes.
Vous êtes tenus par un contrat de performance dans la gestion du théâtre…
Oui. Et dans ce cadre, je dois revaloriser et s’appuyer sur le patrimoine immatériel et oral de la région de Djelfa dans les représentations théâtrales. Djelfa est connue par la poésie melhoun, par les expressions soufies, par les contes populaires…Les pièces à produire doivent avoir un rapport aussi avec la vie sociale de la région pour que le public s’y trouve. Nous devons nous rapprocher de la société pastorale.
Il faut revenir aux textes dramaturgiques locaux. Cela concerne aussi la danse, la musique, la scénographie, etc. La danse populaire et la musique Naïlie doivent, à mon avis, être présentes sur scène dans le théâtre. Cela n’a jamais été fait par le passé. En Jordanie où nous avons participé dernièrement au Festival Toqos, le public a découvert le patrimoine de Djelfa grâce à une pièce de théâtre.
Qu’en est-il du théâtre pour enfants ? Nous avons vu un grand engouement lors des 14ème Journées théâtrales du sud organisées du 15 au 19 décembre 2021 à Djelfa
Je pense qu’il faut tout aborder dans le théâtre pour enfants dans le sens de les sensibiliser contre certains fléaux comme la consommation de drogue et de cigarettes, les dangers de l’internet lorsqu’il est mal utilisé. Il s’agit aussi de les sensibiliser sur la protection de la nature. Les enfants qui viennent à la salle de théâtre seront le public de demain.
Comment est le mouvement théâtral ici à Djelfa ?
Il y a des associations qui s’intéressent au théâtre pour enfant. Il existe des tentatives de produire des pièces pour adultes. En 2022, le TRD va dresser un répertoire de toutes les troupes et associations qui activent dans le domaine du théâtre à Djelfa. Il est important de faire l’historique du mouvement théâtral de cette région. Nous devons appuyer ce mouvement en offrant nos espaces et notre salle aux spectacles produits par ces associations.
Il y aura donc un partage de recettes de la billetterie
Oui, 60 % pour ces associations et 40 % pour le théâtre. Tout le monde sera gagnant. Le théâtre doit réfléchir avec cette logique. Il faut sortir de l’assistanat social. L’entrée au théâtre de Djelfa se fait désormais par ticket même s’il n’y aura que sept personnes en salle. Il n’y aura plus d’accès gratuit aux spectacles. Nous devons protéger le théâtre.
L’ancien président de la FIFA (João Havelange) avait dit, lorsqu’il avait été nommé, qu’il est venu vendre une marchandise, le football. Moi, en tant que directeur du TRD, j’ai une marchandise à vendre , le spectacle théâtral. Il faut rompre avec les habitudes du passé, sortir des situations de stagnation. En dehors du TNA et du TRO, la plupart des théâtres régionaux continuent de fonctionner grâce à la subvention de l’Etat. Nous devons changer cette situation et assurer de vraies recettes aux théâtres. A Djelfa, nous voulons montrer l’exemple.
Le TRD est-il bien équipé ?
Oui. Mais, je dois avouer que le budget actuel du théâtre de Djelfa n’est pas suffisant, ne couvre même pas la masse salariale. Les anciens directeurs ont travaillé pour doter le théâtre d’équipement d’éclairage et du son. Dans le future, je parie sur des spectacles de qualité, comme ceux de la musique savante, la musique classique, le châabi, pour attirer le public et les familles. Des spectacles payants. Nous avons organisé durant le Ramadhan 2021 des concerts avec des musiciens locaux, ceux qui jouent l’oud notamment, qui ont leur propre public. L’affluence était importante.
Existe-il un programme artistique durant les week-ends ?
Oui, les vendredi et samedi sont consacrés pour le théâtre pour enfants. Nous allons faire en sorte de d’assurer deux représentations, l’une dans la matinée pour ceux qui habitent en dehors de Djelfa, et l’autre, l’après midi, pour les habitants de la ville.
Djelfa est-elle concernée par les tournées des pièces produites ailleurs, comme à Mostaganem, Constantine ou Alger ?
La salle du Théâtre de Djelfa est restée fermée pendant dix mois. Un théâtre sans salle est comme un soldat sans arme. Grâce au soutien du wali de Djelfa Ammar Ali Bensaad, nous avons pu rouvrir la salle surtout après notre participation au festival Toqos avec la pièce « Hikayat min zaman el guira » (Des histoires du temps de guerre), une La salle a été rouverte à l’occasion de la célébration des manifestations du 11 décembre. Les 10 ème Journées théâtrales du sud est le premier événement organisé dans cette salle. Le TRD est un vrai bijou architectural qui doit être valorisé avec le soutien du ministère de la Culture.
Parlez nous justement de votre participation en Jordanie au festival Toqos avec la pièce Hikayat min zaman el guira », pièce mise en scène par Haroun Kilani
Cette pièce est le fruit d’un atelier sur la production théâtrale, organisé en juillet 2021. Une production impliquant tant les comédiens que le staff administratif et technique. Nous avons choisi le roman de Yamina Mechakra, « La grotte éclatée », marqué par des formes de rituel. Le festival de Jordanie est le seul au monde qui s’intéresse au théâtre du rituel. Le ministère de la Culture a donné son accord pour la participation de la pièce « Hikayat min zaman el guira » à ce festival.
Le spectacle a été bien accueilli par le public et salué par l’ambassadeur d’Algérie à Aman. Cette pièce est représentative du théâtre qui se pratique dans le sud du pays. Nous avons voulu aussi profiter de l’expérience de Haroun Kilani qui a déjà eu à encadrer des ateliers en Algérie et à l’étranger. Au théâtre de Djelfa, nous allons solliciter tous ceux qui ont de l’expérience quelque soit le domaine, quitte à faire appel à Djamel Belmadi aussi !