L’avocate Fatima Benbraham a déposé deux plaintes contre l’écrivain français d’origine algérienne Kamel Daoud et son épouse pour « divulgation de secret professionnel » et « atteinte à la vie privée », après la publication du roman « Houris », récompensé du prix littéraire du Goncourt en France.
Fatima Benbram défend Saâda Arbane qui accuse l’écrivain franco-algérien d’avoir dévoilé sa propre histoire personnelle dans son roman, paru aux éditions Gallimard, à Paris, sans demander son accord.
« Kamel Daoud parle dans son roman à la première personne du singulier, « Je, je, je »…Ce qui veut dire que cet homme a volé la personne de ma cliente. S’il y a une personne qui doit parler en « je », c’est elle. Comme par hasard, Daoud lui vole sa voix et se glisse dans la peau de la victime. Et, il dit ce que lui a envie de dire et non pas ce qu’elle a, elle, envie de dire. Il lui vole sa vie, son histoire, sa douleur. Il la laisse sans vie », a accusé Fatima Benbraham, lors d’une conférence de presse, animée, jeudi 21 novembre 2024, à l’hôtel AZ à Kouba, à Alger.
Elle était accompagnée de sa cliente, Saâda Arbane, de Fatma Zohra Flici, présidente de l’Association nationale des victimes du terrorisme, et de Safia Fahassi, représentante des familles des disparus. Une plainte a également été déposée au nom des victimes du terrorisme et des disparitions forcées.
« Nous n’allons pas délocaliser la plainte en France »
« Nous avons déposé la plainte, avec le livre accompagné d’un explicatif, des documents et des preuves. Nous avons été convoqués cette semaine par le juge d’instruction et nous avons payé la caution le 18 novembre 2024. L’action est donc enclenchée en Algérie. Le procureur est solidaire avec nous. Nous n’allons pas délocaliser la plainte en France. Les faits se sont déroulés en Algérie. La victime est algérienne et habite en Algérie. Et Kamel Daoud est algérien aussi et a un domicile en Algérie. Dès que les plaintes seront confirmées, la semaine prochaine, le juge va procéder à la convocation de Kamel Daoud. Il dit qu’il est prêt à répondre à l’appel de la justice. Alors, je vous attend Kamel Daoud ! », a lancé l’avocate.
Et d’ajouter : » Daoud, nous sommes entrain de croiser le fer. Si tu as le courage de venir démentir ce que dit ma cliente, l’affaire est pendante devant le tribunal d’Oran, tu peux rentrer ! Ton casier judiciaire est vierge. Toi et ta femme. Venez vous expliquer ici. Après, on verra la suite ».
Fatma Zohra Flici a pris contact avec l’avocate après la parution du roman en France, en août 2024. « Elle m’a dit qu’elle n’admet pas ce qui se dit, m’a dit qu’il faut avancer, construire, dépasser tout et vivre en paix, m’a parlé de la volonté de déposer plainte, autant que Mme Safia Fahassi qui a exprimé sa solidarité. La plainte porte sur la mémoire des victimes sur la base de l’article 46 de la Charte (pour la paix et la réconciliation). Saâda est une victime vivante, c’est un autre cas. La première plainte, composée de plusieurs pages, a été déposée près du doyen des juges d’instruction du tribunal d’Oran. Après avoir obtenu gain de cause et établi la véracité des faits par une décision de justice, nous allons nous battre là-bas (en France) pour une autre raison, mais tout de suite », a détaillé Fatima Benbraham.
« Pour l’instant, j’attribue les circonstances atténuantes à Gallimard »
Selon elle, la maison d’édition Gallimard défend pour l’instant Kamel Daoud pour des considérations commerciales et financières. « La non participation de Gallimard au dernier Salon international du livre d’Alger (qui s’est déroulé du 6 au 16 novembre 2024) a provoqué de grosses pertes pour l’éditeur français. Sa position est très mal vue aujourd’hui parce que nous avons la preuve de ce que nous disons. Pour l’instant, j’attribue les circonstances atténuantes à Gallimard. Pourquoi ? Lorsque l’auteur a déposé le manuscrit de son roman, l’éditeur ne connaissait pas l’histoire de la femme algérienne. L’éditeur continue à dire que c’est une fiction », a-t-elle dit.
« Si Kamel Daoud chute, la maison Gallimard tombe avec lui. Et si Gallimard se désolidarise de l’auteur au motif qu’il n’était pas au courant du fond de l’affaire, le Goncourt sera retiré à Kamel Daoud. Nous n’allons pas laisser tranquille cet éditeur s’il persiste à défendre son écrivain et engager des procédures au niveau international. Il faut noter que cette affaire a divisé la France en deux, il y a ceux qui nous soutiennent et il y a ceux qui défendent l’auteur », a menacé l’avocate.
Elle est revenue ensuite sur la genèse de l’affaire et accusé Aicha Dehdouh, psychiatre, épouse de Kamel Daoud, d’avoir fourni le dossier médical de Saâda Arbane, qui était sa patiente, à l’écrivain. « Ce dossier est aujourd’hui introuvable. Nous allons le chercher. Tous les certificats médicaux que nous avons sont signé de la main la psychiatre épouse de l’écrivain. Elle a violé le secret médical en livrant le dossier à son mari. Elle ne peut pas le nier et doit devoir s’expliquer devant le juge d’instruction. Cette histoire ne lui appartient pas. Elle appartient sa la cliente. Saada s’est livrée à la psychiatre , lui a tout raconté, montré son corps et ses blessures. Elle l’avait piégé en ramassant toutes les informations pour les donner à son mari afin d’écrire le livre. Un livre écrit en Algérie et publié en France où l’apport du gain est important », a-t-elle relevé.
Et de poursuivre : « Kamel Daoud s’est installé en France avec sa famille l’été 2024. Cela veut dire que le livre était déjà prêt. Il a été publié après que l’écrivain ait obtenu la nationalité française. Une nationalité octroyée par le président français. Il peut en être déchu à n’importe quel moment s’il ne respecte pas certains règles et principes ».
« Qui sait qui est Kamel Daoud »
L’avocate a cité plusieurs indices prouvant que le roman « Houris » est une écriture de l’histoire dramatique de Saâda Arbane : « Le tatouage sur le dos et au niveau du pied de Saâda. Comment pouvait-il le savoir sans l’aide de son épouse? La gorge tranchée de Saada, évoquée aussi en détail dans le roman. Il n’y a qu’une seule femme en Algérie qui a survécu à un égorgement (durant les années 1990), c’est bien Saâda. Elle a perdu ses cordes vocales. C’est pour cette raison que Kamel Daoud parle de la voix intérieure et il l’a doublé par sa propre voix ».
« Qui sait qui est Kamel Daoud ? », s’est interrogée Fatima Benbraham. Et de répondre : « Il était imam dans son lycée où faisait des prêches virulentes. Des dizaine d’élèves de son âge ont quitté les bancs de l’école pour le maquis terroriste. Il a fréquenté le FIS qui, à l’époque, était un parti légal. C’était son droit. En réponse à une question sur ce qu’il a retenu de la décennie noire, il a déclaré : « les femmes, le sexe, les prostituées, l’alcool et les soirées endiablées dans les cabarets ». Voilà ce qu’il a retenu de la décennie noire alors que les gens mourraient. Peut-on faire confiance à un homme versatile ? Une fois FIS, une fois buveur d’alcool. Je lui conseille vivement de demander à sa femme de le soigner longuement « , a attaqué Fatima Benbraham.
« Au lieu de rester sur les problèmes sémantiques, il s’égare vers des problèmes politiques. Kamel Daoud dispose du verbe et moi, en tant qu’avocate, je dispose de preuves. Ma profession n’est pas seulement de parler, mais aussi de défendre l’opprimé. L’éthique veut qu’on ne peut pas construire sa gloire sur le malheurs des faibles, et, c’est exactement ce qu’a fait Daoud. Il a construit sa gloire sur le malheur de Saâda. Cet homme a étranglé une deuxième fois la voix dans la gorge de ma cliente. Il a tué sa parole… », a soutenu l’avocate.
« On vend sa conscience pour 10 euros ! »
« Kamel Daoud est allé détruire toutes les valeurs nobles de notre peuple. Il a déclaré porter dans son ventre ce drame pendant vingt ans. Il dit que l’histoire qu’il raconte est fictive. La condition sine qua non du prix Goncourt est de proposer des histoires qui ne doivent pas être réelles et ne doivent pas toucher l’honneur et la dignité des personnes vivantes ou mortes. Dès lors qu’on touche à une personne qu’on peut identifier, comme c’est le cas de ma cliente, il n’est pas éligible au prix Goncourt. Ce prix est d’une valeur de 10 euros. On vend donc sa patrie et sa conscience et on vole la vie des gens pour 10 euros dans un livre patchwork ! Kamel Daoud a trompé l’Algérie, la France et son éditeur. Il n’a donc pas mérité le prix Goncourt. Dans les jours qui vont venir, les choses vont changer. Je remercie tous les avocats français qui ne cessent pas de m’appeler pour dire qu’ils sont avec nous dans ce combat. Un combat noble », a conclu Fatima Benbraham.
Dans sa chronique hebdomadaire dans Le Point, dédiée à son « frère Boualem Sansal », et publiée jeudi 21 novembre, Kamel Daoud a écrit : « Depuis une semaine, les diffamations, les attaques, les insultes, les procès pleuvent depuis l’Algérie nouvelle ». Il ne répond pas aux accusations portées contre lui par Fatima Benbraham.