Ahmed Rezzak : «L’essence du théâtre, c’est la politique, cela ne peut pas être autrement »

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Ahmed Rezzak : «L’essence du théâtre, c’est la politique, cela ne peut pas être autrement »
Ahmed Rezzak : «L’essence du théâtre, c’est la politique, cela ne peut pas être autrement »
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Ahmed Rezzak a décroché, dimanche 21 mars, le grand prix du 14ème Festival national du théâtre professionnel (FNTP) avec la pièce «Khatini», produite par le Théâtre régional de Mostaganem. Il revient dans cet entretien sur cette consécration, sur sa démarche artistique et sur son plaidoyer pour « le théâtre populaire ».

24H Algérie: Une première réaction après l’obtention de votre pièce « Khatini » du grand prix du FNTP, organisé du 11 au 21 mars 2021 au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA), à Alger.

Ahmed Rezzak: La consécration est d’abord pour l’équipe de la pièce. Pour moi, c’est un prix pour la liberté d’expression. Arriver à faire des œuvres pareilles avec un théâtre d’Etat et décrocher un prix sur une scène d’un autre théâtre d’Etat dans un festival national organisé par l’Etat, c’est une consécration de la liberté d’expression.

Les artistes peuvent s’exprimer librement, donner leur avis politique ou pas. Je rends hommage à l’équipe et à tous les efforts fournis, sinon, pour moi, le grand prix, c’est celui du public, avec une salle pleine pour assister au spectacle.

Certains disent que « Khatini » est une pièce politique, évoque la situation actuelle, critique l’ancien régime…Peut-on parler de théâtre politique ?

Pendant le débat (après la représentation de la pièce le samedi 20 mars au TNA), j’ai dit que le spectacle a été écrit, il y a plus de dix ans, en 2010. Sur Youtube, on peut trouver le court métrage « La cité des vieux » de Yahia Mouzahem. A l’époque, il n’y avait pas de hirak. J’évoquais dans l’écriture la même situation. J’ai évidemment renouvelé des petites scènes par rapport à l’actualité. Cela ne veut nullement dire que la pièce a été inspirée de la politique actuelle. Au fond, c’est un discours humain. On y évoque les harragas, la migration clandestine, les jeunes qui quittent leur pays, la relation entre les vieux et les jeunes.

L’essence du théâtre, c’est la politique, cela ne peut pas être autrement. Même dans les œuvres les plus ordinaires, il y a toujours une touche politique quelque part.

Est-ce que le jeune Khatini veut quitter le pays parce qu’il y a des vieux aux commandes. Ne s’agit-il pas d’une autre forme de conflit de générations ?

Les jeunes ne quittent pas le pays parce que les vieux gèrent mais parce que la situation globale est mauvaise. Les jeunes vivent très mal cette gestion catastrophique des affaires du pays. Il y a même des jeunes qui ont pris des postes importants au sein de l’Etat et gèrent très mal. Donc, ce n’est pas une question de vieux ou de jeunes. C’est une question de tout un système. Cela est également valable en Afrique et dans les pays arabes où les jeunes migrent pour chercher des toits ailleurs.

«Le khti rassi » est culture ancrée depuis l’indépendance de l’Algérie ». Et finalement, Khatini ne part pas.

Il ne quitte pas le pays parce que « khatih fi koulech », n’est concerné par rien. Beaucoup de gens m’ont dit que dans la pièce, Khatini ne prend pas de décisions, est effacé. Déjà, il s’appelle Khatini, tout le monde décide à sa place de son vécu et de son avenir…

La pièce « Khatini » est d’abord une critique vive de la fuite en avant, de la fuite de responsabilité. Est-ce un phénomène social en Algérie ?

On peut dire que c’est un phénomène social, voire une tradition dans l’administration, dans les postes de décision, dans les familles…Chacun rejette la responsabilité sur l’autre, « le khti rassi », ce n’est pas moi, c’est l’autre, est culture ancrée depuis l’indépendance de l’Algérie. Même lors des débats sur les pièces (en compétition au FNTP), nous avons entendu des metteurs en scène rejeter la responsabilité sur les comédiens, sur le manque de moyens, sur l’administration…alors qu’il suffit de rejeter un travail, si les moyens ne sont pas réunis pour ne pas avoir à se justifier après.

La critique de la presse est clairement présente dans votre pièce…La vieille journaliste est courbée, reste dans les coulisses de la présidence, intervient dans le bureau présidentiel…

Il y a une presse et il y a une autre. Il y a la presse de l’Etat et du système qui est pareil à la journaliste que je présente sur scène. Mais, à la fin, on voit qu’elle prend position avec les manifestants. La presse a toujours été soumise qu’on le veuille ou pas à un système, en Algérie et dans le monde. La presse est tenue de suivre des directives liées à une politique internationale, sinon elle est exclue. En Algérie, vous constatez que les deux corporations où il n’existe pas de syndicats sont celles des journalistes et des artistes.

«La femme a toujours été à l’avant-garde de tout changement »

Dans les pièces, les personnages féminins sont puissants : l’épouse du président, la mère de Khatini, qui demande à son mari de remonter son pantalon, et Imen, l’amie de Khatini. Cela exprime votre volonté de replacer les femmes dans un contexte de décision ?

Je veux rendre hommage à la femme dans toutes les décisions qui ont été prises lors des révolutions à travers le monde. La femme a toujours été à l’avant-garde de tout changement. La femme, c’est aussi le pilier de la famille. Quand la mère est absente ou effacée, la famille part en vrille. Aujourd’hui, la mère a peur de se réveiller le matin et d’entendre que son fils est parti en harraga. Cette peur est partagée par toutes les familles où vivent des adolescents.

La fuite des jeunes est massive. La femme ne va pas s’arrêter de marcher, de crier et de réclamer que ses enfants puissent vivre dans une situation meilleure, avoir un minimum de bonheur pour rester dans leur pays. Nous avons vu que les mères étaient les premières dans les marches. Les pères se désolent que leurs enfants diplômés restent chômeurs à la maison. Ils ont travaillé durement pour que leurs enfants fassent des études pour que finalement ne trouvent pas d’emplois. C’est un malheur.

Dans « Khatini », comme dans vos pièces précédentes « Torchaka » et « Kechrouda », vous revendiquez le théâtre populaire. Quelles sont les caractéristiques de ce théâtre ?

Le théâtre populaire prend, selon moi, la forme de la comédie noire. C’est une façon de rire de nos malheurs et de nos problèmes d’une façon burlesque. Une manière d’interpeller le public sur ses sentiments, ses croyances, son vécu d’une façon comique, bien étudiée sur le plan artistique.

Ce n’est pas de la fuite en avant ou un choix pour vendre. A un moment donné, le théâtre en Europe a connu une crise d’absence du public dans les salles, cela a conduit les troupes théâtrales à faire dans le vaudeville (spectacle de divertissement basé sur la comédie de situation) pour récupérer le public. Et après des années, ils sont allés vers d’autres formes théâtrales. Aujourd’hui, en Algérie, on dit qu’il existe un problème de public alors que nous avons un problème de théâtre

C’est-à-dire ?

Le public est là. Nous avons un problème de pratique théâtrale. Ce n’est pas le public qui a déserté les salles, mais c’est le théâtre, en tant qu’art, qui s’est éloigné du public. Il est facile de verser dans le théâtre philosophique ou noir, mettre en scène un spectacle que je serai seul à voir. Pour moi, ce qui est difficile est de faire rire le public. Le rire a des bases qui sont encore interdites chez nous.

«Pour moi, le metteur en scène n’est pas un chef »

Certains critiques reprochent à Ahmed Rezzak de recourir au « discours direct » sur scène. Qu’en pensez-vous ?

Cela dépend des spectacles. Nous ne sommes plus dans les années 1970. A une certaine époque, la censure obligeait les metteurs en scène à ne pas dire des choses directement pour des raisons politiques. Aujourd’hui, nous avons le choix de dire les choses telles qu’elles sont.

Il ne s’agit donc pas d’un discours direct, mais d’exprimer les choses comme elles se présentent. Il faut nommer un chat un chat, pourquoi faire tout un détour pour le dire à un public qui connaît déjà la réalité. Autant donc le dire crûment. Le discours direct n’empêche pas le recours à l’esthétique. Le problème n’est pas dans le discours mais dans comment le mettre en forme, dans l’espace et dans les dialogues du point de vue de l’interprétation et de la scénographie.

Vos spectacles se distinguent par une présence nombreuse des comédiens sur scène. Pourquoi ce choix ?

Pour moi, le public vient pour voir un spectacle avec une pléiade de comédiens sur scène. Cela dépend évidemment du texte. Il faut que les pièces soient divertissantes. La fordja doit être présente. A une certaine époque, nous ne pouvions monter que des monologues ou des duos, des petits spectacles, cela ne veut pas dire qu’ils n’étaient pas bien.

Même là, nous avions été critiqués parce que nous ne faisions que des monodrames ou des duos. Maintenant qu’il existe plus de moyens, nous pouvons aller vers des spectacles plus grands, beaucoup plus de « Torchaka » ou « Kechrouda », avec plus de vingtaine de comédiens sur scène, cela peut satisfaire, à un certain degré, le public.  

En somme, revenir au théâtre-spectacle…

C’est cela. La scénographie doit, par exemple, être plus mise en valeur. Cela dit, le budget du secteur de la culture tend à baisser, spécialement celui des théâtres. Quand le budget du ministère de la Culture est réduit, ce ministre baisse celui des théâtres. On est presque réduit à travailler avec les moyens de bord. L’administration est tenue de revoir à la baisse les budgets des spectacles. Donc, il est toujours bien de voir de temps à autre, des spectacles grandioses.

Ces dernières années, Ahmed Rezzak monte ses propres texte…Pourquoi ?

C’est une question d’évolution. Par le passé, j’ai monté des pièces sur base de textes écrits par d’autres auteurs. Mais, là, quand je mets dans la recherche, dans l’écriture, je vais au bout de mes idées. J’ai donné mes textes à d’autres metteurs en scène.

Pour vous, monter un spectacle est une action collective

Pour moi, le metteur en scène n’est pas un chef, mais un collègue pour les autres intervenants au spectacle. Pour faire un travail collectif, il faut créer la troupe, l’esprit de famille avant même de monter sur scène. Toute troupe doit évoluer comme une famille. Il s’agit de travailler ensemble dans un chantier.

Une complicité doit exister entre les comédiens avant de monter sur scène. Toutes les tâches s’entremêlent lors de la préparation d’un spectacle. Le metteur en scène doit laisser le choix au comédien pour ses déplacements sur le plateau. Après le texte, le comédien est l’élément le plus important d’un spectacle. Avec un texte fort et un comédien mauvais, on peut rater une pièce. Des comédiens forts peuvent sauver une pièce construite à partir d’un texte de faible qualité. Donner une importance à un texte revient aux comédiens. Aussi, l’interprétation des comédiens est-elle primordiale pour moi.

« Chariou’ al mounafikine » (La rue des hypocrites) est votre prochain spectacle. Où en êtes-vous ?

Il s’agit d’une prochaine production du Théâtre national algérien(TNA). Nous avons été freinés à cause de la crise de Covid-19. Lors du FNTP, la priorité a été au spectacle déjà monté par le TNA (« Ez-Zaouèche »  de Kamel Yaïch). La reprise du spectacle est imminente.

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