Aïssa Chouat est comédien et chorégraphe formé à l’ISMAS (Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et d’audiovisuel) de Bordj El Kiffan, Alger. Il est parmi les comédiens les plus primés du théâtre algérien. Il a interprété le rôle du président d’Etat dans la pièce « Khatini » d’Ahmed Rezzak, qui a décroché le grand prix au 14ème Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP), en mars 2021. Et, il vient de mettre en scène un spectacle dansant pour enfants, « Loading », avec le Théâtre régional de Mostaganem. Au cinéma, Aïssa Chouat a eu un rôle dans le film « Les terrasses » de Merzak Allouache.
24h Algérie: Aïssa Chouat, vous êtes parmi les comédiens de théâtre les plus primés. Que vous ont apporté ces prix ?
Les prix nous apportent un réconfort moral. J’ai obtenu six distinctions. Les pièces, qui ont été distinguées et dans lesquelles j’étais distribué, n’ont malheureusement participé à aucun festival international. En 2012, j’ai eu des prix avec « Iftiradh ma wak’a fialan » (« A supposer que cela est arrivé réellement »), réalisée par Lotfi Benseba et produite par le Théâtre régional d’Oum El Bouaghi, avec « Dhikra min Alsace » de Mohamed Frimehdi (Mascara) en 2013 et avec « Darb tabana » de Missoum Laroussi (Relizane) en 2015. C’était la première fois qu’une coopérative de théâtre décrochait le grand prix au Festival national du théâtre professionnel d’Alger (FNTP).
En 2016, vous avez également décroché un prix avec la pièce, sans texte parlé, de Mohamed Cherchell, « Ma bkat hadra »…
Oui. Cette pièce a été produite par le Théâtre régional de Skikda. En 2018, j’ai été distribué dans la pièce « Baccalauréat » d’Azzedine Abbar, mise en scène pour le compte du Théâtre régional de Mostaganem. La pièce a décroché le grand prix du FNTP. Autant que « Khatini » d’Ahmed Rezzak en 2021. J’ai interprété le rôle du président dans cette pièce.
Vous préférez donc le comédien au chorégraphe?
J’ai senti que je me répétais en matière de chorégraphie. J’ai donc pris un peu de recul pour faire plus de recherches. Dans la pièce « Baccalauréat », j’ai aidé les jeunes danseurs (Mohamed Seddik Benbedra, Khaled Gouinet et Rachid Khelifa) pour concevoir des tableaux.
Ils ont travaillé avec moi aussi pour le montage d’un nouveau spectacle dansant pour enfants, Loading (téléchargement). Il s’agit d’évoquer le conflit entre le livre et la tablette numérique. Pour moi, le livre a été abandonné, les gens ne lisent plus. Ce spectacle est produit cette année par le Théâtre régional de Mostaganem. Il sera bientôt en tournée nationale.
La pièce « Baccalauréat » porte une critique féroce pour le système d’enseignement. Elle aborde aussi la situation précaire des artistes. Deux sujets sensibles traités dans une forme comique…
Prenons déjà le titre « Baccalauréat ». Le Bac se dresse comme un obstacle pour les jeunes d’accéder à l’université. C’est également une barrière entre l’adolescence et l’âge adulte. La pièce aborde la question des cours privés. Depuis que j’étais enfant, j’entendais parler de « la réforme du système scolaire ». Cette réforme a-t-elle eu lieu ? On en parle encore aujourd’hui.
Pour symboliser tout cela, la pièce narre l’histoire d’un groupe d’élèves qui loue la cave d’un ancien artiste pour des cours particuliers. Ma propre fille fait des cours chez une enseignante louant une boutique pour rattraper les retards. Elle est quelque peu perturbée par le fait d’aller à l’école un jour sur deux en raison de la crise sanitaire relative à la Covid-19. Je n’avais pas d’autres choix que de l’inscrire dans des cours privés.
Est-ce que l’artiste algérien vit dans la cave?
Oui, à ce jour, il est toujours dans la cave. Il n’y a ni stratégie, ni loi, ni statut. Cela fait plus de 22 ans que je suis sur le terrain artistique, je n’ai toujours pas d’assurance. A chaque fois, on me dit au niveau des caisses de sécurité sociale que le problème n’est pas réglé. Mes travaux artistiques passent à la télévision mais je ne perçois aucun sou des droits d’auteurs. Nous avons mis l’artiste dans la cave, car nous vivons au noir, des clandestins.
Le statut de l’artiste n’est toujours pas reconnu?
Oui, rien. Je travaille avec des contrats à durée limitée avec les théâtres.
Et pourquoi ne pas créer votre propre coopérative ou compagnie de théâtre?
J’ai une attestation en tant que comédien et chorégraphe professionnel. Je peux produire mes propres spectacles comme les monologues, mais je n’y arrive pas encore. Pour créer une coopérative, il faut avoir des membres et un siège. C’est un peu compliqué et ce n’est pas rentable.
Vous suivez de près, le mouvement théâtral en Algérie. Est-il en train d’évoluer ? Ou est-il en régression ?
Il y a de la régression. Les moyens sont moins importants par rapport au passé. Il n’y qu’à citer l’exemple des budgets alloués aux théâtres régionaux. Les coupes budgétaires continuent au fil des ans au point que les salaires soient à peine assurés au niveau de ces théâtres. Aujourd’hui, on parle de réformes du théâtre. Ce n’est qu’un titre. Il y a encore des wilayas où il n’existe pas de salles de spectacles.
Les espaces manquent encore. Il faut juste faire comme nos voisins, la Tunisie et le Maroc. Il y des clubs de football, qui ne rapportent presque rien à la société et qui résistent pour ne pas être relégués, obtiennent facilement des milliards de centimes. Pourquoi la Sonatrach ne finance-t-elle pas le théâtre ? Idem pour la Sonelgaz et pour toutes les autres grandes sociétés. Elles peuvent apporter des contributions aux théâtres, comme elles le font pour les clubs de football. Le jeu est encore fermé. Les théâtres sont sous une tutelle (ministère de la Culture) qui ne donne plus d’argent.
Quel genre de théâtre faut-il aujourd’hui en Algérie ? « Le théâtre populaire », comme le proclame Ahmed Rezzak ?
Avec les conditions actuelles, il nous faut ce genre de théâtre pour attirer le public vers les salles. Certains évoquent « le théâtre populiste », d’autres nous reprochent de verser dans l’art facile et le discours direct. Moi, je plaide pour faire ce discours direct mais d’une manière artistique, riche en esthétique, musique, chorégraphie, éclairage…Pour que le public revienne, il nous faut des spectacles de ce genre, quitte à faire dans les sketchs.
Les sketchs sont également des expressions artistiques. En France, Gad Elmaleh, Jamel Debbouz en font, et ont une renommée internationale. Chez nous, le sketch est dévalorisé. Je dis qu’il nous faut du « théâtre facile » pour que les salles se remplissent de nouveau et pour que les spectateurs renouent avec cet art. Une fois la communication rétablie entre théâtre et public, il sera possible de revenir au théâtre classique, à l’absurde, la tragédie, etc.
Le discours direct n’est-il pas toxique pour le théâtre?
Il est presque impossible de présenter des pièces de Shakespeare par exemple à un spectateur qui n’est jamais entré dans une salle de théâtre. Faites revenir le public dans les salles, après versez dans la philosophie, si vous voulez. Nous voulons tenter une expérience avec Ahmed Rezzak, celle de louer à titre privé une salle où des spectacles sont présentés chaque jour avec billetterie. Les recettes permettront de payer le propriétaire de la salle et les artistes. Malheureusement, les représentations théâtrales demeurent toujours occasionnelles, à la faveur d’un festival ou de rencontres, mais c’est tout.
Les salles des théâtres régionaux doivent-elles rester ouvertes à longueur d’années ?
Oui. Cela doit être la règle surtout qu’on va vers le théâtre de la ville (projet du ministère de la Culture et des Arts). Les troupes professionnelles constituées dans ces théâtres doivent présenter et produire des spectacles en continu.
Actuellement, les théâtres régionaux reprennent leurs activités qu’à l’approche du FNTP. Une fois le FNTP terminé, ils referment leurs portes. Ce n’est pas normal ! Dans la plupart des villes, il y a au moins cinq cafés à proximité des théâtres. Chaque consommateur paie au moins 200 dinars ses boissons alors que le billet du théâtre n’est que de 100 dinars. Il faut donc le convaincre de venir au théâtre mais avec des spectacles quotidiens et des productions artistiques multiples. N’oubliez pas qu’il existe des amateurs qui n’ont pas toujours l’occasion de monter sur scène, faute de moyens.
Êtes vous avec l’idée d’encourager le théâtre privé, comme avec l’expérience de La fourmi à Oran ?
Je suis avec la privatisation du théâtre puisque l’Etat n’accorde que deux sous pour les théâtres régionaux. Un budget insuffisant pour encourager la création artistique. On nous demande de faire des spectacles de qualité sans donner de l’importance à la contrepartie financière et morale.
Les comédiens sont-ils sous payés ?
Oui, ils ne sont pas assez payés. La réussite d’un spectacle dépend d’un bon texte et d’une bonne distribution. Or, dans les théâtres régionaux, la distribution ne se fait pas, selon les normes. On donne parfois des rôles à des comédiens qui ne peuvent pas camper les personnages. Le choix n’est pas artistique, mais administratif. Les metteurs en scène doivent se concentrer sur leurs spectacles, pas sur la formation ou l’initiation de comédiens. Il faut rompre avec les habitudes du « social » dans les théâtres publics.
Le comédien doit-il être salarié dans un théâtre public?
Non. Je préfère que le travail se fasse par contrat. Il n’est pas normal qu’un comédien perçoit son salaire sans fournir un effort. Certains ne se déplacent même pas au théâtre où ils sont censés travailler, n’assistent même pas aux spectacles de leurs collègues. L’artiste ne doit pas être salarié. Il doit être recruté par contrat.
On évoque souvent le problème de la formation des comédiens. Qu’en est-il ?
Ce problème existe réellement. C’est l’époque du théâtre de l’image, pas du discours. Le comédien doit pouvoir jouer, danser, chanter, tout faire sur scène. Donc, nous n’avons pas le temps d’initier de nouveau des comédiens pour être distribués dans des spectacles professionnels.
A mon sens, un seul institut de formation aux arts dramatiques ne suffit pas (l’ISMAS d’Alger). Il faut au moins trois autres instituts ou des annexes au niveau régional. Nous perdons beaucoup de jeunes talents, faute de formation adéquate. Il faut aussi ouvrir la formation de l’actorat au secteur privé avec des diplômes reconnus par l’Etat. Il est important aussi de s’intéresser aux talents qui existent dans le sud du pays et qui n’ont pas où s’exprimer faute d’espaces.
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